Covid: neuf ministres de la Santé mais combien de responsables?
Parmi les désormais célèbres « neuf ministres de la Santé » que compte la Belgique, il y a des ministres de la Culture, de l’Enseignement supérieur, de l’Economie ou de la Mobilité qui ne s’occupent en fait que fort peu de la question sanitaire…
« Hey, mademoiselle, ministre de la Santé! » Figurez-vous la scène. Marchant rigoureusement masqué dans une rue au cours d’un déplacement essentiel, vous croisez l’un ou l’autre des membres de ce groupe, apparemment très peu sélect, des neuf ministres belges de la Santé censés incarner les échec belges à lutter contre la pandémie, et derrière le masque vous reconnaissez l’éminence.
Vous essayez de l’interpeller, lui rappelant l’intitulé de ses fonctions: « Hey, ministre de la Santé! » criez-vous.
A ce moment, pourtant, personne ou presque ne se retourne, quand bien même vous l’auriez fait poliment. Parce que beaucoup de ces ministres de la Santé ne le sont en fait pas vraiment.
« Non, je ne me retourne pas », pose par exemple Valérie Glatigny (MR). « Je ne pense pas l’être: je suis avant tout ministre de l’Enseignement supérieur », dit-elle. « Bien sûr que non! », lâche Barbara Trachte (Ecolo), secrétaire d’Etat bruxelloise à la Transition économique, et ministre-présidente de la Commission communautaire française, en charge notamment de la promotion de la santé: « C’est loin d’être la plus grosse de mes compétences », ajoute-t-elle. « Bon, si j’entends le mot ministre, et que je suis chez moi à Enghien, je me retourne peut-être, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’autres ministres, là-bas », rigole Bénédicte Linard (Ecolo), ministre de la Petite enfance et de la Santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles, « mais au-delà de ces questions de dénomination, il est très clair pour nous tous qu’il y a un ministre fédéral de la Santé, et puis, dans les gouvernements des autres niveaux de pouvoir, il y a des personnes qui ont des compétences qui concernent différents aspects de la santé, ce qui est au fond logique: c’est un domaine par nature transversal. »
Car s’il y a bien formellement, en Belgique, neuf ministres dont le terme « santé » figure dans les attributions, ils sont en réalité beaucoup moins nombreux à s’être occupés, au quotidien, des dimensions sanitaires de la crise du coronavirus que ne le disent, entre autres, le PTB ou Maggie De Block elle-même, sans doute soucieuse de diluer ses responsabilités.
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Bien sûr, il y en a bien parmi ces neuf, parce qu’ils exercent sur les hôpitaux, sur les maisons de repos, ou sur la médecine dite « de première ligne », régionalisée avec la sixième réforme de l’Etat, une autorité directe, que le virus et ses dramatiques conséquences ont directement frappés.
Ces ministres, incontestablement responsables, sont ceux que l’on voit peiner à cet impossible turbin depuis février:
- Maggie De Block (Open VLD), ministre fédérale de la Santé publique, qu’a remplacée Frank Vandenbroucke (SP.A) à l’avènement du gouvernement De Croo.
- Wouter Beke (CD&V), ministre flamand du Bien-être et de la Santé publique,
- Alain Maron (Ecolo), membre du Collège communautaire français de la Région de Bruxelles-Capitale, en charge de la Santé et de l’Action sociale,
- Christie Morreale (PS), ministre wallonne de l’Action sociale et de la Santé,
- Antionios Antoniadis (SP), ministre germanophone de la Santé et des Affaires sociales.
Ils sont donc cinq, disposant une assise géographique claire, et des compétences, en réalité, plutôt correctement identifiées: chaque acteur de terrain avait donc à rendre des comptes à deux tutelles, au maximum. C’est sans doute trop, dans ces moments de si grande urgence, mais c’est moins que neuf. Réunis de surcroît à intervalles très réguliers dans des conférences interministérielles (CIM) Santé publique, dans lesquelles ils coordonnent leurs actions mutuelles et respectives, ce sont les vrais pilotes de la crise sanitaire.
Le pli dans la feuille
Les quatre autres sont-elles seulement dans l’avion? Valérie Glatigny dispose, en tant que ministre de l’Enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, de l’autorité sur l’Académie de médecine, sur les quatre hôpitaux universitaires francophones (Erasme, Saint-Luc, Mont-Godinne et le CHU de Liège) et sur le contingentement des professions des soins de santé. A ces titres, elle est invitée à ces conférences interministérielles ainsi qu’à certaines réunions du Risk Management Group (RMG) conduit par l’administration fédérale de la Santé publique. « Mais je participe aussi aux CIM « droit des femmes » et « prisons », notamment. Ce n’est pas pour autant que je suis ministre de l’Intérieur ou de la Justice… », avance la Bruxelloise, qui regrette « ce raccourci mental très répandu, cette forme de paresse intellectuelle, qui fait de nous des facteurs de cacophonie, comme si on payait neuf ministres pour faire neuf fois la même chose ou comme si nous n’étions payés que pour ça… Notre difficulté à tous, en Belgique, n’est pas liée à la configuration institutionnelle, mais à la nature du virus, à sa propagation exponentielle, et à la maniabilité des secteurs que l’on doit gérer, et que l’on doit parfois faire changer dans l’urgence d’orientation. »
La charge de Bénédicte Linard, à la Prévention de la santé et à la Petite enfance, l’autorise, elle aussi, à participer aux CIM santé. « Au cours de cette crise, à peu près chaque ministre, à un moment où l’autre, a été lié de près ou de loin aux décisions prises par la CIM ou par le RMG« , expose-t-elle. « Mais les grandes décisions sur l’organisation des hôpitaux, l’achat de matériel ou que sais-je? ne relèvent pas du tout de la Fédération Wallonie-Bruxelles! » précise Bénédicte Linard, qui « n’a jamais croisé au cours de ces derniers mois, dans ces réunions, personne qui se soit lavé les mains des problèmes ou qui ait prétexté que ce n’était pas de sa compétence pour ne rien faire. Certes, je ne peux pas laisser passer ça! » Wouter Beke participe-t-il seul aux conférences interministérielles, parce qu’en 1980, la Communauté flamande a absorbé la Région, alors que les francophones sont plusieurs, entre Wallons, Bruxellois et représentants de la Fédération, « ce qui peut parfois être plus clair ». Mais l’Enghiennoise considère même plutôt utile d’avoir été associée à ces discussions, « car j’ai pu relayer des réalités de terrain, sur les questions de droits de l’enfant ou de droits des femmes auxquelles, peut-être, les collègues n’auraient pas été spontanément attentifs », tout comme Valérie Glatigny estime avoir aidé à « proposer et trouver des solutions, par exemple pour que des étudiants que l’on veut mobiliser, en urgence, dans les structures sanitaires puissent en faire une forme de stage, afin qu’ils ne soient pas pénalisés dans leur parcours scolaire pour avoir aidé le système à tenir le coup ». « Mais c’est très clair: on ne se substitue pas aux ministres de la Santé, on fait remonter des préoccupations, on s’adjoint, on s’associe, on aide« , résume-t-elle. Les deux, qui doivent gérer les conséquences de la crise sur les secteurs, respectivement, de la Culture et de l’Enseignement supérieur francophones, doivent aussi encaisser des reproches portant sur un domaine sur lequel elles n’ont pas la main. Elles refusent pour autant de se poser en victimes. « C’est anecdotique face à la crise que nous traversons, mais cette question des neuf ministres de la Santé, qui seraient comme autant de preuves d’une faillite du système, pollue le débat. Et quand elle a commencé à circuler, nous avions autre chose à faire que de concentrer des efforts de communication pour la contredire. Aujourd’hui, ça me fait penser à une feuille que l’on déplie: on a beau essayer de la lisser, il reste toujours une trace des plis », ajoute Valérie Glatigny.
La ministre de la Santé ne l’était pas
Barbara Trachte, elle, n’a même jamais participé, en tant que responsable de la Prévention de la santé francophone à Bruxelles, à une de ces CIM Santé. Elle a, dès le début de la pandémie, mis « notre réseau d’associations actives dans la prévention et la santé communautaire » au service de la lutte contre la pandémie, pour « expliquer les gestes barrières, les choses à faire et ne pas faire, dans des milieux où on se disait que le message avait peut-être du mal à passer ». Elle a également contribué, en collaboration avec Christie Morreale et Bénédicte Linard, à lancer des campagnes de sensibilisation dans plusieurs médias. Ce n’est pas rien, mais c’est à peu près tout. Elle est pourtant régulièrement affichée dans la galerie des coupables idéaux. « Ce n’est pas correct, je ne devrais pas être visée, parce que je ne suis pas impliquée du tout dans la gestion sanitaire de la maladie », répond-elle, « sans en faire un drame pour autant ».
Une dernière Bruxelloise compte aussi parmi les neuf éminences de cet aréopage: la Groen Elke Van den Brandt dirige en effet le collège de la VGC, l’institution chargée des matières communautaires flamandes à Bruxelles, dont la Santé, matière qu’elle est censée coordonner, au sein du collège de la commission communautaire commune, avec Alain Maron. C’est incontestablement compliqué en théorie, mais ça l’est beaucoup moins en pratique. « En fait, je ne suis pas ministre de la Santé! » s’amuse-t-elle. « Dès le début de la législature, nous avons décidé de regrouper des blocs cohérents de compétence, et j’ai donc tout cédé, en matière de santé et d’affaires sociales, à Alain. Ce n’est donc qu’à titre formel que nous partageons cette compétence, même si, de toute façon, les décisions sont collégiales. Sur le territoire bruxellois, c’est donc assez clair: il y a un ministre fédéral et un ministre régional qui sont en charge, et qui collaborent », signale-t-elle.
Elle n’a donc, pas plus que ses autres collègues, l’impression d’avoir exercé les responsabilités que lui prête une certaine idée reçue. « Même si ça ne doit pas être une excuse pour refuser un débat sur la meilleure façon de gérer Bruxelles et la Belgique, plus tard », précise-t-elle. « On doit en parler, c’est sûr. On ne peut pas nier non plus qu’a pu manquer à certains moments une unité de commandement. La Belgique est sans doute trop complexe, et il faudra tirer les leçons de cette crise. Mais il ne vaut mieux pas décider d’une réforme de l’Etat alors qu’on n’en est pas encore sortis », renchérit Bénédicte Linard.
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