Wim Robberecht en 2016
Wim Robberecht en 2016

Renseignement militaire: l’ingérence étrangère atteint des niveaux de Guerre froide

Selon le « patron » du renseignement militaire, le vice-amiral Wim Robberecht, les activités d’espionnage et d’ingérence étrangère observées en Belgique ont atteint des niveaux qui n’avaient plus été atteints depuis la Guerre froide. C’est ce qu’il affirme dans le premier rapport d’activités jamais publié par le Service général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS).

« Les principales menaces qui pèsent sur la sécurité nationale sont, outre cette ingérence, l’extrémisme violent, le terrorisme et les activités cyber-malveillantes. A cela s’ajoute le retour de la guerre aux confins de l’Europe« , ajoute-t-il en introduction.  Le document porte sur 2022, année de la création, au sein du SGRS, d’un « Cyber Command », précurseur d’une future 5e composante de l’armée belge, et de l’invasion russe de l’Ukraine.

   « D’autres conflits plus lointains font peser un impact sur notre modèle sociétal. Force est de constater que le rythme des menaces ne fait que s’accroître; leurs effets touchent notre population, de près ou de loin. Au final, ces menaces font peser un danger direct sur notre régime démocratique« , poursuit l’amiral Robberecht. Le rapport qualifie ces menaces d' »encore plus complexes, imprévisibles et multiples ».

   Selon son chef, la mission première du SGRS est de « protéger notre pays, nos entreprises et nos expatriés par nos renseignements », alors que son devoir envers la Belgique, la société et les citoyens est de « conseiller judicieusement les autorités ».

   « Nous sommes présents en appui des opérations militaires, dans la lutte contre l’espionnage et l’ingérence, la cyber-sécurité, la lutte antiterroriste, la lutte contre les extrémismes, la protection de nos ressortissants, la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive (ADM), la lutte contre les organisations sectaires ou criminelles ainsi que dans les domaines de la protection du potentiel économique et scientifique et des infrastructures vitales », résume encore le chef du SGRS.

   Le SGRS, qui se dit « complémentaire » et « non concurrent » de la Sûreté de l’État (VSSE, le service de renseignement civil, compétent sur le territoire national), se concentre sur l’étranger et principalement sur les lieux où sont déployées des troupes belges.

En 2022, le service a traité 6.982 demandes d’informations venant de ses clients et partenaires, en hausse de 30,50% par rapport aux 5.350 demandes de 2021. Les demandes d’informations envoyées vers des partenaires nationaux et internationaux ont pour leur part très sensiblement augmenté, de 60 à 320, soit une hausse de 433,33% par rapport à 2021.Le nombre de « productions » du SGRS est quant à lui passé de 486 à 591 (+21,6%).

   Le rapport reste toutefois – sans surprise – muet sur les effectifs du SGRS, par crainte que des adversaires soient en mesure d’en déduire ses capacités.

   Il indique que 69,7% de son personnel est militaire (et donc que 30,3% sont des civils) avec une majorité (51,6%) de francophones. En 2022, le SGRS a recruté 53 militaires et 26 civils en dépit de l' »indisponibilité criante » de profils de compétence adéquats sur le marché de l’emploi pour son Cyber Command.

   L’objectif de l’amiral Robberecht est de passer de « largement en dessous de mille » personnes actuellement à « largement plus de mille d’ici cinq ans » – sur des effectifs de près de 27.000 militaires et d’environ 1.610 civils actuellement employés par la Défense.

   En juin 2021, dans la foulée de l’affaire Conings – du nom du caporal-chef Jurgen Conings aux idées d’extrême-droite dont la fuite avait provoqué une vaste chasse à l’homme en province de Limbourg – , le chef de la Défense (Chod), l’amiral Michel Hofman, avait lancé un appel urgent à tous les officiers et sous-officiers afin de venir renforcer rapidement les effectifs du SGRS, avec 81 fonctions ouvertes.

   Le « Cyber Command » a été porté sur les fonts baptismaux le 19 octobre dernier. Il renforce les capacités de la Défense dans le cyberespace, un environnement virtuel, mais de plus en plus contesté comme le prouve la multiplication des attaques cybernétiques, notamment depuis le début de la guerre en Ukraine. Il est dirigé par le général-major Michel Van Strythem et « est appelé à grandir tout en restant dans le giron de la famille du renseignement et de la sécurité dont elle partage les missions mais aussi le cadre légal ».

   Le rapport explique que ce commandement « mène des opérations de sécurité et de renseignement dans le cyberespace et l’environnement électro-magnétique ».

   Le SGRS et la VSSE ont conclu un nouvel accord de coopération, le Plan stratégique national de Renseignement 2.0 (PSNR22)

   Le logo du service est un hibou tricolore stylisé. Sa devise est « Quaero et Tego »: « je demande » (j’enquête sur l’information) et « je protège » (l’information, les données).

La Belgique face aux menaces terroristes, extrémistes et étatiques russo-chinoises

Sans négliger les menaces terroristes, principalement islamiste, et l' »extrémisme non-religieux » de gauche comme de droite, le Service général du Renseignement et de la  Sécurité (SGRS) de l’armée estime que la Russie constitue la menace « principale » et « la plus directe » pour la paix dans la région euro-atlantique, en particulier à la suite de l’invasion de l’Ukraine, dans son rapport d’activités publié mercredi.

Ce premier rapport annuel jamais produit par le service de renseignement militaire souligne également qu’en Asie, les relations conflictuelles entre les puissances nucléaires que sont le Pakistan et l’Inde, l’essor de la Chine – qualifiée, tout comme la Russie, d’État révisionniste – sur la scène internationale. Et les développements nucléaires de la Corée du Nord « demeurent préoccupants ».

   Selon la Direction Renseignement du SGRS, l’architecture de non-prolifération des armes de destruction massive (ADM, qui peuvent être nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques) « continue globalement de s’éroder ». « Cette tendance mine les relations internationales, favorise la course à l’armement avec comme conséquence l’augmentation du risque d’escalade et d’erreur de calcul », souligne le rapport, rendu public dans un souci inédit de transparence.

   « Dans cette perspective, la Russie constitue la menace principale et la plus directe pour la paix euro-atlantique, en particulier dans le contexte actuel de son invasion de l’Ukraine », estime le service de renseignement militaire.

   Selon lui, au Moyen-Orient, le comportement de l’Iran (développements balistiques et nucléaires, ingérence) constitue un « important potentiel de déstabilisation dans une région d’intérêt majeur pour l’économie mondiale » en raison notamment de sa production pétrolière. Le régime syrien, avec le support de la Russie, demeure un défi pour le désarmement chimique.

   En Asie, les relations conflictuelles entre les puissances nucléaires pakistanaises et indiennes, l’essor de la Chine, et les développements nucléaires de la Corée du Nord demeurent préoccupants.

   En Occident, la menace terroriste CBRN (chimique, radiologique, bactériologique et nucléaire) « reste d’actualité » et le nombre d’incidents, qui de par la nature de leur motivation peuvent être qualifiés d’attaques terroristes religieuses, devrait être stable en 2023 par rapport à 2022..

   La même direction du SGRS souligne que plusieurs expulsions de membres du personnel diplomatique russe de Belgique ont entraîné une réduction « temporaire » des capacités de renseignement russe sur le territoire belge. Celle de 21 diplomates russes attachés à l’ambassade de Russie en Belgique et au consulat à Anvers le 29 mars. Mais aussi celle de 19 diplomates russes travaillant à la mission russe auprès de l’UE le 5 avril. Toutefois, prévient le rapport, « les services de renseignement russes s’adapteront à l’évolution de la situation pour répondre à leurs besoins en matière de renseignement ».

   Le SGRS note que des acteurs étatiques russes ont également été observés en train de mener une « cyber-reconnaissance » contre des infrastructures critiques dans des pays occidentaux. Les analystes s’inquiètent d’une éventuelle attaque contre les infrastructures critiques occidentales si la guerre en Ukraine s’étend au-delà du théâtre ukrainien.

   Les « hacktivistes pro-russes » ont mené un nombre croissant de cyber-attaques perturbatrices contre presque tous les pays de l’Otan (et même au-delà), souvent en réaction aux mesures prises par ces pays que la Russie perçoit comme menaçantes. Ces cyber-attaques perturbatrices se poursuivront en 2023 et sont souvent une réaction russe à une déclaration politique forte ou à la livraison d’équipements militaires à l’Ukraine, explique le rapport.

   En Chine, le président XI Jinping ayant obtenu son troisième mandat, les besoins en renseignements du Parti communiste chinois (PCC) se concentrent de plus en plus sur l’étranger, note la Direction Renseignement

   Pour la première fois, un chef du renseignement fait partie du Bureau politique (ou « Politburo », la plus haute instance décisionnelle du PCC), « ce qui se traduira par une augmentation des ressources pour les agences de renseignement. Celles-ci doivent fournir des renseignements qui permettront à la Chine de devenir technologiquement autonome, de se positionner dans les conflits avec l’Occident et de garantir les intérêts économiques de la Chine à l’échelle mondiale », souligne le rapport.

   « Avec la collecte de renseignements et l’influence vers l’Union européenne et l’Otan, l’importance de la Belgique dans le travail de renseignement chinois ne fera qu’augmenter », avertit encore le SGRS.

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