La Belgique, à la ramasse pour contrer la neige? « Nous ne sommes pas prêts à affronter des grandes catastrophes »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La neige recouvre la Belgique -surtout la Wallonie et Bruxelles- d’un manteau blanc qui n’avait plus été aussi épais depuis 2013. Pourtant, un maximum de 25 centimètres sont tombés localement. Comment notre pays s’en sortirait s’il était frappé par une tempête polaire plus intense ? En dérapage incontrôlé, probablement…

Quelques centimètres de neige en hiver. Quoi de plus normal : les flocons sont de saison. Pourtant, depuis hier, la Belgique semble affronter un événement exceptionnel -il est vrai que le pays n’avait plus connu une telle quantité de neige en 24 heures depuis 2013- avec éditions spéciales dans les médias et gestion de crise sur le terrain.

Chutes de neige : quel plan d’attaque pour la Wallonie ?

La Wallonie et Bruxelles, principales régions impactées, sortent les grands moyens. Ou du moins, ceux dont elles disposent. Concrètement, le plan neige, articulé par la Cellule d’Action Routière (CAR), implique divers acteurs. Notamment le Centre régional de crise, la Police fédérale de la route, le Centre PEREX ou encore les gestionnaires du réseau que sont le SPW Mobilité et Infrastructures et la SOFICO.

Sorte de Comité de concertation de la neige, la CAR détermine ses interventions selon trois phases allant crescendo, selon la quantité de poudreuse sur les routes : vigilance renforcée, pré-alerte routière, et alerte routière. C’est cette troisième phase, la plus importante, qui a été déclenchée jusqu’à demain/jeudi.

« L’ensemble des moyens humains et matériels sont mobilisés pour cet épisode neigeux », confirme Sarah Pierre, porte-parole du SPW Mobilité et Infrastructures ». Avec, en appui, un système nommé « météoroute », qui regroupe plusieurs données (celles de l’IRM, complétées par 53 stations météo à travers la Wallonie) et qui permet de suivre en temps réel l’évolution de la situation. « Cette organisation contribue à réaliser les épandages de la manière la plus efficace possible », assure Sarah Pierre.

Quels moyens pour contrer la neige ?

L’action, anticipable depuis plusieurs jours, s’inscrit dans le cadre du plan hiver élaboré par les autorités wallonnes. Ce dernier s’étend du 15 octobre au 15 avril et prévoit la bagatelle de 145.000 tonnes de sel, 1.200 personnes mobilisables 24h/24 et 660 engins d’épandage ou de déneigement. « On a donc beaucoup de moyens à notre disposition », avance Sarah Pierre, qui assure ne jamais faire face à des plaintes concernant un potentiel manque d’équipements ou de personnel. « Ce que l’on redoute le plus, ce sont les personnes mal équipées qui s’aventurent sur la route malgré les conditions hivernales, et qui peuvent ainsi créer des blocages de portion de réseaux routiers. Les camions en ciseaux sur une pente d’autoroute sont particulièrement paralysants pour le réseau ».

Ce que l’on redoute le plus, ce sont les personnes mal équipées qui s’aventurent sur la route malgré les conditions hivernales, et qui peuvent ainsi créer des blocages de portion de réseaux routiers.

Sarah Pierre, porte-parole du SPW Mobilité et Infrastructures

Car même si l’épandage a été réalisé, rappelle la porte-parole, l’action du sel est favorisée par… le passage de véhicules. « Sans passage, le sel ne sert à rien. Une combinaison d’éléments doit être favorable à l’instant T pour que les choses fonctionnent bien. »

Comment tiendrait la Belgique en cas de tempête polaire majeure ?

Si cet épisode hivernal reste largement gérable par les autorités -25 cm, maximum, sont attendus localement-, qu’adviendrait-il en cas de tempête polaire majeure ? Le pays a-t-il le coffre nécessaire pour contrer des fortes et longues précipitations neigeuses dans le futur ?

« Les dernières grandes crises qui ont traversé le pays -le Covid et les inondations- ont surpris nos gouvernements. Elles ont dépassé nos moyens humains, matériels et techniques », rappelle Aline Thiry, sociologue (ULiège) spécialisée dans la gestion de crise. Le pays a été débordé par la nature et l’ampleur de ces crises. La tempête de neige actuelle reste dans le cadre de la normalité. Mais à l’avenir, poursuit-elle, le dérèglement climatique pourrait provoquer des conditions météorologiques beaucoup plus extrêmes. « La nature des crises risque d’être différente et de nous surprendre. A cet égard, il est clair qu’on n’est pas préparés. Un travail énorme doit être effectué au niveau de l’infrastructure de crise.« 

La Belgique manque cruellement d’une culture du risque.

Aline Thiry, sociologue (ULiège)

Selon la sociologue, la Belgique manque cruellement d’une « culture du risque ». « Nous ne sommes toujours pas prêts à affronter des grandes catastrophes ou des événements qui sortent des cas établis. La professionnalisation des acteurs fait défaut. Tout comme la dynamique de gestion de crise, faute de moyens. »

A-t-on tiré les leçons des crises Covid et des inondations ? Quelle est la « mémoire » des crises et les actions qui en découlent ? A-t-on réfléchi à de nouveaux plans d’urgence ? Ce sont « autant de questions sur les risques futurs qui méritent réflexion », souligne Aline Thiry.

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En Wallonie ou à Bruxelles: la neige recouvre la Belgique ce 17 janvier 2024. © Getty

Peu de vision sur les moyens et non-alignement

Dans l’idée d’un scénario catastrophe, où une crise hors-norme -par exemple liée au changement climatique- toucherait le pays, il est fort à parier que la coordination des moyens laisserait à désirer. « En Belgique, on n’a peu de vision claire des moyens disponibles en temps réel. Depuis les inondations, une réflexion a été menée sur le sujet, mais elle est insuffisante. Et si les moyens locaux sont dépassés, peu d’options sont disponibles. Cela requiert un échange d’informations plus important entre les différents niveaux de pouvoir. La régionalisation d’une partie des compétences rend l’harmonie plus complexe à atteindre en Belgique », estime Aline Thiry.

En Belgique, on n’a peu de vision claire des moyens disponibles en temps réel.

Aline Thiry, sociologue (ULiège)

Par exemple, le non-alignement des zones de secours avec les zones de police pose question. « Il y a donc des réflexions à mener pour simplifier certains mécanismes. Dans la province de Luxembourg, il existe une seule zone de secours, ce qui facilite la coordination. En province de Liège, il y en a quatre ou cinq. »

La Protection civile au second plan

La Protection civile, entièrement réformée en 2019, garde toute son utilité. Pourtant, elle a connu une réduction importante de ses casernes (il n’en reste plus que deux) et de ses effectifs (environ 500 personnes à peine). « Par rapport aux zones de secours, l’importance accordée à la Protection civile est devenue dérisoire, commente Aline Thiry. Dans tous les moments hors crise -donc, la plupart du temps-, on oublie l’importance de l’infrastructure de crise. Or, c’est un travail de l’ombre, nécessaire. »

La plupart du temps, on oublie l’importance de l’infrastructure de crise. Or, c’est un travail de l’ombre, nécessaire.

Aline Thiry, sociologue (ULiège)

Désormais, la Protection Civile est prévue en tant qu’intervenant « de seconde ligne ». En d’autres termes, elle n’intervient plus dans l’urgence, mais doit plutôt apporter des compétences très spécifiques selon les besoins. « Elle reste un service fédéral, et à cet égard, elle favorise donc la coordination sur l’ensemble du territoire. »

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