Démocratie sous pression: pour un Belge sur trois, la Belgique n’est pas une démocratie (enquête Le Vif)

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Trois Belges sur dix estiment ne pas vivre tout à fait dans une démocratie. Mais les solutions préconisées diffèrent parfois, du nord au sud du pays.

La Belgique compte deux démocraties, selon l’adage. Il peut laisser à penser que francophones et néerlandophones portent forcément un regard différent sur l’état de leur démocratie. Les résultats de notre enquête font logiquement apparaître quelques lignes de fracture, qu’elles se manifestent autour de la tranche d’âge des Belges, de leur niveau de d’instruction ou encore de leur communauté, en l’occurrence.

Les sondés ont été invités à répondre dans l’une des deux langues. Les Bruxellois, au passage, sont 88 % à avoir choisi le français. A propos de considéra­tions générales sur l’état de la démocratie en Belgique, les deux groupes linguis­tiques répondent globalement de façon comparable. Ainsi, trois Belges sur dix, 29,5 % de néerlandophones et 32,2 % de francophones, estiment que « la Belgique n’est pas une démocratie ». Les franco­phones sont par contre un peu plus nom­breux (12,1 %) que les néerlandophones (10,5 %) à être tout à fait d’accord avec cette affirmation, mais ils sont aussi un peu plus nombreux (28,1 %) que les néerlando­phones (20,3 %) à ne pas du tout être d’accord.

Cela signifie, a contrario, que les Belges sont 57,6 % à réfuter l’idée que la Belgique n’est pas une démocratie, soit 57,4 % de néerlandophones et 57,8 % de franco­phones. Soit une équivalence quasi parfaite.

La plupart, 74,3 % de néerlandophones et 71,7 % de francophones, estiment par ailleurs que le système démocratique belge, qui permet d’élire des représentants de la population dans les parlements, fonctionne généralement bien, même s’il nécessite quelques ajustements. Ils ne sont jamais que respectivement 11,1 % et 9,5 % à considérer que le régime devrait être supprimé et remplacé par un système plus autoritaire.

Les résultats électoraux et autres baro­mètres dépeignent des préférences poli­tiques sensiblement différentes au sein des trois Régions. Cela n’empêche pas les deux groupes linguistiques de ne mani­fester, l’un et l’autre dans des proportions similaires, qu’une identification très modérée aux différents niveaux de pouvoir.

Les néerlandophones sont 58,1 % et les francophones 54,4 % à ne pas se sentir représentés par le fédéral. Les néerlandophones sont un peu plus nombreux (57,3 %) que les francophones (51,4 %) à ne pas se sentir représentés par l’échelon régional, sachant que c’est un peu plus le cas en Flandre (56,4 %) et à Bruxelles (56 %) qu’en Wallonie (51,2 %). Pour le dire autrement, le Flamand ne se sent pas davantage représenté par sa Région que le Bruxellois ou le Wallon.

Derrière ce diagnostic plutôt global, l’identification des menaces qui pèsent sur la démocratie ou les solutions préconisées font par contre apparaître de nettes diver­gences. Par exemple, parmi les Belges qui considèrent la démocratie en danger, les réponses sont sensible­ment différentes lorsqu’il s’agit de déter­miner quelles sont les menaces qui guettent le plus. Les francophones citent en premier lieu l’extrême droite (45 %), suivie par la désinformation (42,4 %) et la guerre (37,7 %). Le trio de tête du côté néerlandophone : migration (45,3 %), désinformation (35,7 %) et concentration des richesses (30,8 %).

« La » religion semble aussi peser sur l’opinion. Les francophones sont plus nombreux (30 %) que les néerlando­ phones (24,7 %) à considérer qu’elle repré­sente une menace pour la démocratie. Par contre, lorsqu’il s’agit d’en désigner, les néerlandophones sont plus nombreux que les francophones à en pointer spécifi­ quement. L’islam arrive en tête, sélection­ né par 87,2 % des néerlandophones et 78 % des francophones qui pensent que la religion est une menace. Le christianisme arrive en deuxième place, choisi par respectivement 25,1 % et 19,6 % des répondants.

Les réponses se distinguent encore sur les préférences en matière de fonctionne­ment de la démocratie, et donc du moyen le plus efficace de diriger le pays. Les Belges, les néerlandophones surtout, considérant la dictature comme un moyen efficace de diriger le pays sont vraiment minoritaires. Mais les néerlandophones sont plus nombreux (43,2 %) à opter pour un système de coalitions, qui prévaut en Belgique, que les franco­phones (31 %). Les francophones, eux, sont trois fois plus nombreux (22,2 %) que leurs voisins du nord (7,1 %) à plaider en faveur d’assemblées citoyennes. C’est le signe, sans doute, d’un débat qui vit autour de ce mode de démocratie participative en Wallonie et à Bruxelles, ainsi qu’en communauté germanophone, avec des initiatives plus ou moins abou­ties dans les parlements.

Les francophones sont d’ailleurs 53,8 % à considérer que les assemblées parlemen­taires devraient être remplacées par des assemblées citoyennes ouvertes à tous, les néerlandophones étant 41,4 %. Les écarts sont moins nets, mais les franco­ phones plébiscitent davantage des initia­ tives telles que la désignation des élus par tirage au sort, les référendums sur les grandes questions de société et la traduc­tion des votes blancs par des sièges vides dans les parlements.

Les moyens utilisés pour faire entendre sa voix et faire avancer la démocratie ne sont pas plébiscités de la même façon de part et d’autre de la frontière linguistique. Les néerlandophones (67,9 %) sont plus nombreux que les francophones (59,4 %) à considérer que voter est encore utile. Mais les seconds sont plus nombreux à approuver les pétitions, les manifestations et même les actes de désobéissance civile (12,7 % contre 7,6 % de néerlandophones). D’ailleurs, ils se disent beaucoup plus tolé­ rants à l’égard d’actes comme la dégra­ dation d’œuvres d’art ou l’occupation de l’espace public, tandis qu’une majorité de néerlandophones désapprouvent les actions de ce type.

(1) Enquête réalisée par l’institut Kantar du 4 au 8 septembre 2023 auprès de 1 012 Belges âgés de 18 ans ou plus, avec une marge d’erreur de 3,1 %.

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