F-16 belges
Alexander De Croo, Volodymyr Zelensky et Ludivine Dedonder écoutent attentivement un pilote belge de F-16, à l’aéroport militaire de Melsbroek. © BELGA

Comment la Belgique est-elle passée de 0 à 30 avions F-16 pour l’Ukraine? Les aspects méconnus d’un déblocage

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La réticence belge initiale à livrer des avions F-16 à l’Ukraine fait de la voltige. Du «pas maintenant» de la ministre Dedonder en octobre 2023, notre pays promet soudainement 30 chasseurs à Zelensky. Ce looping à 180 degrés s’explique par plusieurs facteurs.

D’abord un refus «pour l’instant», suivi de timides débats politiques pour un potentiel don de deux à quatre F-16. Et puis… plus rien ou presque. Cette semaine, contre toute attente, la Belgique a finalement mis un sacré coup de boost sur ses promesses de F-16, jusqu’alors clouées au sol.

Lors de la présentation de l’accord bilatéral de sécurité signé avec l’Ukraine, avec la présence surprise de Zelensky à Bruxelles, Alexander De Croo prononce le chiffre. 30, ils seront 30 avions, -cela reste une estimation- à être offerts à l’Ukraine d’ici 2028. Un jump colossal qui étonne autant par son nombre que par la rapidité de son annonce. Les débats gouvernementaux sont visiblement restés sous le radar médiatique.

F-16: un choix purement politique? «Nous aurions pu le faire l’année passée»

«L’élément déclencheur est purement politique, juge Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM), spécialiste de l’économie de Défense. En termes militaires, on pouvait se passer de quelques F-16 dès le début de la guerre. Au moins quatre, pour montrer, de façon symbolique, qu’on soutenait l’effort ukrainien», regrette-t-il.

Pour l’expert, si notre propre défense est évidemment importante, les tâches de surveillance aériennes peuvent être réparties entre membres de l’Otan. «Le fait d’avoir fermé la porte au début était politique», tranche-t-il.

Et ce ne sont pas les F-35, initialement prévus pour 2024 mais qui n’arriveront pas cette année, qui auraient fait pencher soudainement la balance. «Nous aurons probablement l’entièreté des F-35 en 2030. D’ici là, nous pouvons donc progressivement céder des F-16. Mais nous aurions déjà pu le faire l’année passée», insiste Wally Struys.

Dès le début des débats otaniens sur la possibilité d’envoyer des avions de combat à l’Ukraine, la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), avait précisé que la Belgique ne pouvait pas livrer des F-16 ‘immédiatement’. «Le ‘immédiatement’ est important, précise son cabinet. La raison principale de ce délai se justifie par l’utilisation opérationnelle des avions par la Belgique. Elle comprend la formation des pilotes et le maintien de la police du ciel en Belgique et dans les Etats baltes, entre autres. Les décisions qui ont été prises par la suite confirment bien cette réalité. D’ailleurs, sur base d’une étude confidentielle de l’Etat-major militaire, la Ministre a exposé clairement les défis liés à la transition en cours entre la capacité F-16 et F-35 aux membres du gouvernement.»

F-16: cannibalisation et flotte divisée par deux

En tout, la Belgique détient 45 chasseurs F-16 monoplaces et 8 F-16 biplaces (destinés à la formation). Le nombre d’avions qui volent réellement correspond environ à la moitié de ce total. Ce constat est aussi valable pour les autres pays. Il s’explique par les règles aéronautiques qui imposent des périodes de maintenance pour les appareils. Ainsi, diviser la flotte totale par deux permet de se faire une idée plus précise des avions réellement disponibles pour les opérations.

Dans ce ballet d’avions qui transitent entre opérabilité et maintenance, la disponibilité des pièces de rechange est un élément qui joue beaucoup dans l’équation. «On peut par exemple cannibaliser un avion qui ne vole pas, c’est-à-dire lui extraire une pièce pour la poser sur un avion en opération», explique Wally Struys.

Pièces de rechange

«Etant donné que nous sommes en bout de course de la vie du F-16, et que beaucoup de nations en disposent, la disponibilité des pièces est en flux tendu, indique le cabinet Dedonder, qui précise que la ministre est favorable au don de l’entièreté de notre flotte de F-16 à partir du moment où les F-35 seront livrés en suffisance pour continuer les opérations de formation, d’entraînement, et de réserve stratégique pour la surveillance du ciel. Les dons ne se font jamais au détriment de notre sécurité et de notre opérationnalité», assure-t-on.

«La livraison des F-16 à l’Ukraine sera coordonnée avec l’arrivée de nos nouveaux avions, les F-35, et dépend de l’approvisionnement en pièces de rechange pour les F-16. Cela garantit que notre propre capacité de défense reste intacte et même renforcée. Actuellement, la Défense est pleinement mobilisée à la formation des pilotes ukrainiens et à la maintenance adéquate des avions pour garantir leur opérationnalité sur le terrain», ajoute le cabinet.

Comment est-on arrivé à une promesse de 30 appareils F-16?

Le chiffre 30 est en réalité une estimation écrite dans l’accord, qui correspond au nombre d’avions belges dont le compteur est inférieur aux 8.000 heures de vol, seuil maximal garanti par le constructeur américain Lockheed Martin. Tout n’est cependant pas à jeter si un chasseur atteint les 8.000 heures: certaines pièces peuvent être interchangeables. Et lorsqu’elle réalise un don, la Belgique inclut systématiquement les packages de pièces de rechange, indispensables au bon entretien.

«L’idée est de réaliser les livraisons au fur et à mesure, en fonction des besoins ukrainiens», indique le cabinet de la ministre PS. Mme Dedonder, depuis le début, s’est appuyée sur les rapports de la composante air de l’armée belge, qui ne préconisait pas des livraisons immédiates en raison des besoins nationaux, nous explique-t-on. «Il y avait toujours un aspect technique dans le fait qu’on ne pouvait pas les livrer dans l’immédiat. Cela n’a jamais été idéologique ni politique.»

  • Le positionnement qui préconise des dons immédiats et massifs se heurtent en effet à plusieurs réalités.
  • L’Ukraine n’a pas encore suffisamment de pilotes formés;
  • Les pistes nécessaires aux décollages de F-16 ne sont pas encore disponibles en Ukraine (qui utilise historiquement des Sukhoï soviétiques);
  • Les hangars pour leur stockage ne sont pas suffisants;
  • Les techniciens ne sont pas assez nombreux (pour un pilote, il faut 40 techniciens);
  • Les capacités de défense aériennes nécessaires à la protection des avions sur le sol ukrainien ne sont pas toujours réunies.

« Tout le monde est conscient de l’urgence »

«Si tout le monde est conscient de l’urgence, on ne peut pas ignorer tous ces aspects techniques nécessaires pour garantir l’efficacité d’un don, explique le cabinet Dedonder. La transmission des connaissances pour le maintien de la flotte F-16 est tout aussi primordiale que le don en lui-même. Les entreprises belges sont d’ailleurs parmi les seules en Europe qui peuvent le faire au nom du constructeur.»

Une fois donnés, la Belgique ne compte plus récupérer ses appareils. «En guerre, ces F-16 risquent d’être abattus ou endommagés. De toute façon, ils finiront par dépasser largement les 8.000 heures pour être réutilisés par la Belgique ensuite», estime Wally Struys.

Des contreparties?

Cet accord bilatéral chiffré à près d’un milliard d’euros en faveur de l’Ukraine contient-il des contreparties cachées pour la Belgique? «Non, assure le cabinet Dedonder. Il s’agit d’un don pur et simple.» Même si, sur le long terme, il permet d’améliorer les relations diplomatiques et la confiance mutuelle entre les pays. «Mais on ne parle pas d’un retour sur investissement.»

« Quand Zelensky vient à Bruxelles pour quelques heures, dans un contexte de guerre, on ne parle pas de possibles futurs avantages sur les céréales, commente Wally Struys. Les accords commerciaux au long cours se situent davantage au niveau de l’Europe. Et si l’Ukraine devient membre de l’UE, on pourra alors attendre d’elle certaines facilités sur les produits agricoles, par exemple. Cependant, les coûts post-guerre dureront encore très longtemps, avec le défi onéreux de la reconstruction.»

Qui peut alors (ré)compenser les Etats donateurs? Pas grand-monde, en réalité. La solidarité entre les alliés européens peut jouer. Les Américains pourraient aussi contribuer d’une certaine façon, même si tout dépendra de l’identité des futurs présidents. Et dans certains cas précis, l’Europe peut entrer en ligne de compte. Elle prévoit en effet des capacités de remboursement pour les Etats qui achètent directement du neuf après une vente ou un don. De là à récupérer l’entièreté de la valeur cédée, on est à des années lumières. Ou à 8.000 heures de vol, c’est selon.

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