Carte blanche
Démissionner Francken ou supprimer le poste de Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration ?
A la lecture de ce titre, certains esprits chagrins pourraient s’offusquer de la question ainsi posée. Ils blâmeront les inconscients que nous sommes en voulant nous priver d’un moyen indispensable de contrôler et réguler les flux migratoires.
Les plus modérés diront qu’il est vrai que Théo Francken a commis des erreurs et qu’une démission est envisageable, mais qu’il faudra bien, dans tous les cas, quelqu’un pour exercer ses fonctions. Les plus rabiques, ceux qui s’activent profusément dans ces cloaques de la pensée que sont devenus les forums internet, nous accuseront de vouloir mettre à mal notre « culture », aller vers le « grand remplacement », voire revenir aux invasions barbares !
Au risque de ne pas totalement les rassurer, il convient de préciser que nous ne sommes pas passéistes à ce point. En fait, un bond de 10 ans en arrière nous conviendrait encore qu’il y ait beaucoup à dire sur l’histoire des politiques migratoires de la Belgique dont l’inhumanité causa notamment la mort de Semira Adamu. En 2007, sous le gouvernement Verhofstadt, le poste n’existait même pas et pour peu que l’on garde un souvenir de cette période, il ne semble pas que les frontières de la Belgique étaient pour autant ouvertes.
C’est l’année suivante, avec l’arrivée au pouvoir d’Yves Leterme et de son cartel CDV-NVA que le poste de ministre de la Politique de Migration et d’Asile apparaît dans la composition gouvernementale. C’est Annemie Turtelboom qui devient titulaire de ce portefeuille. Les compétences seront ensuite attribuées dans différents gouvernements successifs à Melchior Wathelet, Maggie De Block et Théo Francken, tous trois secrétaires d’État. Les deux derniers ont acquis une popularité incroyable en communiquant abondamment sur une grande fermeté dans les politiques menées. On a tendance à l’oublier, vu l’omniprésence médiatique de Théo Francken, mais celle qui l’a précédé a utilisé les mêmes ressorts, les tweets provocateurs et les mensonges assumés en moins, pour engranger une forte notoriété et se retrouver en tête de plusieurs sondages sur les personnalités politiques préférées des Belges. On peut même se demander s’il ne s’est pas trouvé de brillants stratèges au sein du gouvernement Di Rupo pour encourager à la rendre visible avec sa ligne bien droitière pour espérer séduire l’électorat de la N-VA et faire diminuer le score de cette dernière en Flandre. Avec le succès relatif que l’on sait…
Il est évident que maintenir un multi-récidiviste assumé du dérapage comme Théo Francken en place est un scandale. Cela ne grandit ni la Belgique ni son gouvernement. Il semble toutefois que la N-VA face du maintien de Théo Francken une question de gouvernement. Et il est loin d’être acquis que les autres partenaires de gouvernement envisagent de se priver en juin 2019 de la rente électorale migrantophobe sur laquelle ils pourraient tabler pour avoir été dans le même exécutif que Théo Francken, même si c’est dans une moindre mesure que la N-VA. Hélas, l’honneur rapporte moins de voix que les peurs.
A l’ère de la post-vérité, le succès des dirigeants politiques est davantage conditionné par leur capacité à conforter les préjugés de leurs électeurs qu’à les convaincre de la pertinence de leurs programmes. Après Théo Francken, tous les Dupont-Lajoie vont se bousculer au portillon lorsqu’il s’agira de composer les gouvernements futurs pour convoiter ce poste de Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration. Cette fonction semble durablement vouée à transformer des grenouilles politiques en boeufs médiatiques. Elle permettra l’avènement d’aventuriers politiques peu scrupuleux qui disposeront d’une tribune permanente pour contribuer à la libération de la parole raciste. Les fonctions actuellement dévolues à Théo Francken pourraient être assumé par le ministre de l’Intérieur comme c’était le cas avant 2008. D’aucuns pourraient objecter que la politique menée par un Jan Jambon ne serait pas sensiblement différente de celle de Théo Francken. Ils n’auraient formellement pas tort, mais doivent prendre en compte trois éléments. Premièrement, Jan Jambon ne restera peut-être pas ministre de l’intérieur dans les gouvernements futurs. Deuxièmement, un ministre de l’intérieur dispose de plus de compétences pour exister politiquement qu’un Secrétaire d’État uniquement titulaire des matières d’Asile et de Migration. Troisième, il faut se demander combien parmi les inconditionnels de Théo Francken, qui claironnent aujourd’hui leur soutien au Secrétaire d’État de manière massive sur les réseaux sociaux et de manière un peu moins massive dans la rue, ont effectivement lu la partie « asile et migration » de l’accord de gouvernement. C’est plutôt sa personnalité, avec ses foucades sloganesques et ses raccourcis simplistes, qui est plébiscité, que sa politique qui est soutenue.
On ne pourra peut-être pas changer aisément la politique d’asile, de plus en plus restrictive, menée par les États européens, dont la Belgique. Il sera difficile de trouver une majorité politique pour le faire. Par contre, il doit être possible de trouver un accord large pour en finir avec l’instrumentalisation abjecte par un triste sire de cette compétence essentielle pour nombre de malheureux à la recherche d’un avenir meilleur!
Carlos Crespo et Pierre Eyben, militants de gauche.
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