Nicolas Baygert
De l’inévitable peopolisation
Hystérie et atrophie informationnelle semblent aller de pair dans les médias où les thématiques brûlantes se succèdent en s’annihilant. En France, il n’a fallu que quelques heures pour que l’affaire Gayet n’éclipse complétement la séquence Dieudonné : le marivaudage présidentiel plus fort que la quenelle. En Belgique, un Premier ministre est invité en prime time à faire son coming out capillaire : bigoudis et shampoing colorant, scoop ! L’émission Sans Chichis a drainé 205 000 téléspectateurs et presque autant de réactions négatives dans les rangs non-socialistes. Dans les deux cas, la peopolisation est en ligne de mire. Il s’agit ici d’en questionner les dérives.
Le courroux du MR traduit pourtant lui-même un glissement discursif « peopolisant ». Après Laurette Onkelinx (PS) – « La droite progressiste… Allô, non mais allô quoi » -, c’est à Charles Michel de s’inspirer de la téléréalité pour illustrer son indignation : « Quelle sera la prochaine étape ? Un dîner presque parfait, peut-être Star Academy, voire L’amour est dans le pré ? Non, je préférerais Koh-Lanta pour dire »Elio, l’aventure du tout au PS s’arrête maintenant ». » Face au « gauchichisme » décrié, une « nabillaisation » de l’argumentaire politique ?
Le politique puise depuis toujours dans une intertextualité populaire (l’ensemble des contenus alimentant notre inconscient collectif). Les références et extraits d’émissions remplacent aujourd’hui les locutions latines d’autrefois (encore préconisées par certains). Là où la métaphore littéraire aidait jadis à sortir de l’abstraction, c’est dans les « buzz » d’icônes prêtes-à-jeter du petit écran que s’approvisionne désormais le politique, considérant l’électeur comme spectateur d’un divertissement indifférencié. Un phénomène décrypté dans un ouvrage récent (1) dans lequel l’auteur rappelle que les électeurs, privés d’une vision claire quant aux enjeux politiques, ne s’engagent que rarement dans la prise de décision effective. La vox populi ? Un mythe. En démocratie, le droit de regard primerait ainsi sur le droit de parole. Reste au politique à offrir une grille de lecture décomplexée et adaptée. Un contexte où le déballage « sans chichis », la porte ouverte sur l’intime, devient synonyme de légitimité du pouvoir.
Or, dans une époque souffrant de « fièvre cafteuse », selon l’expression de Philippe Muray (2), il s’agirait même de tout montrer avant qu’il ne soit trop tard. En effet, comparons : d’un côté, la transparence subie, le dévoilement navrant d’un monarque républicain défroqué, de l’autre l’exhibitionnisme jovial et consenti d’un Premier se soumettant d’autant plus volontiers à l’exercice, qu’il ne participa pas à une seule émission politique en 2013.
Un choix judicieux ! En squattant le service public, Elio Di Rupo décide de rencontrer l’électeur sur son terrain, celui des émotions téléphonées et des rires en boîte. Mais à l’heure où la Une de Closer ringardise l’édito politique le plus dévastateur, la messe Di Rupienne en prime time vise surtout à contrôler le récit de vie porté à l’écran. Une hagiographie longuement ressassée mais méticuleusement cadenassée. Entre peopolisation en roue libre (de scooter) et biopic publi-rédactionnel, seul compte le monopole de l’énoncé. Objectif : abreuver le public hilare d’anecdotes inoffensives, en évinçant tout contre-récit hostile.
« L’homme politique se présente de moins en moins comme une figure d’autorité mais comme quelque chose à consommer, un produit de la sous-culture de masse, un artefact à l’image de n’importe quel personnage de série ou de jeu télévisé », note Christian Salmon (3). Une peopolisation maîtrisée permet dès lors de scénariser le réel, de rendre appétissante la politique aux palais gorgés de fast-food cathodique.
Aux commandes de son talk-show sur-mesure ou mis à nu sur papier glacé, l’élu émeut. Le trivial, la « séquence émotion », comme seuls moyens de se connecter à un public autrefois appelé citoyens ?
(1) J.E. Green, The Eyes of the People : Democracy in an Age of Spectatorship, Oxford/New York : Oxford University Press, 2010.
par Nicolas Baygert Chercheur au Lasco (UCL), enseigne les sciences politiques et sociales à l’Ihecs.
Retrouvez la chronique de Thierry Fiorilli le lundi à 7 h 20 sur Bel-RTL Matin.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici