Capture d'écran du dashboard vaccination. © Joris Vaesen

Covid-vaccinatie.be : « Je voulais informer le grand public, de manière claire et correcte »

Charly Pohu Journaliste

Depuis le mois de janvier, Joris Vaesen élabore des graphiques sur l’avancée de la campagne de vaccination. Retour sur les neuf mois pendant lesquels ce bénévole s’est investi corps et âme dans son projet: rendre publiques, et facilement compréhensibles, les données sur la vaccination.

Joris Vaesen est développeur web. Il travaille pour une entreprise à Genk, et développe des applications pour des pharmacies. Ses sujets d’intérêt sont la technologie, les données, le data, le respect de la vie privée. Par un souci de transparence, il a voulu rendre public les données de la vaccination, de manière simple à comprendre pour le grand public, lorsqu’elles n’étaient pas encore disponibles. Depuis, le site covid-vaccinatie.be a pris de l’ampleur et est devenu incontournable.

Le Vif: Quand avez-vous commencé le projet Covid-vaccinatie.be et quelles étaient vos motivations?

Joris Vaesen : Le 7 janvier de cette année je l’ai mis en ligne pour la première fois, je l’ai partagé sur twitter et ça a ainsi été rendu public. Ma motivation était surtout qu’à ce moment-là, au début de la campagne de vaccination, il n’y avait pas de chiffres officiels disponibles, et différents médias rapportaient divers chiffres, et on ne pouvait pas vraiment voir où on en était. L’espoir était que les vaccins allaient devenir notre liberté, donc je trouvais ça important de pouvoir suivre la progression, de voir comment ça avance. C’était pour afficher de manière claire et correcte tous les chiffres avancés dans les médias par les politiciens et les experts. Puis je me suis efforcé de visualiser ça via un dashbord: si je pouvais le faire pour moi-même, alors je pouvais aussi le faire pour le public, de façon à ce que d’autres personnes puissent en profiter pour avoir les chiffres de manière correcte et en direct.

Travaillez-vous tout seul ou en équipe avec d’autres personnes?

Le dashboard je le fais tout seul. Depuis le premier jour je l’ai développé tout seul, et je le fais tout seul encore aujourd’hui. J’ai rencontré quelqu’un via Twitter, qui entretient une page Facebook où il partage les mises à jour quotidiennes du dashboard. Mais la programmation et tout ce qui l’entoure, je le fais entièrement seul.

Avez-vous déjà rencontré des problèmes avec des anti-vaccins, avez-vous par exemple été l’objet de campagnes de haine des anti-vaccins?

Je reçois parfois des mails où on m’accuse de promouvoir la vaccination. Mais en soi ce n’est pas le but du dashboard, son but est de donner des informations correctes. Tout le monde est libre de décider de se faire vacciner ou non. Ce n’est pas mon but de convaincre des personnes, je voulais juste faire un point central pour les chiffres. Mais il y a énormément de fake news autour de la vaccination, ce qui est assez ennuyeux car on fait peur aux gens, sans raison.

Je peux simplement dire que j’ai toujours opéré de manière sérieuse, j’ai suivi l’évolution de la vaccination tous les jours, on m’a par exemple invité toutes les semaines aux séances questions-réponses de la task force vaccination pour la presse. J’avais accès à de nombreuses informations qui, par définition, n’étaient pas facilement accessibles au grand public, et ça c’est ma deuxième motivation: les présenter de manière aussi simple que possible au grand public. J’essaie de faire une balance entre les données scientifiques brutes et le grand public, en affichant quelque chose que chacun peut comprendre et interpréter. Mais oui il y a évidemment des mails où je me fais insulter etc., mais c’est heureusement une minorité.

En France il y a un dashboard similaire, covidtracker.fr, élaboré par Guillaume Rozier, qui a reçu l’Ordre national du Mérite. Avez aussi reçu de la reconnaissance politique ou culturelle, ou à l’échelle de la société?

Non, rien d’officiel (rires). Au début, il n’y avait pas de données. Même Sciensano ne divulgait pas de données structurées. Donc j’ai vraiment dû cueillir les informations sur les sites des médias, les filtrer pour voir s’il y avait des doubles; j’ai dû chercher les chiffres moi-même, de manière manuelle. C’est là que j’ai commencé à dire « regardez, on a des données structurées pour les contaminations, les hospitalisations, les décès etc. Je veux aussi des données structurées sur la vaccination. » J’ai discuté avec Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, sur Twitter, et il m’a mis en contact avec une personne qui pouvait m’aider.

Au début, je sentais ils n’étaient pas très contents qu’il y ait ce dashboard. J’allais par exemple dire « autant de personnes sont vaccinées aujourd’hui, autant de vaccins sont livrés, combien de temps est-ce que ça dure pour les administrer, combien de temps restent-ils en stock, où sont-ils gardés, quel est le problème du stock », puis il faut expliquer aux gens pourquoi c’est comme ça. Cela a pris un peu de temps avant que j’aie de la reconnaissance. Mais lorsque j’ai eu 100.000 visiteurs par jour, ils n’ont plus pu m’éviter, et ils ont dû dire que c’était pertinent et correct. Mais de la reconnaissance au-delà de ça, non.

Combien de visiteurs avez-vous environ par jour?

Au pic absolu, il y en avait 100.000 par jour. Maintenant ça ralentit, comme la campagne de vaccination à double dose commence à toucher à sa fin. Les personnes vaccinées donnent moins d’importance aux chiffres. Au début les personnes vérifiaient plus, en disant « ah je suis dans le groupe 65+, on est à tant de pourcentage ». Maintenant, tout le monde a reçu son invitation, donc l’intérêt est un peu moindre.

Aujourd’hui, on commence à discuter de la troisième dose pour les groupes à risque… Je serai content de voir que le dashboard n’est plus nécessaire, car cela signifiera qu’il n’y a plus de nouveaux chiffres et que c’est la fin du covid (rires). Mais pour l’instant, ce travail reste pertinent. La fréquentation a baissé à 50.000 visiteurs par jour, avec des hauts et des bas, mais il y a encore beaucoup de personnes qui recherchent ces informations.

Qu’allez-vous faire du dashboard après le covid? Allez-vous le garder comme une sorte de monument ?

Je n’y ai pas encore réfléchi (rires), je suis encore fortement occupé à donner des informations correctes et claires. Le 7 janvier, il y avait un graphique, aujourd’hui il y en a 13-14, plus le plan d’été du codeco, plus un volet interactif où on peut soit-même faire ses statistiques, donc ça ça reste ma priorité pour l’instant. Ce qui vient après, on verra bien.

S’il y a une campagne pour une troisième dose, allez-vous l’intégrer au dashboard?

Il est important que les gens sachent que je fais ça sur mon temps libre, j’ai un travail qui me prend plus que 40 heures par semaine, je vais faire de mon mieux. Je vais y consacrer mon temps aussi longtemps que ça va durer. Je ne sais pas encore dire si l’on va continuer à recevoir les informations, le travail que cela va représenter… Tout change encore chaque semaine, il y a de nouvelles informations tout le temps, donc c’est compliqué de tout interpréter et calculer, mais je m’engage à continuer aussi longtemps que c’est possible pour moi.

Quels ont été les meilleurs et les pires moments pour vous?

La campagne de vaccination a commencé de manière lente et prudente, mais au final, cela n’a pas été un problème. On voit qu’à partir du moment où il y avait de la confiance, de l’organistion, que tout était prêt ; on a eu les vaccins et ça a pu être accéléré. On ne peut bien sûr que travailler avec les vaccins disponibles, c’est logique, mais il faut savoir les utiliser rapidement et de manière efficace.

Après ce départ calme et lent, il y a eu une accélération. Et il y a aussi une disposition à se faire vacciner, malgré les fake news. Il reste bien sûr encore un problème à Bruxelles, en termes de volonté, mais on peut dire qu’une grande partie de la population s’est faite vacciner, et que beaucoup d’efforts ont été faits même pour les personnes qui sont encore sceptiques.

Je ne suis pas journaliste, je ne suis pas lié à l’autorité, je ne suis lié à rien, ce qui me donne une indépendance totale.

Un point négatif, que je remarque encore tous les jours, et que je commente souvent sur Twitter, est la couverture médiatique erronnée (la veille, un média avait, par exemple, confondu le pourcentage de la population adulte vaccinée et celle de la population totale, ce qui donne une fausse idée des chiffres réels, et qui a fait réagir Joris Vaesen, ndlr), avec des chiffres faux et des interprétations fausses. Alors, les gens vont se dire « tout le monde dit autre chose, qu’est-ce qu’il en est maintenant? ». Donc je fais ce que je peux pour que ce soit clair, mais cela reste difficile d’interpréter les chiffres, même pour les journalistes. L’importance du dashboard se démontre par elle-même.

En plus je ne suis pas journaliste, je ne suis pas lié à l’autorité, je ne suis lié à rien, ce qui me donne une indépendance totale. Cela s’est avéré important dans un moment de crise. Cette indépendance était également cruciale sur les réseaux sociaux. L’intention a toujours été que ce soit indépendant. Il y a, bien sûr, de la méfiance envers tout et tout le monde, et donc contre moi aussi, mais dès le moment où l’initiative ne vient pas de l’autorité, elle est perçue comme plus crédible.

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