Christine Laurent

Crise : un désordre organisé

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

TENIR, TENIR ENCORE, TENIR ENVERS ET CONTRE TOUT… Tenir quelques semaines, faire tout bonnement plier le temps pour permettre au gouvernement Leterme II de ficeler un budget qui tienne la route, éloigne (provisoirement ?) l’oeil noir de l’Europe et détourne le regard oppressant des marchés financiers.

Tenir oui, tout en dénichant quelque 2 milliards pour respecter le programme de stabilité prévu. Avec 4,6 % de déficit du PIB, au lieu des 4,1 % annoncés, ça dérape, ça dérape. Notre gouvernement d’affaires courantes envisage même de faire du zèle, il voudrait doubler l’exercice pour descendre carrément à 3,7 %. Une bien noble intention, avec à la clé un effort global de 2 milliards. Mais ce sera sans piqûre pour le citoyen, juré, craché ! Echine souple et sang-froid. On ne « dégagera » donc pas tout de suite Didier Reynders, bien qu’il irrite pas mal du côté francophone, mais avec ses réunions en trompe-l’oeil, ses allées et venues qui agitent mollement les états-majors de partis, l’informateur comble le vide et permet de gagner des jours précieux.

La politique est désormais un désordre organisé, selon la formule piquante de Bruno De Wever, le frère de Bart. De fait, depuis près d’un an, le gouvernement expédie les affaires courantes d’un Etat en coma prolongé. Grâce à des trucs et ficelles qui mettent en émoi de nombreux constitutionnalistes. Normal, nos politiques, toutes tendances confondues, flirtent de plus en plus avec les règles et les lois, franchissant carrément la ligne rouge pour le budget 2011. La fin ne justifie-t-elle pas les moyens et qui, à part quelques juristes pointilleux, s’en plaindrait ? Demain n’est-il pas un autre jour ? Et puis, il y a bel et bien urgence.

Au coeur de cette stratégie, comme le prouve notre dossier cette semaine, Albert II le téméraire. C’est lui qui, à trois reprises, a demandé au gouvernement démissionnaire de s’agiter. « Ma parole, mais le roi ne se contente pas de régner, il gouverne », s’est même esclaffé Siegfried Bracke, l’un des ténors de la N-VA, en décembre dernier. De fait, les désirs du Palais sont désormais des ordres, et même De Wever a fini par s’incliner. Qui l’eût dit il y a un an seulement ?

Tout ce charivari pour aboutir à quoi ? Le pays tremble toujours sur ses bases, le fossé entre le Nord et le Sud se creusant chaque jour davantage. Pour preuve, le récent décès de Marie-Rose Morel, prétexte à tous les malentendus. Une occasion toute trouvée pour s’étriper entre Flamands et francophones autour d’une polémique communautaire confuse qui mêle à nouveau arguties nationalistes et hystérie émotionnelle. Quand un couple se déchire, tout est prétexte à règlements de comptes et disputes stériles. Autant d’invectives qui amusent peut-être la galerie, mais ne font pas avancer le « schmilblick ».

Où trouver un accord institutionnel et avec qui ? That’s the question. Une fois l’astuce budgétaire entérinée, il faudra bien en revenir au n£ud du problème : l’organisation de la future cohabitation de deux démocraties. Sous quelle forme, avec quels transferts, dans le cadre de quelle configuration ? Après l’échec cuisant des négociations à sept, comment justifier, du côté francophone, un rejet persistant des libéraux ? Et comment, côté néerlandophone, cautionner un CD&V à géométrie variable, complètement ensablé et malmené par quatre chefs qui tirent chacun de son côté ? A moins de nous envoyer tous aux urnes ? Des observateurs « avertis » avancent déjà la date du 22 mai prochain pour de nouvelles élections. On nous balade, on se moque ! Pour quoi faire ? Renforcer la N-VA au Nord que les derniers sondages créditent déjà de 35 % des suffrages ? Conforter le PS au Sud ? Et après ? Il faudra bien tous s’asseoir à une même table pour discuter. Tous autour de l’incontournable Bart. Sortir les négociations de l’impasse impose de sortir du cadre imposé jusqu’ici. Il paraît que l’heure n’est plus aux exclusives. Chiche ?

Christine Laurent

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