Marc Mayer
Cours de citoyenneté : tout faux
Le gouvernement de la Communauté française va avoir du mal avec l’organisation du cours de citoyenneté dans les écoles publiques.
Destiné à remplacer une des deux heures actuellement consacrées à religion ou à la morale non confessionnelle, ce cours pose déjà un problème avant de pouvoir entrer en lice, en octobre 2016 : qui pourra l’enseigner ? On sait que l’accord de gouvernement prévoit depuis 2014 que le cours de citoyenneté doit s’organiser sans aucune perte d’emploi pour les professeurs de religion ou de morale.
Que les syndicats aient ainsi défendu les intérêts de leurs affiliés, c’est leur rôle. Ils n’ont pas pu défendre la différence objective qui existe entre professeur de morale et professeur de religion. Et puis c’est le monde politique qui doit veiller à ce que l’intérêt général prime sur l’intérêt particulier. Mais considérer que les professeurs de religion ou de morale qui perdront des heures seront prioritaires pour donner ce cours afin de compenser leurs heures perdues, c’est faire passer l’intérêt des enseignants avant celui des élèves. Le cours de citoyenneté n’est pas créé pour donner un moyen de préserver l’emploi des professeurs des cours dits philosophiques (raison pour laquelle on parle sans doute de période transitoire durant laquelle ces profs devront se former) : les professeurs de citoyenneté doivent créer un nouveau cours et se baser sur un référentiel intéressant établi déjà par le groupe de travail mis en place par les Autorités. Le maintien à tout prix de l’emploi existant pose des problèmes très spécifiques, inhérents au système actuel des cours dits philosophiques que les enseignants dispensaient durant deux heures hebdomadaires selon une répartition des élèves qui n’était pas simple à établir.
On aurait pu croire que tous ces problèmes ne se posaient guère pour les professeurs de morale non confessionnelle. Ce sont des enseignants comme les autres, choisis par les pouvoirs publics sur la base de leurs diplômes et qui donnent déjà, actuellement, un cours très proche du futur cours de citoyenneté. Cette réalité n’a pas empêché la ministre (CDH) de mettre sur le même pied les maîtres de morale et ceux de religion. Elle se base sur la décision contestée, mais, aujourd’hui incontournable qui veut que le cours de morale est un cours engagé comme les autres…
Qu’un professeur de religion puisse en même temps donner cours de citoyenneté est évidemment très interpellant.
Ce ne devrait plus être le cours de morale qui soit l’alternative aux cours de religion, mais bien le cours de citoyenneté, un enseignement neutre s’adressant à tous les élèves quelles que soient leurs convictions.
Les cours de religion et le cours de morale reconnu comme engagé traitent des mêmes questions (l’homme en société, les questions éthiques, les choix de vie, le rapport aux autres, aux valeurs, à l’existence ou à l’inexistence de Dieu…), mais sous un angle résolument engagé, inspiré d’un des cultes reconnus en Belgique et de la laïcité qui est reconnue depuis 1993. Le professeur qui donnerait à la fois cours de citoyenneté et cours de religion devrait résoudre une équation presque impossible entre ses deux enseignements. Et ce n’est pas un cours théorique de neutralité qui résoudra cette question. S’ils se ressemblent fort (ce qui serait naturel puisque les questions abordées sont semblables de part et d’autre), on jugera soit que son cours de citoyenneté est teinté d’inspiration religieuse, soit que son cours de religion est privé de sa spécificité. L’équation est la même pour le professeur de morale (cour constitutionnelle) même si le risque n’existe pas. En effet, le même professeur dispense deux enseignements très différents (religion et citoyenneté), il risque d’être suspect de manque de sincérité dans l’un de ses cours, voire d’hypocrisie manifeste (je pense aux questions de début et de fin de vie, par exemple, mais plus fondamentalement à la question même de la vérité qui est vécue avec un grand V pour le croyant) : les élèves et les parents pourraient se demander ce qu’il pense vraiment, quel cours reflète ses vraies valeurs et ce qu’il faut en retenir au juste.
Est-on sûr que tous les enseignants concernés soient effectivement capables de donner à la fois un cours de citoyenneté neutre et à portée universelle et un cours de religion empreint d’une tradition spécifique ? Nous avons peine à croire que tous les enseignants à un tel dédoublement y parviendront, quand on connaît le mode de recrutement qui est, à cet égard, prévu.
Dans notre système, en effet, les professeurs de religion sont juridiquement liés à leur organe chef de culte comme, on oublie de le dire, c’est le cas des ministres des cultes, et ils n’ont de comptes à rendre qu’à leur inspecteur lié directement à cet organe. Ils sont choisis par cet organe et ne disposent pas toujours d’un titre pédagogique ou d’une formation dans une discipline liée aux sciences humaines : les organes chefs de culte sélectionnent souverainement les enseignants nommés ensuite par les autorités publiques. La conformité de ces enseignants répond aux attentes de leur chef de culte, attentes qui sont loin d’être identiques à celles qu’implique un cours de citoyenneté.
On connaît des enseignants de religion qui prennent des positions qui bafouent les principes démocratiques – ceux-là mêmes que le cours de citoyenneté doit transmettre -: dresser les élèves contre la science, la raison et la réflexion libre. On me dira que ces cas sont moins fréquents qu’il y paraît. Les enquêtes montrent par exemple que la théorie de l’évolution est mise en cause et que l’irrationnel pointe dans diverses approches. Même s’ils ne sont qu’une minorité, que de tels professeurs enseignent la citoyenneté parce qu’ils sont menacés de perdre une partie de leur emploi risque de déboucher sur des plaintes et des recours.
Pour éviter de tels risques, le gouvernement a envisagé de réserver le cours de citoyenneté aux porteurs d’un titre pédagogique, ou de définir des titres requis avec un système transitoire de cinq ans permettant de décrocher un des diplômes utiles. Ce filtre est insuffisant. Car on peut disposer d’un titre pédagogique sans avoir été formé dans une des disciplines pertinentes pour enseigner la citoyenneté. Ce n’est évidemment pas le cas des maîtres de morale qu’on n’a pas voulu favoriser dans cette nouvelle procédure. Il est certain pourtant que la majorité des enfants qui décideront de choisir les deux heures de citoyenneté (les parents peuvent refuser que leur enfant suive l’heure de morale ou de religion)seront ceux qui suivent déjà le cours de morale. Le gouvernement prévoit un régime transitoire qui permettrait aux enseignants d’obtenir un des titres requis. Le régime aurait aussi pour effet de permettre à tous d’enseigner et donc de dispenser la citoyenneté pendant cette période transitoire. Un enfant qui décide de suivre deux heures de citoyenneté plutôt qu’une heure de morale et de citoyenneté (anciennement deux heures de morale) pourrait très bien se retrouver avec un ancien professeur de religion désigné, dans ce nouveau cours….. Il aurait aussi pour effet d’encourager les formations au rabais : on ne va pas imposer des études exigeantes et à recaler tous ceux qui ne satisfont pas aux attentes. On va délivrer des certificats de fréquentation de cours qui seront tenus pour suffisants…
Si l’on ne veut pas brader le cours de citoyenneté, il faudrait s’assurer que le recrutement de ses titulaires repose sur des connaissances acquises et des critères d’aptitude professionnelle plutôt que sur des statuts ou des titres formels.
Ne pouvait-on pas imaginer une période transitoire qui s’étende sur une période qui donne aux écoles normales et aux universités le temps de former un personnel compétent ?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici