
Le service militaire volontaire se heurtera à des choix budgétaires, logistiques et humains
Theo Francken promet 2.000 euros par mois pour chaque jeune de 18 ans entamant un service militaire. Sur le papier, le plan «ReArm Europe» le lui permettra sûrement, mais il faudra opérer des choix cruciaux au sein d’une armée belge déjà diminuée.
En regardant dans le rétro, les membres de l’Arizona peuvent se dire que ce n’est peut-être pas pour rien que les derniers jours de négociations gouvernementales se sont déroulés au sein de l’Ecole Royale Militaire. Un mois après la naissance du gouvernement, c’est cette même armée qui est le fruit de nombreuses discussions, situation géopolitique ultratendue oblige. Les 2% du PIB consacrés à la Défense initialement prévus pour 2029 sont finalement attendus cet été, avance le ministre de la Défense, Théo Francken (N-VA). L’été, c’est dans trois mois. Et dans six mois, 139.284 Belges ayant passé le cap des 18 ans en 2025 recevront une invitation à passer leur service militaire. Sur base volontaire. Theo Francken leur promet environ 2.000 euros net par mois, mais la mesure suscite encore beaucoup de questions, dont celle de son financement.
Cela dit, l’idée avancée par le ministre n’est pas une conséquence de la suspension de l’aide militaire américaine en Ukraine, ni même du sursaut militaire européen. L’accord de majorité fédérale évoquait déjà «un service militaire volontaire de 12 mois, comme un des parcours dans le cadre d’un service citoyen à la communauté». En revanche, aucun chiffre n’est avancé concernant ce projet dans le texte et, questionné, le cabinet Francken réserve son schéma budgétaire pour le kern.
Beaucoup de candidats aujourd’hui, peut-être moins demain
Aujourd’hui, l’armée belge compte environ 25.000 paires de bras, un millier de civils, et 5.000 réservistes qui sont des anciens de l’armée, au profil souvent spécialisé (en cyber, par exemple). Les réservistes du plan Francken devraient venir garnir ce dernier rang avec des profils plus polyvalents, donc. Un double avantage pour le ministre de la Défense qui va grossir les rangs et rajeunir une armée grisonnante. «Beaucoup de monde est parti à la pension ces dernières années et de nombreux jeunes qui rentrent ne restent pas longtemps, déçus par l’aventure», confie l’économiste de la Défense et professeur émérite à l’Ecole royale militaire, Wally Struys. Avant le retrait de l’aide militaire américaine en Ukraine, l’objectif était d’atteindre un total de 45.000 tuniques vertes en 2040, mais la deadline risque fortement d’être rapprochée pour les raisons que l’on connaît.
Chaque année, entre 2.500 et 2.800 recrues entrent dans l’armée, et environ le triple est en formation. Or, une formation volontaire complète de base dure 18 mois. Mais les troupes Francken n’auront pas à suivre le même cursus. «Ici, on parle d’un service d’un an, développe Yves Huwart, président du syndicat CGPM (Centrale Générale du Personnel Militaire). Je me demande la rentabilité de ceux qui seront formés en un an, même si cela peut constituer un vivier de recrutement.» Un vivier de recrutement qui ne sera pas utile que dans l’armée puisque les réservistes sortiront d’un an de service formés à certains métiers de l’armée (conduite poids lourds, travaux mécaniques, communications…) qu’ils pourront exercer dans le privé.
Imaginons un instant que le service militaire devienne obligatoire. Les chiffres de Statbel indiquent que la Belgique comptera 133.905 personnes âgées de 18 ans en 2029, à la fin de la législature, soit 5.000 de moins qu’aujourd’hui. En 2040, ils seront 125.000 mais l’institut statistique prévoit une stabilisation autour des 130.000 individus à l’avenir. «S’engager militairement est un sujet très vivant dans la population, relate le cabinet Francken. L’an passé, la Défense a reçu 10.000 candidatures de personnes voulant travailler dans l’armée. En 2025, on est déjà à 5.000.» Et la médiatisation autour de ce projet par le ministre aurait déjà suscité de nombreuses candidatures spontanées à un service militaire, assure-t-il, ce qui pourrait faire sauter le verrou de 500 places.
Former les jeunes, moins aider l’Ukraine?
Qui dit projet politique —car le rétablissement d’un service militaire volontaire est un projet très politique—, dit faire des choix. «Un service militaire nécessite d’encadrer les jeunes par des officiers et sous-officiers. Il y aura un coût financier, mais aussi un coût en personnel, et on ne peut pas compenser celui-ci», expose Wally Struys, d’autant plus que l’armée belge est aussi occupée à former les soldats ukrainiens. «Dans un monde idéal, la formation initiale qui transforme un civil en un soldat dure deux à trois mois avant de commencer une spécialisation dans un domaine particulier, complète Yves Huwart. Mais on manque déjà d’instructeurs pour donner cette formation initiale. Avec de nouveaux jeunes à former, cela va apporter une charge de travail complémentaire.»
Enfin, le coût matériel et logistique resterait également non négligeable, prédit encore Wally Struys. Les 500 volontaires au service militaire devront probablement être répartis dans plusieurs unités à travers tout le pays pour la bonne raison qu’aucune caserne ne peut, pour l’heure, accueillir 500 couchages supplémentaires. Même dans la marine, certains militaires de carrière doivent attendre une formation sur terre, faute de bâtiment naval disponible, assure Yves Huwart.
Se dire que l’on fixe la proportion du PIB à la Défense à 2%, 3% ou même 5% n’est pas le bon point de départ. Il faut d’abord déterminer nos objectifs, définir quelle armée on veut.
Yves Huwart
Président de la Centrale générale du personnel militaire.
Voilà donc les bâtons qui se mettront dans les jours à venir dans les chenilles du ministre Francken. Le plan «ReArm Europe», excluant les dépenses militaires de la dette nationale, le libérera probablement de la question du coût économique. Pour Yves Huwart, ce n’est pas pour autant que cette augmentation drastique du budget à venir fera de l’armée (et donc du service militaire) un dispositif plus efficace. «Se dire que l’on fixe la proportion du PIB à la Défense à 2%, 3% ou même 5% n’est pas le bon point de départ. Il faut d’abord déterminer nos objectifs, définir quelle armée on veut.» Outre la question logistique et humaine, la question du choix politique risque donc de revenir sur la table pour se confronter à ce qui peut ressembler, au fond, à une ambition idéologique.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici