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Des bons plans d’Hakima Darhmouch et une enquête d’opinion secrète: comment le PS prépare sa campagne

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Paul Magnette a réuni les plus hauts dirigeants du PS au Domaine de Ronchinne. Un séminaire résidentiel discret et très sélect, où une enquête d’opinion a été présentée.

Un parti, c’est comme une entreprise. Les deux exigent des méthodes modernes de gestion, on dit même «de management», et sont soumis à l’impitoyable logique du chiffre. Au Parti socialiste comme ailleurs, on en est parfaitement conscient. Et comme dans une entreprise, de discrets séminaires sont organisés dans de beaux endroits pour motiver ou requinquer les directions opérationnelles et pour leur présenter de nouveaux objectifs. Le Domaine de Ronchinne, à Assesse, en province de Namur, en est un, de bel endroit. Ces dernières années, le PS y a d’ailleurs organisé plusieurs mises au vert, du parti, des groupes parlementaires ou des équipes ministérielles. Et c’est l’endroit que Paul Magnette, Laurent Pham, le secrétaire général du parti, et Gilles Doutrelepont, le directeur de campagne du PS, ont choisi, ces 2 et 3 février, pour convier les têtes de liste du 9 juin prochain, les ministres sortants, les trois vice-présidents (Duygu Celik, Philippe Close, Anne Lambelin) et une partie de l’équipe du boulevard de l’Empereur à une mise au vert qui, du moins le vendredi, a également tourné à la mise aux verres.

Après l’apéro vint un repas, la session de travail puis le bar. On n’y a pas trop discuté de listes, en fait.

Car un parti, comme une entreprise, ce sont des soft skills à développer, des sentiments à partager, des amitiés à consolider et, parfois, à sauver. Le vendredi 2, c’est par un apéro à 18 heures que commençait la session. Après l’apéro vint un repas (il paraît qu’il y avait de la biche, mais il y avait des options végétarienne, végan et sans gluten, bien sûr) et la session de travail. Après la session vint le bar que, selon certains, Laurent Pham et Paul Magnette ont fermé à une belle heure, dans une ambiance paraît-il revigorante. On n’y a pas trop discuté de listes, en fait. Certes, il existe encore des tensions dans les fédérations pour la composition finale de toutes les listes, qui seront annoncées les 16, 17 et 18 février, mais le pousse-café socialiste n’a pas été très vocal.

En passant: Paul Magnette, tête de liste au fédéral dans le Hainaut, et certaines têtes de liste dans les arrondissements régionaux de la province, ont désormais choisi les derniers candidats qu’ils se contestaient mutuellement. Nicolas Martin, tête de liste à Mons-Borinage, s’était un temps chamaillé sur l’échevine de Boussu (et candidate bourgmestre en octobre 2024) Sandra Narcisi, mais elle sera sur la liste régionale. Et le bourgmestre de Charleroi, paraît-il un peu chipoté par l’arrivée de Julie Taton chez les adversaires du MR, a procédé à quelques ajustements. La première échevine carolo Julie Patte, pressentie pour succéder à Paul Magnette à l’Hôtel de Ville, sera sur sa liste fédérale, tout comme les autres échevins carolos Mahmut Dogru et Karim Chaibai: quatre des neuf membres socialistes du collège communal de Charleroi feront campagne sur la liste fédérale en juin.

Elio Di Rupo est arrivé un peu tard et parti assez tôt ce vendredi à Ronchinne. Le Montois, tête de liste à l’Europe, avait sans doute peu à apprendre de la session de travail postapéro et prépousse, qui offrait des astuces de communication.

Le président du PS le sait, diriger un parti exige des méthodes modernes «de management».
Le président du PS le sait, diriger un parti exige des méthodes modernes «de management». © belgaimage

Car un parti, comme une entreprise, c’est un bon marketing à mettre en œuvre. Et depuis quelques mois, le Parti socialiste a missionné une consultante de choix pour éclairer les candidats et même les militants. Ancienne journaliste bien connue, Hakima Darhmouch est désormais, notamment, consultante chez Akkanto. Elle conseille et forme aux relations publiques, et a, ces derniers mois, donné des formations sur les techniques de porte-à-porte et la communication digitale dans plusieurs fédérations socialistes. Ce 2 février, à Ronchinne, elle a surtout orienté son exposé sur les prestations médiatiques.

Elle a rappelé combien il était important d’éviter, à la télévision, les termes compliqués ou trop abstraits. Si désormais un socialiste dit hôpitaux et pas soins de santé, ou écoles et pas services publics, sans doute sera-ce à son crédit, et à cet effet elle a démontré comme les nombreux citoyens qui s’intéressent peu à la politique sont loin de maîtriser ses concepts, son vocabulaire et même son casting.

Elle a aussi expliqué combien il était nécessaire de ne pas, en débat, se montrer agressif ou arrogant. Et si désormais un socialiste n’interrompt pas ou ne tente pas d’humilier un adversaire ou un intervieweur, sans doute l’inscrira-t-elle à son rapport d’activités annuel, et à cet effet elle a montré ce moment, affreusement malaisant, du «Calmez-vous madame, ça va bien se passer» du ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin à la journaliste de RMC Apolline de Malherbe, comme un parfait contre-exemple. Toutes ces précautions de forme, rappelées à Ronchinne, ne serviront à rien si le fond ne suit pas.

Car un parti, comme une entreprise, c’est un bon business plan, qui propose les bons produits aux bons clients. Pour le produit, c’est en cours. Les programmes (on en serait à 1 200 pages de propositions) seront présentés le 18 février à Bruxelles, et les thèmes de campagne, sous le slogan «Solide et Solidaire», ont bien entendu été fixés. Pour les différents publics à atteindre, à conforter ou à reconquérir, le directeur de campagne Gilles Doutrelepont a, pendant la matinée du samedi 3 février, exposé une enquête d’opinion commandée par le PS à une société française, Cluster 17.

Celle-ci a été fondée en 2021 par un professeur de l’université de Montpellier, Jean-Yves Dormagen. Elle avait été critiquée par la Commission française des sondages pour la légèreté de ses méthodes au début de la campagne présidentielle de 2022, alors qu’elle avait noué un partenariat avec l’hebdomadaire Marianne. Mais, au boulevard de l’Empereur, on signale fièrement que ses projections s’étaient finalement montrées les plus fines pour la France, et que la méthode avait ensuite été validée en Espagne. Cette méthode, que, chez Cluster 17, on présente comme révolutionnaire, consiste à segmenter la population française en seize profils types, des clusters, groupes homogènes de «citoyens partageant les mêmes positions sur les principaux clivages», à partir des réponses des sondés à une trentaine de questions. Une fois cette segmentation établie, en fonction des dynamiques à l’œuvre dans la campagne, des thèmes mobilisés, des événements qui surviennent et des enjeux prioritaires, Cluster 17 se dit «en mesure d’anticiper et d’analyser avec plus de précision les dynamiques électorales».

Hakima Darhmouch a expliqué combien il était important d’éviter, à la télé, les termes compliqués ou trop abstraits.

Chacun des profils types étant évidemment sondé sur ses intentions de vote, Cluster 17 peut également offrir de classiques projections en pourcentages et en sièges. C’est avec ça que la présentation du Domaine de Ronchinne, le 3 février, après le petit déjeuner de 8 heures, a commencé. Selon le sondage qu’il s’est commandé, le PS se situerait autour de 23% à 24% en Wallonie, assez loin devant le MR et le PTB, et dans la marge d’erreur pour la première place à Bruxelles avec 18% à 19%. Appliquée à la Belgique francophone, la grille de Cluster 17 a dégagé une dizaine de profils types (les autoritaires, les libéraux, les centristes, les antisystèmes, les conservateurs, les multiculturalistes, les progressistes, les révoltés, les solidaires, les sociaux-démocrates).

Les zones de force du PS sont connues, elles ont déjà été abordées lors d’autres mises au vert rouges (il y en a eu à Quaregnon, Nivelles, Wanfercée-Baulet notamment, souvent racontées par Le Vif, d’ailleurs). Son concurrent, le PTB, n’est pas moins identifié, et ses éventuels réservoirs de voix chez Ecolo et Les Engagés non plus. Tous ces éléments sont confirmés par cette enquête à la méthode révolutionnaire, mais aux conclusions peu surprenantes. Le Parti socialiste rassemble le plus d’électeurs «révoltés», devant le PTB, et «sociaux-démocrates» et «solidaires» devant le PTB et Ecolo, mais aussi des Engagés et de DéFI, beaucoup de «multiculturalistes» et de «progressistes», où le PS est en concurrence avec Ecolo et le PTB, une bonne proportion de «centristes», où se retrouve un électorat flottant entre Les Engagés et DéFI, mais aussi le PS et Ecolo, très peu d’«anti–systèmes», apanage du PTB, et pratiquement aucun «conservateur» et «autoritaire», citadelles du MR.

Parce qu’elle segmente les électeurs selon leur réponse à certaines questions (typiquement: ceux qui sont favorables à la peine de mort ne se rangent pas parmi les multiculturalistes), l’analyse permet de trouver des thèmes particulièrement importants pour certains clusters.

Elle expose également, c’est crucial dans une campagne, les thématiques particulièrement importantes pour certains types de profil, mais sur lesquelles une position trop tranchée pourrait heurter d’autres clusters visés par le parti. Le PS n’insistera pas sur ces enjeux.

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En revanche, le PS a pu, nous dit-on, se (re)trouver des revendications qui rencontrent les aspirations des profils électoraux disputés, sans heurter ceux d’autres catégories qui ne leur sont pas hostiles.

C’est encore secret, personne n’a osé nous dire lesquelles c’était, mais comme un parti, c’est comme une entreprise, on peut déjà être sûr que les socialistes parleront de hausse des salaires plutôt que de hausse du taux d’emploi (ou de régularisation des sans-papiers), qu’ils promettront de taxer les superriches plutôt que d’imposer les gros patrimoines (ou de mettre en œuvre une taxe carbone), d’engager des infirmiers plutôt que de refinancer les soins de santé (ou d’activer les malades de longue durée). C’est-à-dire ce que le PS, en fait, faisait déjà. Parce que quand on est une entreprise, ou un parti, on ne change tout de même pas tout à quatre mois de l’échéance la plus importante de son histoire.

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