Menace des Frères musulmans en Belgique:le «cavalier seul» du patron du Comité R
Serge Lipszyc, le «gendarme» des services de renseignements sur le départ, s’est largement exprimé sur le danger que représentent en Belgique ces propagateurs de l’islam politique, évoquant des infiltrations dans les structures de l’Etat qui menaceraient la démocratie. Mais son constat n’est pas suivi en interne.
Avant de quitter son mandat cette année, Serge Lipszyc, patron du Comité R, le comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité, s’est offert un dernier et retentissant tour de piste médiatique à l’occasion de la publication, fin avril, du rapport d’activité de l’institution qu’il dirige.
C’est pourtant une phrase bien précise, dans la préface du rapport – rédigée par Lipszyc lui-même –, qui a attiré l’attention médiatique: «Les risques liés au renforcement des Frères musulmans en Belgique ne semblent pas toujours pris à leur juste mesure.» Une prise de position qui n’est pas extrapolée dans le document, mais qui l’a été quelques jours plus tard, sur la chaîne BX1, où le «gendarme» des services de renseignement explique que «la question aujourd’hui, c’est celle de l’entrisme. A savoir qu’il y a désormais une volonté d’insérer, au sein des structures de l’Etat, une idée de renversement de l’Etat démocratique par l’idée qu’un certain islam devrait gérer notre société.» Il ajoute: «Je rappelle que [les] fonctionnaires prêtent serment de fidélité au roi, à la Constitution et aux lois du peuple belge. Il nous semble qu’un certain nombre d’entre eux ne respectent pas ce prescrit et, peut-être, devraient être écartés de leur fonction au sein des différentes administrations et services publics.»
Relancé par le journaliste Fabrice Grosfilley, qui «a du mal à y croire» et s’interroge sur l’ampleur du phénomène, le magistrat est, cette fois, moins dissert: «La Sûreté de l’Etat et la police fédérale ont estimé que c’était une menace réelle, je pense qu’il faut y répondre. Mon propos est de rappeler cette réalité», élude-t-il.
Quelques jours plus tard, c’est à la RTBF que Serge Lipszyc est questionné sur la «perméabilité des structures de l’Etat» (sans qu’il soit explicitement fait mention des Frères musulmans). Il plaide alors pour des réponses «nécessaires, de manière disciplinaire ou autre, par rapport à des femmes et des hommes qui ne respectent pas les règles et mettent en cause […] l’enjeu démocratique.»
Frères musulmans: l’influence franco-française
Fortement commentées sur les réseaux sociaux, les sorties du magistrat ont fait mouche. Et s’inscrivent dans un contexte particulier. En France, «l’entrisme» frériste agite le gouvernement Attal. Qui a convié, début mai, le nouveau fer de lance de la presse d’extrême droite –Le Journal du dimanche – à une réunion entre le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et les services de renseignement. En ligne de mire: un rapport sur la mouvance islamiste promis d’ici à quelques mois.
Etrangement, les éléments de langage du ministre français rappellent fortement ceux de Serge Lipszyc, Gérald Darmanin en appelant à une «prise de conscience» de la menace frériste, dénonçant au passage ceux qui «collaborent avec les Frères musulmans sans même le savoir, dans la population mais surtout parmi les acteurs publics». Une position qui a, semble-t-il, alimenté la réflexion du patron du Comité R. «Nous avions l’impression que nos services de contrôle ont minimisé cette menace en Belgique et qu’il y a un besoin de mieux coordonner les réponses. C’est ma réflexion au départ, et puis le fait de constater que la France est touchée aussi – l’entrisme ne se limite pas à un seul pays», nous confie-t-il. Et de rappeler que cette question de l’entrisme «ressort historiquement avec le dossier de Mme Haouach» – une ex-Commissaire du gouvernement soupçonnée de frérisme, et qui avait fait l’objet d’une note de la Sûreté de l’Etat en 2021 (avant de démissionner).
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Quelques mois plus tard, cette affaire avait en effet accouché d’une enquête de contrôle sur les Frères musulmans. Sans nier l’importance du sujet , le rapport du Comité R estimait qu’officiellement, la confrérie islamiste «compterait seulement une cinquantaine de membres et une centaine de partisans ou sympathisants». Ajoutant que, «sur la base de ces chiffres, le ministre de la Justice (NDLR: à l’époque Vincent Van Quickenborne) a qualifié la présence du mouvement en Belgique comme « relativement modeste »».
«Ces personnes ont la volonté de mettre à mal l’Etat de droit.»
Extrapolations
Alors, qu’est-ce qui a changé? Pas grand-chose, en réalité. Hormis le discours de Serge Lipszyc, lequel insiste sur le fait que les services de renseignement ont remarqué que des personnes, dans les structures de l’Etat, ont bien prêté allégeance au frérisme.
Sauf que, du degré d’entrisme» au sein de l’Etat belge, lui-même ne sait pas grand-chose. «Si vous voulez m’entendre dire qu’il y a des problèmes d’entrisme dans telle ou telle à administration ou à la Défense, par exemple, nous n’avons pas procédé à cette analyse de cette manière, voilà», dit-il finalement, alors que ses récentes sorties ont fait grincer des dents en interne. Où l’on s’étonne que le patron soit visiblement plus inspiré par la presse française que par les rapports des services belges, eux qui ne considèrent pas le frérisme comme la menace première pour le pays. Et ne l’estiment pas plus ou moins dangereux que l’infiltration de représentants d’autres obédiences religieuses dans les structures de l’Etat.
Surtout, ces récentes sorties sont d’autant plus dommageables que, ces dernières années, les services ont dû batailler pour clarifier des extrapolations découlant de notes qui n’avaient pas vocation à être rendues publiques, nous fait-on savoir. Notamment pour l’affaire Haouach – d’autres situations similaires ont depuis lors conduit les renseignements à redoubler de prudence. Pas de quoi déboussoler Serge Lipszyc, qui craint, «à terme», des infiltrations fréristes «dans des endroits plus ou moins sensibles». Vous avez dit extrapolation?
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