Débat de pensions : « Seuls les employeurs ne se plaignent pas »
Les nouvelles pleuvent à propos des pensions. On annonce et on prend des mesures, mais on les reporte ou on retourne en arrière. Du coup, elles entraînent souvent la confusion et l’insatisfaction, auprès du public et des politiques. Nos confrères de Knack ont réuni Jan Spooren et Kim De Witte, spécialistes des pensions de la N-VA et du PTB. Très vite, le débat s’est enflammé.
Jan Spooren, expert en pensions de la N-VA, et Kim De Witte, son homologue au PTB, ne se connaissent qu’à travers des opinions dans lesquelles ils se volent régulièrement dans les plumes. Pourtant, ils sont d’accord sur certains éléments. Par exemple sur la réponse à cette question :
Jusqu’à présent, quelle mesure du ministre Bacquelaine est la plus importante?
Jan Spooren: La révélation de l’âge de la pension à 67 ans ne passe pas inaperçue. C’était une des premières mesures du ministre, et elle a causé beaucoup d’agitation.
Ce n’est pas étonnant: elle ne figurait dans le programme électoral d’aucun parti du gouvernement.
Spooren: C’est exact, mais elle découlait du rapport de la Commission de réforme des Pensions 2020-2040 du président Frank Vandenbroucke (sp.a). Après, je ne trouve pas que ce soit une bonne idée de sortir une seule mesure. Il faut voir l’ensemble.
Frank Vandenbroucke reproche justement un manque de vision au gouvernement Michel, avec toutes ces petites mesures de pension.
Spooren: Vandenbroucke trouve qu’il faut d’abord créer une adhésion large auprès de la population avant de bouleverser le système. Eh bien, vous ne trouverez jamais cette adhésion. Il y aura toujours bien un groupe qui critiquera le fait de devoir travailler plus longtemps, ou certaines pensions trop élevées.
Il y a d’ailleurs bel et bien une vision globale derrière les mesures individuelles. Nous devons travailler plus longtemps avec moins de périodes dites assimilées, et il faut harmoniser les différents régimes de pensions.
Kim De Witte: Cet âge de 67 ans était frappant, mais la commission Vandenbroucke n’a pas plaidé pour ces 67 ans. Elle a calculé que faire travailler tout le monde deux ans de plus permettra d’économiser seulement 1 à 1,6% du produit intérieur brut (PIB). C’est autour des 4 milliards. Eh bien, la baisse de cotisations sociales par le tax shift coûte également 3 à 4 milliards par an. Au fond, ce tax shift finance toutes les personnes qui doivent travailler plus longtemps.
Et il y a une autre mesure qui fait travailler plus longtemps. Avant, il était possible de prendre sa retraite anticipée vers ses 60 ans, après 35 ans de carrière. Aujourd’hui, ce n’est possible qu’à partir de 63 ans, après 42 ans de carrière. Beaucoup de femmes n’atteignent pas ces 42 ans, et ne pourront prendre leur pension qu’entre 64 et 67 ans. La prépension est pratiquement supprimée, à moins qu’on ait eu une longue carrière et qu’on ait commencé très jeune. On met progressivement un terme aux périodes assimilées pour le chômage, le crédit-temps, et l’interruption de carrière. Les emplois de fin de carrière sont possibles uniquement à partir de 60 ans, etc. Le gouvernement Di Rupo a réduit le bonus pension, qui stimulait les personnes à travailler plus longtemps, le gouvernement Michel l’a supprimé. Toutes ces mesures reviennent à ça: chacun est obligé de travailler plus, et aura une pension moins élevée.
Spooren : Le bonus pension était une bonne idée, mais il coûtait trop cher par rapport à ce qu’il rapportait. Aujourd’hui, on regarde toute la carrière. Celui qui travaille plus de 45 ans, accumule plus de droits de pension. C’est beaucoup plus transparent qu’un bonus. Les gens qui exercent un métier lourd bénéficieront d’une prime s’ils travaillent plus longtemps. L’important, c’est effectivement de travailler plus et plus longtemps, avec moins de périodes assimilées. C’est la seule manière de garder les pensions payables.
De Witte: Il y a un groupe qui ne se plaint pas: les employeurs. Parce que les véritables alternatives pour payer de meilleures pensions ne passent pas. Les cotisations patronales ont été baissées et il n’y aura pas d’impôt de fortune, bien que le rapport de Vandenbroucke plaidait en ce sens. Et je ne parle même pas de lutte contre la fraude efficace, qui peut rapporter des milliards. La perte de revenu à cause de la fraude et de l’évasion fiscales en Belgique est estimée à 30 milliards. Si nous arrivons à récupérer un dixième, il n’est pas nécessaire de relever l’âge de la pension.
Spooren: Il est évident qu’il faut s’en prendre à la fraude, mais les contributions sociales plus élevées détruisent l’emploi. Il faut augmenter notre degré d’activité pour pouvoir continuer à payer les pensions. Et la taxe des riches, pourquoi n’a-t-elle jamais été instaurée pendant toutes ces années de gouvernements de gauche ? Parce que ce n’est pas un moyen étanche et qu’elle touche surtout la classe moyenne.
Regardez l’Autriche. Là-bas, ils travaillent cinq ans de plus que nous, et ils contribuent plus. Quelqu’un qui travaille, rapporte environ 40 000 euros par an à l’État. Si en Belgique, on travaillait cinq ans de plus, cela rapporterait 1000 milliards d’euros en une génération. Cela explique pourquoi l’Autriche est capable de payer des pensions plus élevées, jusqu’à 85% du salaire. L’Autriche consacre 15% de son PIB aux pensions, nous 10% – et pourtant nous avons des pensions sociales beaucoup plus élevées. Nous dépensons simplement trop en revenus de remplacement de personnes qui ne travaillent pas : malades, invalides, chômeurs. Suite à ces dépenses, ils perdent deux fois. D’une part, les gens qui perçoivent un revenu de remplacement ne contribuent pas, et d’autre part, ils coûtent de l’argent à la sécurité sociale.
Mais je suis optimiste: avec les mesures actuelles, nous maintenons les pensions légales. D’ici 2050 les coûts du vieillissement seront réduits de moitié, et à terme, nous pourrons augmenter les pensions.
Vous promettez donc que les futurs pensionnés auront une pension légale plus élevée?
Spooren: La pension légale, le premier pilier, continuera à exister. Et je suis optimiste : les pensions augmenteront encore, de sorte que nous puissions continuer à prendre des mesures qui nous feront travailler plus longtemps. Le changement de mentalité nécessaire à cela est déjà pleinement en cours.
Si à terme les pensions légales augmentent pour ceux qui ont travaillé plus de 45 ans, monsieur De Witte, de quoi vous plaignez-vous?
De Witte: (rires) C’est tout à fait inexact. Ce gouvernement diminue la pension légale. Aujourd’hui, qui atteint une carrière de plus de 45 ans ? Les gens qui ont commencé à travailler avant leur vingtième anniversaire, qui exerçaient des métiers lourds et qui pour cette raison ont intégré le système de prépension ou qui y ont été contraints. Les chiffres officiels de l’administration des pensions révèlent que pour quatre personnes sur cinq qui ont une longue carrière cette mesure revient à une baisse de leur pension. Le gouvernement l’a inscrite comme une économie de 53 millions d’euros.
Ou prenez le fait de pouvoir accroître ses revenus de manière illimitée après 65 ans. Nous avons encore toujours plus de 600 000 chômeurs : ne ferions-nous pas mieux de leur trouver un emploi avant de les mettre en concurrence avec des personnes pensionnées de plus de 65 ans?
Qui parle ? Nous avons à peu près les pensions les moins élevées d’Europe occidentale, et sans toutes ces économies elles seraient impayables. C’est tout de même tout à fait illogique ? J’ai bien étudié le système autrichien, et ils consacrent presque la moitié de plus de leur PIB aux pensions. Il est également inexact que les Autrichiens ont des retraites plus élevées parce qu’ils travailleraient plus longtemps. Leur carrière moyenne est même plus courte que celle du Belge. Si les Belges et les Autrichiens travaillaient aussi longtemps et gagnaient exactement la même chose, les Autrichiens recevraient la moitié de plus de pension. Ce qui est exact, c’est que plus de personnes travaillent en Autriche, parce qu’ils investissent plus en emplois de fin de carrière, en période de repos et en travail adapté.
D’après le ministre Bacquelaine, les coûts de pension ont presque doublé en dix ans, jusqu’à 40 milliards d’euros. N’est-ce pas problématique ?
De Witte: Bacquelaine ment. Il ne faut pas comparer de montants absolus, mais des pourcentages du PIB. Ces quinze dernières années, les coûts de pension ont augmenté de 9 à 10,5% du PIB : c’est une hausse d’1,5 point pour cent. Est-ce un doublement ?
Spooren: Dans les années soixante, nous travaillions jusqu’à 64 ans et l’âge de mortalité moyen était de 68 ans. Il fallait donc payer 4 ans de pension. Aujourd’hui, nous atteignons la fin de la septantaine ou même 80 ans et nous ne travaillons que jusqu’à 59 ans. Cela signifie qu’on paie 21 ans de pension. On ne peut tout de même pas escamoter cette hausse énorme de coûts du vieillissement ?
De Witte: Vos chiffres de mortalité sont trompeurs et même peu scientifiques. L’espérance de vie a beaucoup augmenté parce qu’il y a moins de mortalité enfantine. Plus de personnes vieillissent, mais les personnes âgées ne vieillissent pas beaucoup. Celui qui n’a pas de diplôme vit entre 7 et 8,5 ans de moins et 18 à 25 ans de moins en bonne santé. Pour ces personnes, la pension anticipée ou la prépension est la seule façon d’encore un peu profiter de la vie en étant en bonne santé, après une vie de travail.
Suite à la baisse du chiffre de natalité, nous allons par exemple devoir payer moins d’allocations familiales. 643 000 baby-boomers partent à la retraite, ce qui libérera des emplois pour les chômeurs et nous permettra de payer moins d’indemnités de chômage. Nous ne pouvons pas faire une fixation sur les coûts de pension : tout est lié.
Spooren: Qui paie les pensions des baby-boomers? Les travailleurs. Aujourd’hui, 10 travailleurs paient pour 4,6 pensionnés. En 2050, 10 travailleurs paieront pour 7,3 pensionnés. Ce n’est de la faute de personne, mais cette évolution devient dramatique si nous ne compensons pas.
De Witte: Ces chiffres-là aussi sont unilatéraux: ils tiennent uniquement compte du nombre de personnes âgées qui s’ajoutent, et non du nombre en baisse de chômeurs et d’enfants. En Belgique, nous avons aujourd’hui 1,44 habitant non actif par habitant actif : c’est le ratio de dépendance économique. Ce ratio augmentera à 1,56. Une hausse légère donc. Qu’est-ce que cela a de dramatique? Rien du tout. Les dépenses supplémentaires pour le vieillissement sont en partie couvertes par une baisse de dépenses pour les allocations familiales, le chômage et l’incapacité de travail.
Finalement, qu’est-ce qu’une pension vivable pour vous?
Spooren: C’est difficile de citer un montant concret. Les pensions légales actuelles pour les employés sont trop faibles, et les pensions de fonctionnaires sont trop élevées. Évidemment, tout dépend de la situation individuelle : celui qui a une maison et un peu d’épargne pourra vivre de 1100 euros.
De Witte: Les pensions sont beaucoup trop élevées pour les magistrats, les professeurs, les diplomates, les hauts fonctionnaires et les parlementaires, mais non pour les fonctionnaires de niveau moins élevé tels que les facteurs ou le personnel de chemins de fer. Même chose pour les indépendants : il faut relever ces pensions.
En Autriche, la pension légale est de 1 800 euros, et ils reçoivent ce montant durant 14 mois. Un jour, nous avons organisé une enquête large sur les pensions : celle-ci a abouti à 1500 euros nets par mois. Cela me semble un montant décent.
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