Maxime Prévot (CDH), Thomas Dermine (PS) et Georges-Louis Bouchez (MR) lors d'un débat en avril. © Belga

Derrière la question du voile, de grandes manoeuvres politiques en cours

Olivier Mouton Journaliste

Les majorités bruxelloises et fédérales malmenées cachent un paysage politique francophone où les rivalités sont féroces avec… des recompositions possibles, entre CDH déchiré, DeFI en plein combat, MR agité et gauche morcelée.

La question des signes religieux et de la neutralité de l’administration publique agite la classe politique francophone, avec une majorité bruxelloise fragilisée et une majorité fédérale secouée par le MR. Au point que le PS vienne au secours du Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), en critiquant l’attitude du président libéral, Georges-Louis Bouchez .

Le sujet est important au niveau des valeurs, soulignent les « frondeurs » du MR et de DeFI, en pointe sur la question au niveau régional bruxellois, tandis que d’autres se demandent comment il est possible que cette question prenne une telle dimension. Traduction: cela ne cache-t-il pas autre chose?

En toile de fond, on assiste à des tensions internes à certains partis et à des rivalités qui laissent à penser que de grandes manoeuvres sont en cours. Jusqu’à des recompositions politiques éventuelles? Voici quatre agitations en cours.

1 Le CDH déchiré et dépecé

Le député fédéral Georges Dallemagne a provoqué un sérieux remue-ménage interne au CDH, suite à ses déclarations selon lesquelles, à travers le voile, il y aurait « une revendication politique, radicale, qui ne veut pas de notre modèle de société, ne veut pas de nos valeurs ». Plusieurs ténors du parti, dont la fondatrice du CDH Joëlle Milquet, ont fustigé sa sortie. Certains ont été plus loin en déposant plainte en interne. Le président du parti, Maxime Prévot, a recadré Georges Dallemagne avant de le soutenir. Bref, cela a un parfum de crise. Le parti humaniste est littéralement déchiré par cette question.

Déjà mal en point électoralement, le CDH cherche son chemin. Il est en pleine refonte interne, avec une volonté de s’ouvrir à d’autres courants via son opération ‘Il fera beau demain’, mais sa visibilité reste modeste. Dans d’autres partis, certains regardent d’un oeil intéressé – le mot est faible – la tournure que prennent les événements et la possibilité, réelle, que certains se lassent de ce parti qui se bat constamment pour sa survie.

2 L’ambition et le malaise de DeFI

DeFI a pris, à Bruxelles, une position tranchée sur cette question de la neutralité dans les administrations publiques. François De Smet, son président, le fait par conviction et parce qu’il s’agit d’un combat de longue date mené par certains ténors du parti. Mais pas seulement…

En toile de fond, c’est également un sujet susceptible de resserrer les rangs en interne après les tensions entre le nouveau président et son prédecesseur, Olivier Maingain, après une passe d’armes remarquée au printemps.

Ce dernier avait ouvertement critiqué un processus de rapprochement… avec le CDH, en affirmant que ce parti ne propose pas du tout les mêmes valeurs que DeFI. Cette alliance avec le CDH, soutenue notamment dans les rangs de la section wallonne de DeFI et chez certains parlementaires, a vécu. Mais le destin de ce parti du centre et sa place sur l’échiquier politique restent un enjeu majeur d’ici les élections de 2024.

3 Le vieux rêve du MR

Le MR version Georges-Louis Bouchez tape fort dans ce dossier, au risque d’indisposer les partenaires au sein des majorités, le PS et Ecolo. C’est évidemment un jeu a priori facile alors qu’il y a un boulevard à la droite du paysage politique francophone – le tout étant de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin.

Ne soyons pas naïfs, les libéraux ont connu aussi de sérieuses divergences internes ces derniers temps, avec la duel Bouchez – Ducarme pour la présidence, puis les critiques émises en interne au sujet de la gouvernance tranchée du jeune président. Dans ce dossier, d’ailleurs, Denis Ducarme n’hésite pas à allumer la mèche un peu plus fort, par moments, quitte à indisposer son ancien rival.

Mais si le CDH est déchiré et si DeFI se repositionne de la sorte, tout cela est finalement de bon augure pour un MR qui rêve, toujours, d’une nouvelle recomposition politique au centre-droit (en attirant des CDH et des DeFI déçus?). C’est le rêve cultivé depuis toujours par les Michel et Reynders pour devenir plus grands que le PS au sud du pays. Un rêve qui s’étire dans le temps. Attention: il peut se retourner aussi contre ceux qui le cultivent.

4 La place du premier parti à gauche

A la gauche du paysage politique, ce débat pèse aussi sur le positionnement des uns et des autres. Avec la place de premier parti comme enjeu.

Ecolo a fait un choix de conviction en défendant le « libre choix des femmes » sur le port du foulard et en se positionnant sur le « combat des minorités ». C’est aussi une façon de se distinguer du PS, surtout à Bruxelles, de chasser sur son propres terrain et de faire barrage au PTB.

Forcément, le PS est mal à l’aise sur le dossier. Dans sa tradition « historique », il y a une aile laïque importante (venant surtout de l’ULB, à Bruxelles), pour laquelle le sujet est très sensible. Les évolutions du parti ces dernières années, dans sa volonté de toucher les classes populaires et immigrées, a généré une évolution « religieuse ». Ce fut le bras de fer qui a opposé des années durant Charles Picqué et Philippe Moureaux, celui sur lequel s’est joué la succession de Laurette Onkelinx à la tête de la fédération bruxelloise, entre autres.

Déjà malmené par le PTB sur sa gauche, le PS ne peut pas tout se permettre sur le plan électoral. D’où sa réflexion interne pour trouver un chemin médian. Certains, à Bruxelles, ont déjà évoqué une potentielle implosion du PS. Qui reste peu probable, mais cela tangue.

De toutes parts, cette question symbolique provoque des remous et des mouvements.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire