Jules Gheude
De l’Etat de droit et de la particratie
On se souvient des coups de gueule poussés par le général de Gaulle contre ce qu’il appelait » le régime des partis « , ces partis dont l’omnipuissance plongeait la République dans l’instabilité gouvernementale permanente.
Chez nous, le constitutionnaliste liégeois François Perin se fit connaître par la rédaction, en 1961, d’un ouvrage au titre percutant : « La Démocratie enrayée ».
Dans cet essai « sur le régime parlementaire belge de 1918 à 1958 », l’auteur constate que ce régime est celui « de la confusion entre gouvernement, parlement et partis ». Des partis qui ont fini par envahir tout, grippant ainsi le bon fonctionnement des institutions.
Il appelle, dès lors, à une réforme profonde et à une conception différente des partis, lesquels, à ses yeux, doivent être « avant tout des associations libres de citoyens unis par une même conception politique et qui doivent être, par définition, totalement indépendants des pouvoirs, à peine de devenir des machines électorales groupant une médiocre clientèle intéressée, sans idéal et sans dynamisme ».
Cette aspiration resta, hélas ! lettre morte. Dans le bref discours qu’il prononce, le 26 mars 1980, lors de sa démission spectaculaire du Sénat, François Perin explique que la Belgique est malade de trois maux incurables et irréversibles, l’un d’entre eux étant « une particratie bornée, souvent sectaire, partisane, partiale, parfois d’une loyauté douteuse au respect de la parole donnée et de la signature, mais très douée pour la boulimie avec laquelle elle investit l’Etat en jouant des coudes, affaiblissant son autorité, provoquant parfois le mépris public ».
Un double exemple de ce phénomène vient de nous être encore donné aujourd’hui. Le premier avec la polémique entourant la candidature de l’ex-présidente d’Ecolo, Zakkia Khattabi, comme juge à la Cour constitutionnelle ; la seconde avec l’initiative prise d’autorité par les présidents du PS et du SP.A, pour relancer les négociations en vue de la formation d’un gouvernement de plein exercice.
Pour ce qui concerne le premier point, je ne peux qu’approuver le professeur Franklin Dehousse de l’Université de Liège, lorsqu’il considère que le rejet de la candidature de Zakkia Khattabi illustre la défaite de la particratie. Selon lui, les réactions engendrées de part et d’autre relèvent d’une belle hypocrisie : « L’enjeu de la candidature Khattabi peut être résumé en une question fort simple : Ecolo est-il disposé à soutenir demain la candidature de Bart De Wever, président sortant, présentée par la NVA à la Cour constitutionnelle ? (Ou, après-demain, de G.L Bouchez ?). Il ne faut pas être un mage pour anticiper la réponse. On attend aussi avec délectation suprême les plaidoyers à venir émouvants de MM. Uyttendaele, Demelenne et consorts pour défendre De Wever et Bouchez – au nom de la démocratie, bien sûr. »
Pour ce qui est du second point, il est clair que les présidents du PS et du SP.A, en s’autoproclamant informateurs, ont empiété sur les prérogatives royales.
Personne n’ignore ce que je pense de la Belgique. Mais aussi longtemps qu’elle existe, elle demeure un Etat de droit et chaque citoyen, à commencer par le chef de l’Etat, est tenu d’en observer la Constitution et les lois.
La Constitution stipule, en son article 142, qu’il y a, « pour toute la Belgique, une Cour constitutionnelle, dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la loi ».
Cet article a été exécuté par la loi spéciale du 6 janvier 1989, modifiée depuis à plusieurs reprises. Et qui prévoit ce qui suit :
« La Cour est composée de douze juges, nommés à vie par le Roi sur une liste double présentée alternativement par la Chambre des représentants et le Sénat. Cette liste est adoptée à la majorité des deux tiers au moins des suffrages des membres présents. Six juges appartiennent au groupe linguistique français, six au groupe linguistique néerlandais. Un des juges doit avoir une connaissance suffisante de l’allemand. Dans chaque groupe linguistique, trois juges sont nommés sur la base de leur expérience juridique (professeur de droit dans une université belge, magistrat à la Cour de cassation ou au Conseil d’Etat, référendaire à la Cour constitutionnelle) et trois juges ont une expérience de cinq ans au moins comme membre d’une assemblée parlementaire. La Cour est composée de juges de sexe différent, à raison au moins d’un tiers pour le groupe le moins nombreux, étant entendu que ce groupe doit être représenté dans les deux catégories professionnelles précitées. »
Zabbia Khattabi répond donc tout à fait aux critères requis : elle a une expérience de cinq ans au moins comme membre d’une assemblée parlementaire. En outre, selon les équilibres politiques à respecter, le poste revient légitimement à son parti.
On peut trouver ce mode de fonctionnement inongru déraisonnable. Mais aussi longtemps que la loi n’aura pas été modifiée, il restera d’application.
J’ai dit plus haut que, dans un Etat de droit, chaque citoyen, à commencer par le chef de l’Etat, devait observer la Constitution et les lois.
Dans le système de monarchie constitutionnelle qui est le nôtre, le Roi, s’il peut avoir des conceptions personnelles, doit toutefois s’abstenir de les exprimer publiquement. Il est tenu, comme on le dit souvent, de rester au-dessus de la mêlée et ne pas découvrir la Couronne.
Tel ne fut pas le cas en avril 1990, lorsque Baudouin Ier invoqua un problème de conscience personnelle pour ne pas signer la loi de dépénalisation de l’avortement, obligeant ainsi le gouvernement, pour éviter une crise majerure, à recourir à une entourloupette : se mettre (le souverain) en impossibilité de régner durant quarante-huit heures, alors qu’il était bien portant.
Autre entorse commise par le monarque à l’endroit de la Constitution : le remariage de Léopold III avec Lilian Baels, dont la cérémonie religieuse, le 11 septembre 1941, précéda la cérémonie civile.
« Je jure d’observer la Constitution et les lois du peuple belge ». Serment solennel qui n’a pas empêché les responsables politiques francophones de bafouer la Loi fondamentale en transformant la « Communauté française » en « Fédération Wallonie-Bruxelles »…
(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.
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