Covid: Doit-on davantage écouter les citoyens ?
Dans la crise du coronavirus est-ce qu’il ne serait pas utile d’écouter ou de consulter davantage les citoyens, par exemple à travers un panel? Et, si c’était le cas, est-ce que ces derniers suivraient mieux les mesures de sécurité ? Nous avons posé la question à Anne-Marie Etienne, professeur en psychologie à l’ULiège.
Lors d’une opération exceptionnelle, Levif.be répond à vos interrogations sur le Covid. Aujourd’hui, nous répondons une question sur la participation citoyenne :Dans la crise du coronavirus, ne serait-il pas temps d’enfin écouter les citoyens et de prendre les décisions en conséquence ? Des panels citoyens pourraient-ils être associés aux prises de décisions ? De tels panels citoyens permettraient-ils d’emporter davantage d’adhésion aux mesures sanitaires ?
Faire appel à un panel citoyen permettrait-il de mieux susciter l’adhésion de la population ?
La réponse est clairement oui. Mais pas n’importe quel panel. Il ne s’agit pas de prendre n’importe quelle personne lambda en rue. Pour que ce panel soit crédible, il faut qu’il soit construit sur des bases solides. Il est important de ne pas perdre de vue que si ce n’est pas le cas, cela risque d’être contreproductif.
Par exemple, la base de ce panel doit s’installer dans la durée et ne pas changer constamment, comme on a pu le voir avec certains experts que l’on voit apparaître et disparaître. Ce panel doit aussi être suffisamment élargi pour que tout le monde s’y retrouve. Si aujourd’hui, alors qu’il y a plein de messages et qu’il y a plein de personnes qui essayent de convaincre, le message ne passe toujours pas, c’est aussi parce que la personne qui délivre le message ne convainc pas. Si l’on décide de ne pas suivre les règles, c’est souvent parce qu’on estime que l’opinion de cette personne ne nous intéresse pas suffisamment pour que l’on reproduise son message. D’où l’importance d’avoir un panel qui suscite un intérêt, un sentiment d’appartenance. L’individu doit pouvoir s’identifier, même de façon subjective. Et pour qu’une majorité de gens s’y reconnaissent, il faut donc qu’il y ait différents types de genre, d’âges, de classes sociales, de langages et d’état de santé représenté dans le panel. Pour donner encore davantage d’impact à ce panel, on pourrait également s’inspirer de ce qu’on appelle les patients experts.
Qui sont ces patients experts ?
C’est un mécanisme déjà mis en place dans certains hôpitaux pour certaines maladies chroniques. Ce sont des patients qui ne sont plus seulement des malades, mais qui ont aussi été formés pour devenir en quelque sorte les porte-drapeaux de patients qui souffrent d’une maladie. Ils allient à la fois l’expérience personnelle de vivre cette maladie dans leur chair, soit l’expertise du vécu, mais aussi la connaissance. Pour ce faire, ils ont suivi une formation leur permettant de comprendre les différents aspects de leur maladie et de son traitement. Cette double casquette leur permet de poser des questions qui dérangent, d’aborder des sujets parfois tabous ou encore de voir la situation d’une autre perspective pour ne pas dire avec un certain recul. Cela demande donc certaines qualités. En réalité faire partie d’un tel panel de patients experts est un métier, mais heureusement cela s’apprend. Il existe ainsi des universités de patients en France, par exemple. On y apprend à devenir des patients experts et à accompagner le processus décisionnel. C’est considéré comme une profession, mais avec l’expérience du vécu et la connaissance.
Quelle serait la plus-value d’un tel panel de patients experts ?
Au-delà de l’identification déjà signalée plus tôt, il faut aussi un panel suffisamment de qualité et crédible. Le patient expert a vécu la maladie. Or il a été prouvé que le fait que l’on ait vécu une situation multiplie par deux ou par trois la croyance en ce que vous dites. Les mots que l’on va choisir pour décrire la situation, le langage non verbal ou encore la manière d’écouter s’en trouvent changés. Vous savez de quoi vous parlez et cela vous rend crédible. En trouvant la bonne distance, cela sonne plus juste et permet de capter plus facilement l’attention. On va vous écouter plus longtemps et on va vous attribuer plus de qualité positive. C’est très difficile de contredire quelqu’un qui a vécu la chose.
Dans le cas du covid, on pourrait se poser la question de savoir si on doit forcément avoir vécu quelque chose pour pouvoir en parler à quelqu’un ?
Le patient expert n’est pas là pour convaincre, il est là pour informer et permettre le questionnement. En témoignant, il ouvre le dialogue. On peut avoir deux types de réactions. Il y a ceux qui sont impressionnés et qui vont faire tout ce vous dites pour ne pas être contaminé et, à l’extrême inverse, il y a ceux qui disent que vous ne savez pas. Cette dernière catégorie va, de toute façon, se replier et ignorer ce que vous dites. Mais, entre les deux, il y a tous les indécis. C’est cette masse qui va fluctuer entre attraction et désintérêt et que va devoir capter le patient expert. Avec son vécu, et à travers des techniques de communication, il va pouvoir susciter cette fameuse motivation intrinsèque chez la personne. Par exemple en ne pointant pas seulement le fait d’attraper ou non le covid, mais en ouvrant le débat sur d’autres aspects.
Dans quelle mesure ce type de panel pourrait être appliqué au covid ?
Outre leur valeur attentionnelle, soit leur capacité à capter l’attention, un tel panel de patients experts du covid pourrait également participer au processus décisionnel. Soit des patients qui auraient souffert du covid, mais auraient réussi à prendre du recul par rapport à leur maladie et qui auraient suivi une formation médicale, auprès des virologues ou autres experts afin d’avoir une vision plus globale de la situation. Un peu comme quand on fait appel à la concertation sociale pour parvenir à des accords dans certains secteurs, on pourrait tout à fait envisager de créer une association professionnelle de patients du covid.
Sauf que ce genre de patients experts n’existent pas encore
Oui, c’est vrai. Mais c’est surtout une question de temporalité puisque les patients manquent encore de recul et qu’on n’a pas encore eu le temps de les former. Mais, qu’on le veuille ou non, et malgré le refus de certain de croire que cette situation pourrait s’installer dans la durée, il est important de déjà s’atteler à l’élaboration d’un tel processus. Car si elle n’est guère utile sur le court terme, ce genre d’expertise peut tout à fait être envisagée sur le moyen et encore plus sur le long terme. Rien n’empêche en effet de déjà commencer à former des patients dans cette perspective.
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