Cristal Park gâche le 1er mai socialiste liégeois, la majorité à Seraing tangue

David Leloup Journaliste

À la veille du 1er mai, les révélations du Vif et de la RTBF sur le dossier Cristal Park plombent l’ambiance au sein de la Fédération liégeoise du PS. L’échec actuel de ce projet immobilier, dans lequel plus de 40 millions d’euros publics ont été mobilisés, fait tanguer la majorité PS à Seraing, selon des courriels internes.

Par David Leloup, avec François Braibant (RTBF)

« Ce dossier nous impacte politiquement mais les répercussions sur la Fédération seront terribles. Les bourgmestres PS [NDLR : de la région liégeoise] se posent des questions. Le problème n’est plus uniquement sérésien… La députée régionale Ecolo Cremasco demande une enquête de la Région wallonne. » Le bourgmestre PS de Seraing, Francis Bekaert, est rattrapé par l’échec cuisant du dossier Cristal Park. Cette patate chaude immobilière héritée de l’ère Mathot lui pourrit la vie. Et son téléphone a visiblement chauffé mercredi 27 avril… En effet, à 23h11, Francis Bekaert envoie un courriel à l’ensemble du collège communal de Seraing – les échevins et le président du CPAS – et au directeur général. Soit dix personnes, toutes socialistes (avec 42,8% des voix aux communales de 2018, le PS a raflé 20 sièges sur 39 en vertu de la clé Imperiali et dispose donc, in extremis, de la majorité absolue en nombre de sièges).

Dans ce courriel, le bourgmestre sérésien exprime son désir de mettre le dossier Cristal Park en mode « pause » : « Je souhaiterais que nos représentants à Immoval [NDLR : la société privée qui porte le projet] fassent passer au CA d’Immoval [l’intention] de ne plus prendre d’options et d’initiatives quant au projet du Cristal Park et à son devenir. Les divers projets doivent être gelés. » Pourquoi ? Parce que des bourgmestres éminents de la Fédération liégeoise du PS sont inquiets, mais aussi parce que Francis Bekaert n’a « aucune confiance dans l’administrateur délégué actuel ». Le bourgmestre cible Guido Eckelmans, l’homme d’affaires et actionnaire principal du projet qui a récemment remplacé Pierre Grivegnée, la cheville ouvrière démissionnaire de Cristal Park.

La démission du bourgmestre dans la balance

Le bourgmestre de la cité du Fer voudrait en réalité que les administrateurs représentant Seraing au CA d’Immoval – les échevins Alain Decerf et Laura Crapanzano – « ne laissent pas faire n’importe quoi à l’administrateur délégué nouvellement désigné » et qu’ils restent « prudents quant aux décisions qu’il pourrait prendre pour ses intérêts personnels ». Pour Francis Bekaert, « la priorité est de faire la transparence et remettre tout d’équerre » dans ce dossier qui patine depuis trop longtemps. « Désolé si cela ne plaît pas. Et si je suis dans l’erreur (…) je ne m’exprimerai plus et en tirerai les conclusions, à titre personnel. » Francis Bekaert met donc à demi-mot sa démission dans la balance. S’il venait à s’exécuter, c’est l’échevine du Développement territorial et commercial Déborah Géradon qui deviendrait bourgmestre (4.449 voix de préférence, soit plus du double des voix de Laura Crapanzano, troisième score).

Apparemment piqués au vif, Decerf et Crapanzano répondent le lendemain en fin de journée. Ils déclarent subir « une pression importante » dans ce dossier « tant au niveau de la population qu’au niveau politique local et régional ». Et réclament « un débat et une position unanime » du collège. « En tant qu’administrateurs [NDLR : d’Immoval], on s’y conformera ou on démissionnera de notre mandat. » La suite du courriel s’oppose frontalement à la demande de gel du dossier exprimée par le bourgmestre : « Nous sommes convaincus qu’on attend de nous une véritable prise main et non un immobilisme », écrivent-ils. Les deux échevins administrateurs d’Immoval proposent ensuite des pistes pour aller de l’avant, et poussent pour la « recherche d’investisseurs et de développeurs privés, seule manière de rembourser les créanciers publics et privés ».

Les pouvoirs publics minoritaires

Tant le bourgmestre Bekaert que ses deux échevins « frondeurs » souhaitent – naïvement – que les pouvoirs publics reprennent la main sur Cristal Park. Mais cela semble a priori compliqué : Le Vif et la RTBF ont révélé que le montage actionnarial du projet a été spécialement conçu pour que les pouvoirs publics soient minoritaires dans ce partenariat public-privé. Objectif : échapper à la loi régissant les marchés publics. Pour rappel, en décembre 2012, un représentant des actionnaires publics écrivait à Alain Mathot, alors bourgmestre : « Comme tu le sais, nous avons modifié l’ensemble de l’organisation d’Immoval pour ne pas être soumis à la loi sur les marchés publics. Pour ce faire, il faut que les participations publiques au capital soient sous les 50%, ce qui est le cas maintenant, et que les représentants d’organismes publics au CA soient inférieurs à 50%. »

Contactée, l’échevine des Travaux et des Finances Laura Crapanzano – réputée proche de l’ex-bourgmestre Alain Mathot – nous répond qu’elle est pour l’instant « à l’étranger » et qu’elle « ne commente pas des mails confidentiels ». Sa rivale Déborah Géradon, qui a démissionné d’Immoval l’an dernier, n’a pas donné suite à nos appels, tout comme Alain Decerf. Le bourgmestre Francis Bekaert se dit pour sa part « fatigué » du dossier et souhaite concentrer son énergie sur l’aide aux gens qui sont précarisés par la flambée des prix de l’énergie.

Il nous confirme avoir rencontré jeudi soir la vice-présidente PS du gouvernement wallon et ministre wallonne de l’Action sociale, Christie Morreale, pour évoquer le dossier Cristal Park, « mais pas que ».

Le président de la Fédération liégeoise du PS, Frédéric Daerden, que nous avions appelé et interrogé par messagerie vendredi soir, nous a répondu ce samedi matin après la publication des articles du Vif et de la RTBF: « Il s’agit d’un dossier sérésien et pas de la Fédération. Les ‘répercussions’ éventuelles ne savent pas être ‘terribles’ sur la Fédé. Mais un président doit veiller à l’action et au bon développement du parti (…) dont à Seraing évidemment. »

Après 17 ans, le capitaine démissionne

Imaginé il y a un quart de siècle par les forces vives politiques sérésiennes sous la houlette de feu Guy Mathot, l’ambitieux projet immobilier Cristal Park a pour objectif de redynamiser le site des anciennes cristalleries du Val Saint-Lambert.

L’idée est de faire sortir de terre un village commercial, des centaines de logements, un complexe de bureaux, un hôtel quatre étoiles, un centre de loisirs et une centrale énergétique. Mais 17 ans après l’arrivée de Pierre Grivegnée, l’administrateur délégué d’Immoval et « project manager » du Cristal Park, rien de tout cela ne s’est concrétisé. Alors que plus de 40 millions d’euros publics ont été mobilisés par ce projet sous forme de subsides, capital, prêts…

Les plus hauts responsables politiques liégeois – PS, MR et CDH confondus – ont toujours été au courant de la situation financière difficile d’Immoval et de ses problèmes de gestion. Mais ils n’ont jamais cessé de maintenir leur confiance envers l’administrateur-délégué de la société, jusqu’à la démission surprise de celui-ci annoncée lors du conseil communal du 21 mars dernier. Le parquet de Liège a ouvert une information judiciaire sur le dossier Cristal Park il y a un an et Pierre Grivegnée a été auditionné comme suspect. Le prix (bas) des terrains nécessaires au projet, vendus par la Ville de Seraing à Immoval, interpelle les enquêteurs.

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