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Déchets nucléaires: un stockage géologique à 12 milliards d’euros

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Volume, durée de radioactivité, coût du stockage à long terme… Voici tout ce qu’il faut savoir sur nos déchets nucléaires, dont l’avenir pluriséculaire fera l’objet d’un grand débat sociétal en 2023.

En surface ou à 400 mètres sous terre, ils resteront radioactifs pendant des centaines de milliers d’années. L’avenir des déchets nucléaires, fardeau d’une filière émettant particulièrement peu de CO2, revient logiquement au-devant de la scène depuis l’accord survenu ce 9 janvier en vue du redémarrage de deux réacteurs nucléaires (Doel 3 et Tihange 4) dès l’hiver 2026. D’ici au 15 mars prochain, le gouvernement et Engie doivent s’entendre sur le forfait dont l’exploitant des deux centrales nucléaires belges devra s’acquitter pour la gestion de ces déchets nucléaires. Le montant résultera d’une méthode de calcul appliquée par l’organisme fédéral qui en a la responsabilité (l’Ondraf) et la Commission des provisions nucléaires (CPN).

De quels déchets parle-t-on ?

L’Ondraf répartit les déchets nucléaires en trois catégories : A, B et C, selon leur durée de vie et leur niveau d’activité :

  • La catégorie A comprend les déchets de faible ou moyenne activité et à courte durée de vie. « Il s’agit, par exemple, de vêtements de protection, de matériel utilisé dans les hôpitaux, de béton, de métaux issus du démantèlement d’une installation nucléaire, détaille Sigrid Eeeckhout, porte-parole de l’Ondraf. Avant de les stocker, on réduit leur volume, notamment via l’incinération. »
  • La catégorie B concerne les déchets de faible ou moyenne activité mais à longue durée de vie, provenant notamment de la fabrication de combustibles nucléaires, de la recherche nucléaire ou encore de certaines pièces des réacteurs.
  • La catégorie C regroupe les déchets à haute activité et à longue durée de vie, dont le niveau de rayonnement implique une importante émission de chaleur. C’est à cette catégorie qu’appartiennent notamment les combustibles nucléaires usés.

 

Crédit : Ondraf

Quelle durée de radioactivité ?

« Chaque isotope radioactif a une période radioactive qui lui est propre, allant de quelques fractions de secondes jusqu’à des milliards d’années, précise Pascal Froment, chargé de cours invité à l’UCLouvain et directeur de Be.Sure, l’un des organismes agréés en radioprotection. Une période radioactive correspond au temps nécessaire pour que le déchet perde la moitié de son activité. »

La « courte durée de vie » évoquée dans la catégorie A concerne des déchets dont la période radioactive s’étend sur maximum trente ans. « Après 60 ans, il reste donc un quart de l’activité, après 90 ans, un huitième, et ainsi de suite, poursuit l’expert. Au bout de 300 ans, vous avez perdu mille fois l’activité de départ. » Pendant toute cette période, ces déchets doivent donc être isolés de l’homme et de l’environnement. Pour les composants à longue durée de vie, relevant des catégories B et C, le danger radioactif perdure pendant des centaines de milliers d’années.

Quelles solutions de stockage et à quel coût ?

Actuellement, tous les déchets déjà produits en Belgique sont entreposés de manière sécurisée mais provisoire. Soit à Dessel, en province d’Anvers, soit sur les sites des centrales nucléaires de Doel et Tihange, pour les éléments de combustibles usés. A terme, le pays mise sur deux solutions de stockage :

  • Les déchets de catégorie A seront stockés en surface pendant environ 350 ans. « Nous travaillons déjà depuis plus de vingt ans avec Dessel pour y réaliser un stockage en surface, commente Sigrid Eeckhout de l’Ondraf. Nous attendons une autorisation de l’AFCN (NDLR : l’Agence fédérale de contrôle nucléaire) pour 2023, en vue de commencer la construction du site définitif en 2024 et de stocker les premiers déchets en 2027. »
  • Les déchets de catégorie B et C, y compris ceux qui ne proviennent pas des centrales nucléaires, seront quant à eux stockés à quelques centaines de mètres sous terre, comme le confirme un arrêté royal adopté en novembre 2022. Si le(s) lieu(x) de stockage ne sont pas encore identifiés, l’Ondraf connaît déjà les zones de prédilection, en fonction de la géologie : «  Il y a une possibilité dans l’argile peu indurée du nord-est de la Belgique et une deuxième dans le schiste, au sud du pays ».

Vu sa complexité, cette solution de stockage géologique, notamment à l’étude depuis des décennies au centre de recherche nucléaire belge de Mol (SCK CEN), ne verra pas les entrailles du sol belge avant des décennies. Pour en estimer le coût, l’Ondraf est parti de l’hypothèse d’un stockage sur un seul site, à une profondeur de 400 mètres et dans une argile peu indurée. Montant de l’ardoise, qui n’a cessé d’être revue à la hausse ces dernières années : 12 milliards d’euros.

Quel volume ?

A ce jour, le site de Belgoprocess, à Dessel, entrepose environ 18 601 m³ de déchets de faible activité, 4 000 m³ de moyenne activité et 400 m³ de haute activité. A cela s’ajoutent les volumes stockés provisoirement à Doel et Tihange.

D’après les estimations de l’Ondraf, le futur site de stockage géologique à définir par la Belgique devra isoler quelque 9 100 m³ de déchets de catégorie B et de 2800 m³ de catégorie C. Il reste néanmoins une incertitude relative aux déchets sur les sites de Doel et de Tihange. Depuis les années 1990, la Belgique applique un moratoire empêchant le retraitement du combustible nucléaire usé. « Si on décide à l’avenir de les retraiter, on aura besoin de deux km² de superficie, poursuit Sigrid Eeeckhout. Dans le cas contraire, il en faudra le double. Ce critère génère également une différence de coût. »

Quel avenir ?

Les combustibles nucléaires usés auront-ils encore le statut de déchets dans plusieurs dizaines d’années, au gré de l’innovation scientifique ? La question demeure ouverte. « Ces combustibles pourraient, dans les années à venir, devenir une source d’énergie, conclut Pascal Froment. Rappelons que dans les années 1930-40, des sources de radium 226 ont été utilisées pour une série de choses, avant d’être délaissées et considérées comme un déchet à évacuer. Or, voilà qu’aujourd’hui, on pourrait en avoir besoin pour des processus de production de radioisotopes à usages médicaux. Il faut donc garder une ouverture à la science, en sachant que la réutilisation est toujours préférable à la mise en décharge. »

Courant 2023, la Fondation Roi Baudouin chapeautera un vaste débat sociétal sur l’avenir des déchets nucléaires et les modalités de leur stockage futur, jetant ainsi les bases de décisions à calibrer sur un horizon temporel étourdissant.

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