Thierry Fiorilli
Déclaration de patrimoine : qui trop embrase mal éteint
C’est en fin d’après-midi, aujourd’hui, que les déclarations de patrimoine des 37 ministres français seront mises en ligne (sur ). Beaucoup de bruit pour rien ? C’est à craindre.
Voilà donc la première salve de « la lutte implacable contre les dérives de l’argent » décrétée par le président français, François Hollande, après l’invraisemblable affaire Cahuzac, du nom de son désormais ex-ministre du Budget, qui a admis, après l’avoir nié durant des semaines dans toutes les langues, avoir un compte caché en Suisse : la publication du patrimoine de tous les membres de l’actuel gouvernement hexagonal. La deuxième salve est prévue pour la semaine prochaine avec, ce 24 avril, le projet de loi sur « la moralisation de la vie politique ».
Tout ça, toute cette urgence, au nom de « la transparence ». Mais, pour beaucoup, on est davantage dans « le déballage », « le voyeurisme », « le populisme », « la démagogie » (60 % des Français seraient favorables à la divulgation du patrimoine de leurs dirigeants politiques), « l’hypocrisie » (55 % des Français seraient sceptiques sur l’efficacité de cette mesure…).
Bref : on demande de montrer tout ce que « les politiques » ont en poche, dans leur coffre-fort, à la banque, sous leur matelas, dans leur bas de laine, pour qu’ils prouvent qu’ils n’ont rien à cacher, qu’ils sont « clean », qu’ils se rapprochent d’êtres irréprochables, etc. Mais le doute, le soupçon, la méfiance, le cynisme en somme sont plus forts : de toute façon, le pouvoir corrompt, ils mentent, pourquoi laveraient-ils leur linge plus blanc que blanc, qu’on ne nous fasse plus prendre des dirigeants pour des modèles de pureté.
D’autant que, ce matin déjà, le ministre des Relations avec le Parlement a annoncé que, si les ministres français publieront leurs avoirs, ils ne publieront pas leurs feuilles d’impôts. D’autant aussi, que, chez nous, en Belgique, les élus et hauts fonctionnaires publient leur déclaration de patrimoine (c’est la Cour des comptes qui les recueille et seul un juge d’instruction peut y accéder si une enquête est ouverte contre l’un de ces élus ou hauts fonctionnaires ; médias et citoyens n’y ont donc pas accès) et que les élus publient chaque année au Moniteur (accessible à tout le monde) la liste des mandats qu’ils exercent et la rémunération qui y correspond : or, le (res)sentiment général, « du grand public », est comparable à celui en vigueur en France. À savoir, grosso modo : « ils » gagnent trop, « ils » détiennent trop de mandats, « ils » gardent un autre métier qu’ « ils » peuvent reprendre une fois leur carrière politique finie, en plus de la pension qu’ « ils » touchent pour avoir exercé un mandat gouvernemental, etc.
Cette conviction du « tous pourris », vieille comme le monde, mais que les périodes de crise ravivent et décuplent, ne sera dissipée par aucune publication de déclarations, quelles qu’elles soient. Elle enflera, au contraire, à la lecture, précisément, du patrimoine, de la fortune, des dépenses, des dotations, des rentrées de tous ceux qui occupent une fonction dirigeante, du ministre au patron, du roi au président du conseil d’administration. Parce que, comme le résume le sociologue Gérald Bronner dans son dernier ouvrage, La démocratie des crédules (Puf, 2013), « la libre circulation de l’information et l’augmentation du niveau d’étude n’a pas fait tendre les sociétés démocratiques vers une forme de sagesse collective. D’une façon générale et à propos de nombre de questions ayant trait à la santé publique, aux enjeux environnementaux, aux sujets économiques, à l’exercice du pouvoir politique, à la diffusion de l’information dans les médias conventionnels…, un doute paraît ronger nos contemporains. »
Un doute. Donc, une absence de confiance. À l’égard, dans ce cas, « des dirigeants politiques. »
Sans tirer davantage sur l’ambulance, le corbillard même sifflent certains, on est en droit d’affirmer que ceux-ci paient, quoi qu’ils fassent, la fracture grandissante qui sépare leurs actions, leurs discours, leurs conceptions du pouvoir des attentes, jusqu’aux plus incohérentes, de ceux qui les élisent.
Ces citoyens qui sont moins responsables de ce fossé que ceux qui les administr(ai)ent.
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