
« Le choix du F-35, c’est une pure folie politique de la Belgique »
Dans son envol vers l’indépendance militaire, l’Europe pourrait voir l’avion de chasse américain F-35 comme un turbulence gênante sur sa trajectoire. Irresponsabilité politique ou simple réalisme du marché?
La question des avions de combat F-35, commandés par plusieurs pays européens dont la Belgique, est l’exemple actuel le plus frappant qui illustre la prise en tenaille des Européens dans leur volonté d’indépendance avec les Etats-Unis.
Officiellement, le choix du F-35 est justifié par la nécessité d’interopérabilité du matériel otanien. En d’autres termes: il est préférable de disposer du même matériel pour s’allier plus facilement en missions. Officieusement, le but était aussi, pour les pays acheteurs, de s’assurer un soutien américain indéfectible en retour (en dépit du coût de fonctionnement exorbitant de l’appareil). Le comeback de Trump détruit toute cette logique. «D’autant plus que l’interopérabilité n’existe qu’entre ceux qui ont acheté les armes américaines, remarque Frédéric Mauro, chercheur associé à l’IRIS. Les pays détenteurs d’Eurofighters (700 exemplaires en Europe) ou de Rafale ne sont interopérables que grâce au combat cloud de l’Otan.»
Le F-35, exemple type de la division européenne
Ainsi, la crainte de voir une Amérique toute-puissante, capable de clouer au sol les F-35 des Européens si elle le veut, est bien réelle. «Les beaux avions F-35 risquent d’être des avions… d’aéroclub», ironise Frédéric Mauro. Autrement dit, il n’est pas certain que la Belgique soit autorisée à les faire voler pour des vraies missions, dans le cas où les Etats-Unis s’y opposeraient. «La mise à jour des logiciels, le targeting, et l’accès aux pièces de rechange n’ont de sens que si les F-35 sont connectés au combat cloud américain. Sans cela, ils sont des avions d’aéroclub. Qui peut encore croire aujourd’hui en la garantie américaine? Le choix du F-35, c’est une pure folie politique», décrie Frédéric Mauro.
Penser qu’il suffit d’acheter des armes américaines pour bénéficier de la protection américaine est un raisonnement qui tient plus debout (…) Le choix du F-35, c’est une pure folie politique.
Frédéric Mauro
Pour l’expert des questions de défense, les Européens ne retiennent pas une leçon pourtant essentielle de la guerre en Ukraine: si l’on ne dispose pas de la liberté d’action de son propre matériel dans les moments critiques, la défense n’a aucune utilité. «La Belgique peut acheter autant de F-35 qu’elle veut, mais si les Américains en interdisent l’utilisation au moment voulu, détenir l’avion soi-disant le plus performant du marché ne sert à rien. Il faut donc relancer les carnets de commande en faveur de l’industrie européenne. Les industriels doivent, eux, faire primer la commande européenne sur la commande export.»
F-35: suffisant pour s’assurer la protection américaine?
Pourtant, à l’heure actuelle, les nombreux pays européens acheteurs du F-35 ne remettent pas en cause les contrats déjà signés avec Lockheed Martin. Au contraire, l’Arizona, dans son accord de gouvernement, affirme même vouloir en recommander une dizaine. «Ils sont dans un déni de réalité, fustige Frédéric Mauro. Penser qu’il suffit d’acheter des armes américaines pour bénéficier de la protection américaine est un raisonnement qui ne tient plus debout. La réalité, c’est que l’Amérique de Trump défendra les pays européens en fonction de ses propres intérêts.»
En cas d’opposition américaine, les beaux avions F-35 risquent d’être des avions… d’aéroclub
Frédéric Mauro
Le Général Jo Coelmont (Insitut Egmont) ne partage pas du tout cet avis. «Les réalités sont ce qu’elles sont, les commandes sont en cours», dit-il. Développer un nouvel avion de combat européen de dernière génération demanderait beaucoup d’investissements. Et pour que l’industrie européenne soit rentable, la demande doit être élevée. «Cela nécessiterait que tous les pays de l’UE —avec le Royaume-Uni et d’autres pays amis— lancent conjointement ‘un’ programme d’achat, ce qui n’est pas encore le cas.»
Quels enjeux pour l’industrie européenne?
Travailler avec deux projets différents —Rafale et Eurofighter— en Europe complique donc les choses. «Tout l’enjeu serait de se mettre d’accord pour un seul avion. La crainte d’un monopole ne vaut pas dans ce cas précis, car la division du marché entre plusieurs constructeurs empêche l’Europe de faire émerger un avion hightech. En fin de compte, avoir deux acteurs doublerait le coût de chaque appareil.»
Tout l’enjeu serait de se mettre d’accord pour un seul avion, un seul programme d’achat européen. Ce n’est pas encore le cas.
Jo Coelmont
Quant au risque de neutralisation de nos avions par les USA, Jo Coelmont y croit peu. «Il est difficilement imaginable que l’Europe se lance dans une mission qui va à l’encontre la sécurité des Etats-Unis. De plus, Trump n’est pas éternel.»
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