Crise de l’accueil : pourquoi le gouvernement peine à trouver une solution
Cela fait plus de deux semaines que 140 demandeurs d’asile passent la nuit dans des tentes le long du canal à Molenbeek. La secrétaire d’Etat Nicole de Moor (CD&V) enchaîne les mesures pour remédier à cela, mais elle semble faire face à une certaine opposition de la part des communes et de ses collègues du fédéral. La Belgique manque-t-elle de capacités ou la question est-elle avant tout politique ? Éléments de réponse avec Marco Martiniello, spécialiste des questions de migration.
Depuis plusieurs semaines, la Belgique se trouve dans une situation plus que complexe concernant l’accueil des demandeurs d’asile. La preuve en est avec les 120 tentes installées le long du canal, juste en face du Petit-Château. Depuis quelques semaines, des centaines de migrants, venus principalement d’Afghanistan, du Burundi, d’Erythrée ou encore de Palestine, dorment dans la rue, faute de places ou de logistique.
Les idées ne manquent pourtant pas pour la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Nicole De Moor. La dernière en date : l’installation de 600 containers, financés par des fonds européens, dans un ou plusieurs endroits du pays. « L’an dernier, nous avons ouvert 14 centres d’accueil, dont dans d’anciennes infrastructures de jeunesse ou d’anciennes casernes. À côté de ces centres classiques, nous examinons aussi des solutions alternatives, comme des pontons ou des villages-containers.” Mais l’élue CD&V se voit recevoir des refus systématiques, notamment de la part du port d’Anvers. Mardi dernier, l’échevine en charge du port et présidente de la société portuaire Annick De Ridder (N-VA) a répondu négativement à la proposition, mettant en avant un risque trop élevé d’accidents.
Pour Marco Martiniello, spécialiste des questions de migration (ULiège), le problème vient avant tout d’un manque de dialogue entre les différentes autorités publiques. « La communication passe très mal entre la secrétaire d’État, son cabinet et les communes. Cela explique en partie la tiédeur de certaines communes qui se voient mises devant un fait accompli. La concertation fait défaut. » Un problème de communication, donc, mais selon le spécialiste, le problème pourrait également être plus profond.
Deux poids deux mesures ?
La situation que la Belgique vit actuellement est loin d’être inédite. Depuis la crise syrienne de 2015, l’arrivée de demandeurs d’asile sur le territoire belge a augmenté. « On n’en est pas sorti depuis. Cette crise de l’accueil perdure, quel que soit le ou la secrétaire d’État en charge du dossier », lance Marco Martiniello.
Mais en 2022 et le début de l’invasion russe en Ukraine, la demande a augmenté encore un peu plus. L’année dernière, l’Office des étrangers a enregistré 36.871 demandes de protection internationale, soit 42% de plus qu’en 2021.
Si dans le cas des réfugiés ukrainiens, des solutions rapides ont été trouvées, le spécialiste constate que cette réactivité à un double-standard dans d’autres cas. « Ce qui est particulier, c’est que des choses ont rapidement été mises en place, en faisant appel à la population, pour les personnes qui arrivaient d’Ukraine suite à l’invasion russe. D’un autre côté, pour les populations qui viennent d’autres régions du monde qui sont aussi en guerre depuis longtemps, la réponse n’est pas la même. Cela pose des questions sur les deux poids deux mesures dans la politique d’asile de la Belgique. »
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Une situation inégale qui fait bondir la Vivaldi, et en particulier Ecolo. Les écologistes alertent depuis plusieurs mois le gouvernement sur la situation, affirmant qu’il faut créer plus de places pour pouvoir accueillir les migrants. Selon les derniers chiffres de Fedasil (datant du 1er février 2023, ndlr), la capacité d’accueil de la Belgique serait de 33.884 places, pour 94% d’occupation. Des chiffres à prendre cependant avec des pincettes. « On joue souvent au yo-yo dans les capacités d’accueil. On ouvre et on ferme régulièrement. Et forcément quand on ferme des centres, il y a automatiquement moins de capacités. Il ne fallait peut-être pas en fermer autant », déplore Marco Martiniello.
» Je n’imagine pas qu’un pays comme la Belgique ne puisse pas trouver les capacités supplémentaires pour les loger. Pourquoi est-ce qu’on ne le fait pas ? Est-ce qu’il y a un manque de volonté politique ? Ou c’est une question de guerre d’egos entre les différents niveau de pouvoir ? »
Les sanctions s’accumulent
Le temps presse pour Nicole De Moor. Face à cette situation catastrophique, les astreintes que devra payer l’État grimpent de jour en jour. A l’heure actuelle, Fedasil devrait débourser 278 millions d’euros pour non-respect du droit à l’accueil des demandeurs d’asile. L’État belge n’a pas répondu à son obligation de trouver un accueil digne pour ces migrants.
Pour répondre à cette astreinte, des biens « non essentiels » de l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile ont déjà été saisis et vendus par vente publique. C’est dire la difficulté dans laquelle se trouve la secrétaire d’État, peut-on penser. Mais pour le chercheur de l’ULiège, l’échec de la politique migratoire reste encore un cas incompréhensible. « Il n’y a pas forcément une solution miracle. Mais je ne vois pas non plus la grande difficulté, si ce n’est technique, à trouver des endroits où loger des personnes. Je n’imagine pas qu’un pays comme la Belgique ne puisse pas trouver les capacités supplémentaires pour les loger. Pourquoi est-ce qu’on ne le fait pas ? Est-ce qu’il y a un manque de volonté politique ? Ou c’est une question de guerre d’egos entre les différents niveau de pouvoir ? Mais au bout du compte, qui paie la note ? Ce sont ceux qui dorment dehors. »
Une lueur d’espoir peut cependant être trouvée ce vendredi, puisque Alexander De Croo et ses ministres se mettent autour de la table pour aborder à nouveau la thématique migratoire. Mais la gauche de la Vivaldi, en particulier Ecolo, a déjà annoncé ne pas avancer dans les discussions tant qu’une solution à court terme n’ait pas été trouvées.
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