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Bientôt le retour du service militaire? Pourquoi l’annonce de Theo Francken est un «signal d’alerte» à la population
Trente ans après sa disparition, le service militaire (volontaire) pourrait signer son grand retour en Belgique. Une manière de répondre aux impératifs de recrutement de la Défense, tout en conscientisant la population au changement de paradigme géopolitique auquel le pays est confronté.
La fin d’une ère. Le 1er mars 1995, quelque 820 «miliciens» quittaient leurs casernes respectives pour regagner leurs foyers. La suspension définitive du service militaire obligatoire, votée quelques mois plus tôt par le gouvernement Dehaene I, mettait fin à plus de 165 années de conscription en Belgique et à la mobilisation de millions de jeunes hommes. Pile 30 ans après sa disparition, l’idée refait à nouveau surface.
Mentionnée dans l’accord de gouvernement de l’Arizona, la piste a récemment été confirmée par le ministre de la Défense, Theo Francken (N-VA). Le nationaliste flamand en a détaillé les contours dans les colonnes de Sudinfo. L’engagement militaire se ferait ainsi sur une base volontaire, pour une durée de douze mois. Il remplacerait le service d’utilité collective, ressuscité par sa prédécesseure Ludivine Dedonder (PS). «Tous les jeunes, hommes et femmes de 18 ans, recevront une lettre de ma part pour les inviter à rejoindre la Défense», a ajouté le ministre, qui souhaite lancer le projet «dès que possible».
L’ambition de Theo Francken s’inscrit dans la lignée du plan Star, qui prévoit d’atteindre les 29.000 militaires dans les rangs de l’armée belge d’ici à 2030 (contre 26.000 en 2021). En parallèle des efforts de recrutement, le gouvernement De Wever souhaite également augmenter le budget de la Défense, pour flirter avec les 2% du PIB à la fin de la législature, et avec les 2,5% en 2034 au plus tard.
(R)éveiller la population
Des investissements justifiés par la nécessité, pour la Belgique, de satisfaire ses obligations envers l’OTAN face à un «avenir incertain». Pas surprenant, d’ailleurs, que l’annonce de Theo Francken intervienne dans un contexte géopolitique particulièrement instable pour l’Union européenne, reléguée au second plan des négociations russo-américaines sur la question ukrainienne. Face au risque d’extension du conflit, l’idée d’un service militaire pourrait ainsi trouver un écho positif au sein de la population. «Il est toujours plus facile de réunir l’ensemble des forces autour d’un objectif commun quand il y a une menace extérieure qui se précise», estime Vincent Yzerbyt, professeur de psychologie sociale à l’UCLouvain. Plus le risque sera perçu comme réel, plus l’adhésion de la population à un investissement massif dans la Défense (sous toutes ses formes) sera renforcée. Les restrictions imposées durant la pandémie, auxquelles la majorité des Belges ont souscrit dans un premier temps, ont d’ailleurs confirmé cette corrélation «risque-adhésion».
L’annonce de Theo Francken peut aussi s’apparenter à une volonté de conscientiser les Belges face aux risques sécuritaires posés par la Russie. «Cela peut être une manière détournée, voire indirecte, d’avertir qu’on entre dans une ère géopolitique un peu différente, note Vincent Yzerbyt. C’est un signal d’alerte envoyé à la population, pour lui faire comprendre que, face à la défection de l’allié traditionnel américain, il faut en quelque sorte se mettre en état de marche.»
Offrir une possibilité d’agir
La déclaration du ministre de la Défense rejoint d’ailleurs l’évolution du discours officiel ces derniers jours, qui tend progressivement à se durcir. A commencer par les avertissements lancés par le Premier ministre, Bart De Wever, à l’issue du minisommet organisé par le président français, Emmanuel Macron. «Nous devons nous préparer défensivement face à la menace d’un tyran, à l’est, qui ne disparaîtra pas tout de suite», a mis en garde le nationaliste flamand. Un constat partagé par Frederik Vansina, le chef de la Défense. «On n’est pas encore en temps de guerre, mais on n’est plus en temps de paix non plus», a-t-il lancé sur les ondes de La Première (RTBF), jeudi dernier. Dans Le Soir, le patron de l’armée belge a même invité ses concitoyens à faire des provisions «si les réseaux bancaires ou d’approvisionnement en vivres sont paralysés par des cyberattaques».
Cette préparation psychologique, qui a «valeur de signal», peut in fine faire évoluer les normes sociales, estime Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB: «Les normes sociales peuvent communiquer à la population ce qu’il est pertinent de penser et sont, en général, beaucoup plus prédictives du comportement des individus que leurs croyances individuelles.» Une stratégie également développée en Scandinavie, rappelle Vincent Yzerbyt. En novembre 2024, la Suède a ainsi débuté l’envoi de cinq millions de brochures préventives à ses concitoyens, les encourageant à se préparer à un conflit armé. Au même moment, le gouvernement finlandais lançait un site web répertoriant des conseils de préparation en cas de crise.
Offrir ces pistes de solutions permet en outre d’alléger le caractère anxiogène de la situation. «Dans des contextes où la peur peut prévaloir, le fait d’avoir une possibilité d’agir est souvent salutaire, confirme Vincent Yzerbyt. Au contraire, agiter une menace sans proposer un levier d’action est davantage contre-productif. En développant le service militaire volontaire, le gouvernement offre à une catégorie de la population la possibilité de ne pas rester les bras ballants face à l’angoisse.»
Des conditions attractives?
D’autant qu’en insistant sur le caractère volontaire (et non obligatoire) de la mesure, les autorités évitent le phénomène de «réactance», un mécanisme de défense psychologique qui consiste, pour l’individu qui croit sa liberté d’action ôtée ou menacée, à la maintenir à tout prix. «Obliger les gens à faire quelque chose, c’est risquer de les démotiver, résume Olivier Klein. Or, ici, les jeunes vont choisir de s’impliquer délibérément, peut-être par sens du devoir, ce qui peut susciter un effet d’entraînement si l’expérience du service militaire est positive.»
Reste à savoir qui souhaitera réellement prendre part à ce nouveau service… et y restera. Alors qu’en 2024, quatre candidats militaires sur dix ne sont pas allés au bout de leur formation, le succès de la mesure dépendra des conditions d’accueil offertes par la Défense à ces jeunes recrues. L’encadrement, sur le plan humain et matériel, sera-t-il suffisant? «Non», répondent d’emblée les syndicats interrogés par la RTBF, qui s’inquiètent également de l’attractivité financière du service. «Si on attire les jeunes comme par le passé avec une solde (NDLR: rémunération habituelle d’un militaire ou soldat) de 50 euros par mois, on n’aura pas des quantités de candidats, avec la difficulté du pouvoir d’achat…», tranche Boris Morenville de la SLFP-Défense.
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