La Belgique ne deviendra pas un bon élève de l’Otan, même sous l’Arizona: «Nous n’avons rien fait pendant 40 ans…»
L’Arizona place le financement des forces armées belges comme une des priorités de la législature. Mais la Défense souffre d’un désinvestissement constant depuis des dizaines d’années. Satisfaire aux demandes de l’Otan est «utopique dans l’état actuel des choses», tranche un expert. L’écart pourrait même s’accentuer très prochainement.
Il estime que l’Europe a été «paresseuse» en matière de défense, et que Vladimir Poutine l’avait «réveillée». Il, c’est Bart De Wever, Premier ministre belge, qui n’a pas manqué d’afficher ses hautes ambitions sur la question… deux heures à peine après son entrée en fonction, lors d’un sommet européen informel à Bruxelles. C’est dire si le sujet lui brûlait les lèvres.
Arizona: de pire élève à allié modèle de l’Otan en 5 ans?
«Redevenir un allié modèle de l’Otan». Telle est l’ambition affichée de l’Arizona dans son accord de gouvernement. Selon toute vraisemblance, l’ère De Wever pourrait donc être celle où la Défense redevient un pilier central des investissements du gouvernement belge… après de longues années désertiques. Mais la concrétisation des intentions s’annonce parsemée d’embûches et de trous financiers. Le gouffre à combler est immense, et pourrait encore s’accentuer.
Dans un contexte géopolitique tendu, la Belgique semble vouloir s’inscrire dans le mouvement de réveil collectif de l’Europe pour assurer sa capacité de défense, face à la menace russe coriace aux portes de l’UE et un soutien décroissant des Etats-Unis sous Trump.
Le plat pays accuse un retard colossal: il est le pire élève parmi tous les membres de l’Otan (à peine devant le Luxembourg) dans son investissement pour la défense. Avec 1,3% du PIB consacré à l’effort militaire, la Belgique reste ainsi très éloignée de l’objectif imposé aux membres de l’Alliance atlantique (2% minimum). A titre de comparaison, la Pologne pointe à 4,1%, l’Estonie et les Etats-Unis à 3,4%, la Grèce à 3,1%, la France et l’Allemagne à 2,1%. Sur les 23 membres de l’Otan, seize respectent actuellement le seuil des 2%… que Trump voudrait monter à 5%.
2,5% du PIB en 2034… Ok, mais comment?
Dans son accord de gouvernement, l’Arizona trace une trajectoire de croissance accélérée à 2% du PIB pour les dépenses de défense d’ici 2029 («au plus tard») et à 2,5% en 2034 («au plus tard»). Mais à la lecture du document, les intentions restent parfois laconiques. Elles offrent peu d’objectifs chiffrés, peu d’explications concrètes sur le financement, mais en revanche beaucoup de littérature sur la coopération européenne ou l’innovation.
«La volonté d’accélération par rapport à la Vivaldi est claire, mais cette accélération reste plus lente que celle des autres pays européens. En 2024, la moyenne européenne était déjà supérieure à 2%», remarque Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM), spécialiste de l’économie de défense.
D’après les bruits de couloir, l’Otan s’apprête à demander un investissement de 3% du PIB à chaque pays membre lors de son prochain sommet, ce qui accentuerait encore le fossé à combler pour la Belgique. Les pays du flanc est de l’Europe, concernés au premier plan par la menace russe, poussent en ce sens.
Wally Struys s’étonne surtout du manque de précision quant au financement des nouveaux objectifs. «Je ne vois pas comment le gouvernement compte s’y prendre. La vente d’actifs de l’Etat, évoquée çà et là, reste trop floue», dit-il.
Opposer défense et protection sociale n’a aucun sens
Le professeur plaide pour un financement structurel. «Contrairement à ce qu’on entend souvent, il est faux d’affirmer que financer la Défense induit une réduction des dépenses sociales. Les opposer n’a pas de sens.»
Selon lui, les dépenses concurrentes de la défense se trouvent davantage dans les communautés et les Régions. «Ce sont les dépenses qui ont le plus augmenté depuis 1995. Celles de la défense ont le moins augmenté depuis cette date (NDRL: elles n’ont fait que diminuer, hormis en 2022). «La défense est loin de concurrencer les dépenses sociales dans les priorités de l’Etat belge: 1,78% seulement des dépenses publiques globales y sont consacrées à la fonction Défense, contre 37,66% pour la Protection sociale. Si on ajoute à cette dernière la fonction Santé, on arrive même à 52,48%», calcule le spécialiste dans une récente analyse.
Le statut défavorable de la Défense se confirme dans les chiffres. «L’augmentation de son pouvoir d’achat atteint à peine 8,71%, ce qui contraste fortement avec les hausses observées dans la Santé (120,08%) et la Sécurité sociale (87,02%). C’est seulement en 2022 que le pouvoir d’achat de la Défense a dépassé celui de 1995… grâce à Poutine.»
Selon Wally Struys, l’opposition défense-protection sociale n’a donc pas lieu d’être. «En 2022, le budget de la défense représentait environ 1.000 euros par famille, soit 30 fois moins que les dépenses de santé et de protection sociale. Voilà qui met en perspective la prétendue rivalité.»
La N-VA étant désormais au pouvoir, elle ne touchera évidemment pas aux dépenses communautaires, par principe. «Or, c’est là où se trouve le plus de doubles emplois et de gaspillages. Intellectuellement, c’est là qu’il faut chercher, mais politiquement, ce sera niet. Je vois donc difficilement comment, de façon structurelle, l’Arizona arrivera à 2,5% du PIB d’ici 9 ans», déduit Wally Struys.
L’Arizona veut investir pour l’Otan: F-35, frégate et défense anti-aérienne
Parmi le peu d’annonces concrètes de l’Arizona pour la défense, on notera toutefois la volonté d’acheter des F-35 supplémentaires (on parle de onze nouveaux avions pour subvenir aux attentes de l’Otan), une troisième frégate ou encore de l’artillerie anti-aérienne… sans plus de précisions. «Ces arrivées ne sont de toute façon pas pour demain, alors que Poutine est aux portes de l’Europe.»
On peut cependant se poser la question de savoir si le choix de persévérer avec le F-35 est justifié, malgré son coût élevé et les gros retards de livraison dont il souffre. Oui, pour Wally Struys, qui avance des raisons pratiques. «Le Rafale français, suggéré par certains, serait désormais un mauvais choix, car la plupart des pays européens ont opté pour le F-35. En vue d’une défense aérienne commune, le mieux est de disposer d’un matériel standardisé.»
Par ailleurs, les drones peuvent désormais être armés, et ne sont donc plus utilisés pour de la simple reconnaissance. «Mais ces drones-là sont trop grands et peu maniables, juge le professeur. Il faut investir dans des drones plus petits, à la fois pour l’observation et l’attaque. Un drone à 1.000 euros détruit un hélicoptère de combat coûtant des centaines de milliers d’euros, illustre-t-il. L’investissement massif dans les drones doit donc être une priorité.»
40 ans de désinvestissement
Le redressement de la défense belge ressemble à un terrain miné. «Lorsque nous avons commencé à donner des munitions aux Ukrainiens au début du conflit, nous nous sommes rendu compte …que nous n’en avions plus assez pour nous-mêmes. Pour arriver au niveau demandé par l’Otan, il faut sept à huit milliards», chiffre l’expert. Pour qui «il est utopique que la Belgique devienne un bon élève de l’Otan dans l’état actuel des choses. Pas avant 20 ans. Nous avons accumulé un retard qui ne se rabiboche pas en quelques années. Il faut rattraper 40 ans de désinvestissement.»
D’autant plus que le report progressif du départ de l’âge à la retraite des militaires risque d’en décourager plus d’un. «On risque d’assister à une fuite du personnel en fin de carrière, combinée à une difficulté d’attirer et de maintenir des jeunes dans le milieu, prédit Wally Struys. Acheter du nouveau matériel, mais n’avoir personne pour s’en servir… cela ne sert à rien.»
Les grandes lignes de l’accord gouvernemental pour la défense
L’Arizona réitère son soutien à l’Ukraine, et souhaite assurer la livraison des premiers F-16 d’ici à la fin de cette année (les premiers des 30 prévus auraient dû être livrés en 2024).
Sur le plan national, le gouvernement vise les 29.100 collaborateurs d’ici 2030, conformément au plan STAR. L’Arizona veut que la Défense devienne «un employeur attractif», avec notamment une «réserve améliorée», ou un encore un «service volontaire de 12 mois». «Nous nous armons contre un avenir incertain en déployant, dans les années à venir, les efforts nécessaires pour améliorer notre résilience», peut-on lire.
L’accord met l’accent sur l’importance des coopérations:
– Construire un pilier européen fort sans structures qui se chevauchent;
– Interopérabilité des capacités entre alliés;
– Standardisation des systèmes d’armes;
– Mécanisme de coopération structurée permanente (PESCO);
– Développement d’un Schengen militaire;
– Déploiement de capacités communes, tel que le partenariat CAMO avec la France.
Pour parvenir au financement du plan STAR, «un nouvel effort sera nécessaire», prévient l’Arizona, qui annonce «la création d’un Fonds de Défense.»
Figurent également dans le programme: la reconstitution des stocks de munitions et autres stocks stratégiques et l’accélération des programmes d’investissement existants jusqu’à satisfaire aux attentes de nos alliés.
Concrètement, le gouvernement dit vouloir investir dans un système de défense aérienne à plusieurs niveaux, des avions de chasse, des avions de transport supplémentaires, «dans l’armement et l’extension de notre flotte de drones et de systèmes sans pilote armés (…) dans une flotte d’hélicoptères opérationnelle, une troisième frégate, des outils ambitieux de lutte contre les mines et des capacités pour mener une guerre électronique et dans des capacités opérationnelles pour notre « flotte blanche ».»
La brigade motorisée sera également renforcée. «A moyen terme, nous voulons être en mesure de mettre une (deuxième) brigade à la disposition de l’Otan.»
L’effort d’investissement accru nécessite une politique d’achat efficace, insiste l’accord, «afin d’éviter des retards inutiles dans la livraison des capacités.» (NDLR: la référence aux retards de livraison des F-35 est ici plus qu’explicite).
La Belgique souhaite en outre devenir «un hub logistique pour l’alliance de l’OTAN», «stimuler le développement de la technologie (anti-)drone et l’élaboration de stratégies de contre-drones à utiliser dans les airs, sur terre, en mer et sous l’eau.»
«Nous soutenons le développement de capacités industrielles pour la production accélérée de munitions et de systèmes d’armes. Pour ce faire, nous établissons des partenariats stratégiques avec les producteurs afin de disposer d’équipements toujours prêts», annonce également l’accord.
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