Décès de Sanda Dia, l’affaire qui choque la Flandre: « C’était le temps fort du baptême et personne n’a vu quoi que ce soit »
Vendredi dernier s’est ouvert en Flandre le procès contre les 18 membres du club étudiant Reuzegom. Les prévenus doivent répondre d’administration de substances nocives, de traitement dégradant, d’homicide involontaire et de négligence coupable à l’égard de Sanda Dia, un étudiant de 20 ans. Plusieurs d’entre eux affirment n’avoir pas assisté au moment où l’état de santé de la victime s’est dégradé.
Les anciens membres du club risquent des peines de prison allant jusqu’à 15 ans. Le 5 décembre 2018, le cercle estudiantin avait organisé une épreuve de baptême à laquelle ont pris part Sanda Dia, 20 ans, et deux autres « bleus ». L’activité avait débuté à Louvain et s’était poursuivie dans un chalet à Vorselaar (province d’Anvers) où la victime avait dû rester plusieurs heures dans un puits glacé. L’état de santé du jeune homme s’était nettement dégradé après avoir ingurgité de l’alcool et de l’huile de poisson. La victime, originaire d’Edegem en province d’Anvers, était décédée le 7 décembre 2018 à l’hôpital.
« Personne n’a vu quoi que ce soit »
Interrogés par la présidente du tribunal, les membres du club ont donné leur version des faits. Entendu lundi, G.A., surnommé Shrek, a ainsi raconté qu’à Vorselaar, les bleus ont dû creuser le puits dans lequel ils allaient devoir se blottir. Il a précisé que Sanda Dia a participé à ces manoeuvres d’excavation, ce qui a fait réagir le père de la victime, Ousmane Dia, qui a crié que le prévenu mentait. Le père a dû quitter la salle.
G.A. a indiqué qu’il se trouvait à l’intérieur du chalet quand l’état de santé de la victime s’est fortement dégradé. Il a déclaré qu’il n’avait pas assisté au rituel des petits poissons et de la sauce au poisson, car lui et les autres comitards étaient dans la cuisine du chalet à ce moment-là. « C’est le temps fort du baptême et personne n’a vu quoi que ce soit », a relevé la présidente après l’explication de Shrek.
Comme Sanda présentait des signes d’hypothermie, il a été sorti du puits et placé près du feu de camp. « Son état s’est rapidement détérioré. J’ai d’abord pensé que cela était dû au froid », poursuit Shrek. « Après, nous avons encore discuté 10 à 15 minutes afin de savoir ce que nous devions faire et nous avons essayé de le mettre dans la voiture. »
« Les plus anciens ne voulaient pas que ce soit un jeune qui décide de tout »
K.V., parrain de l’un des trois bleus qui passait l’épreuve fatale, affirme également n’avoir rien vu du rituel des poissons. En compagnie d’un autre comitard, P. M., K. V. avait déposé les bleus à Vorselaar et n’était revenu sur place que lorsque le rituel de baptême était bien engagé. Ils étaient d’abord allés faire des courses et chercher du bois. « J’ai vu les bleus et j’ai demandé à C. [un autre bleu] si tout allait bien. J’ai alors commencé à décharger le bois et à préparer le barbecue. On était sur place pour dire qu’on y était. Je n’ai pas vu s’ils avaient déjà ingurgité les poissons. »
Après avoir déchargé les courses et le bois, il est parti vers la friterie, mais en chemin, il a reçu un appel téléphonique lui demandant de revenir immédiatement. « J’ai alors demandé à P. M. ce qu’il y avait et il a indiqué qu’il valait mieux aller à l’hôpital. » Mais les plus anciens ne voulaient pas que ce soit un des jeunes qui décide de tout. « Ils voulaient que cela vienne de tout le monde. Mon réflexe était d’agir le plus rapidement possible et de partir. »
« Vous êtes fier d’avoir passé votre baptême »
Interrogés par la présidente du tribunal, les participants au baptême donnent leur version des faits. Ainsi, B. P est revenu sur son propre baptême. « Aussi stupide que cela puisse paraître, à la fin, vous êtes fier d’avoir passé votre baptême », a-t-il affirmé. Les rituels subis par Sanda Dia n’étaient pas neufs. B. P. a également subi ces épreuves au sein de Reuzegom, dont celle d’ingurgiter des petits poissons vivants avant de se faire vomir en buvant de l’huile de poisson.
Le baptême de B. P. a lui aussi mal tourné, a-t-il fait savoir devant le tribunal. Il n’est pas parvenu à régurgiter le poisson et a donc bu d’énormes quantités d’huile de poisson. « J’ai aussi connu des états d’inconscience lors de mon année de bleu. » Le jeune homme pensait que cela était dû à une hypothermie.
Contrairement à Sanda Dia, il a pu rapidement récupérer près du feu de camp et son baptême s’est même poursuivi, ce qui a fait réagir la présidente du tribunal. Et lui de répliquer: « Tu sais que cela va être dur. Aussi absurde et stupide que cela puisse paraître, on est finalement fier d’avoir passé le baptême. » Mais pourquoi B. P., présent à Vorselaar la nuit des faits, a-t-il infligé à une autre personne ce que lui-même n’avait pas apprécié quand il a dû le subir, a demandé la présidente. « Je me pose moi-même cette question », a-t-il commenté.
« Nous n’avons pas mesuré les conséquences d’une surdose d’huile de poisson »
S. J., qui encadrait également l’épreuve de baptême, s’est aussi exprimé lundi. Il a fourni une version assez divergente de celle de G. H. (Shrek), notamment autour de la participation ou non de Sanda Dia aux travaux d’excavation du puits. G. H. a prétendu que Sanda Dia y avait pris part, mais S. J. prétend que la victime n’était pas en état de tenir une pelle.
« Sanda avait du mal après sa cuite de la veille et ne se voyait pas commencer à creuser. Nous avons laissé les deux autres bleus travailler et j’ai emmené Sanda sur un banc, plus loin, pour lui donner un ice-tea. Comme il s’est senti mieux dix à quinze minutes plus tard, il est revenu près du trou, mais le puits avait déjà été creusé. »
S. J. affirme également ne pas avoir assisté au rituel des petits poissons. Les bleus doivent avaler un petit poisson avant de le régurgiter à l’aide d’huile de poisson. Les médecins légistes ont établi que la victime avait succombé à un oedème cérébral aigu provoqué par une concentration trop élevée de sodium dans le sang.
S. J. confirme également que des discussions ont eu lieu lorsqu’il a été constaté que l’état de santé de Sanda Dia empirait. « On a discuté avec des gens qui voulaient d’abord tenter autre chose avant l’hôpital. Ils voulaient lui donner des vêtements plus chauds et le mettre dans la voiture avec du chauffage. J’étais plutôt d’avis de partir immédiatement pour l’hôpital. »
Avec Belga