Coronavirus: moins de trafic autour de Bruxelles-National mais plus de plaintes pour nuisances aériennes (analyse)
Paradoxe: alors que le trafic autour de Bruxelles-National a très fortement chuté pour cause de pandémie, les plaintes pour nuisances aériennes se sont multipliées. En cause, le choix peu créatif des pistes et le manque de transparence des autorités.
L’an dernier, Brussels Airport se frottait les mains : Zaventem enregistrait un nouveau record de fréquentation, avec près de 26,4 millions de passagers accueillis, soit 2,7 % de plus qu’en 2018. Pour autant, le nombre de plaintes pour nuisances sonores liées aux décollages et aux atterrissages avait chuté : une baisse de 56 % (41 575 plaintes en 2019, contre 94 374 en 2018). Cette diminution n’avait rien à voir avec les procédures de vol ou avec le niveau sonore des avions. Si les plaintes étaient nettement moins nombreuses l’an dernier, c’est dû, selon le service de médiation de l’aéroport, à la lassitude et à la démotivation des riverains à Bruxelles et en périphérie. Car aucune amélioration dans l’utilisation des pistes, des routes aériennes et dans le dossier des normes de vent n’est survenue depuis cinq ans et aucune mesure n’a été prise depuis dix ans pour éliminer de l’aéroport national les vieux coucous les plus bruyants.
Certains acteurs ont refusé toute collaboration, ont pratiqué la langue de bois.
Renversement complet des tendances cette année. En raison de la pandémie de Covid-19, le nombre de vols a chuté vertigineusement à partir de la mi-mars. En avril, l’aéroport national n’a plus accueilli que 79 vols par jour, soit 12 % du trafic d’avril 2019 (657 vols). La plupart de ces avions étaient des cargos. Depuis la reprise des vols non essentiels, le 15 juin, le nombre de passagers a augmenté, mais reste bas, vu l’incertitude liée aux changements des restrictions sanitaires à l’étranger. En juillet et août, le nombre de passagers était environ 80% en dessous de ces mêmes mois l’an dernier. Depuis la rentrée de septembre, l’aéroport enregistre 30% à peine de son trafic passager normal, avec en moyenne quelque 265 vols par jour. Tout bénéfice pour les riverains, moins survolés ? Pas vraiment. Le nombre de plaintes pour nuisances sonores a explosé ces derniers mois. Certaines proviennent de communes qui en recensaient peu auparavant. Principales réclamations : la concentration du trafic sur les mêmes personnes, l’absence de corrections ou d’adaptations pour soulager les zones survolées de jour comme de nuit, ou encore le manque de communication de l’aéroport national.
L’Etat mis devant le fait accompli
Trois phases sont à distinguer dans les décisions et procédures de vol controversées : celle du printemps, alors que la plupart des avions sont cloués au sol, celle de l’été, avec les grands travaux de réfection de la piste principale (la « 25 droite »), et la situation actuelle. La première phase est celle du confinement. Du 18 mars au 7 juillet, Brussels Airport ferme au trafic aérien la piste « 25 gauche » (atterrissages en provenance de Louvain au-dessus de zones agricoles), la parallèle à la piste principale. L’exploitant de l’aéroport justifie cette décision de fermeture par des motifs économiques : pour limiter les coûts, il réduit les prestations du personnel de garde en bord de piste (pompiers, contrôleurs, agents d’entretien). François Bellot (MR), le ministre fédéral de la Mobilité, est mis devant le fait accompli. « L’Etat s’est fait dicter sa conduite par la société anonyme Brussels Airport, constate Philippe Touwaide, médiateur fédéral pour l’aéroport national. Il n’est pas normal que les pouvoirs publics abandonnent ainsi leurs prérogatives. » A la mi-juin, alors que l’aéroport national redémarre ses activités, Arnaud Feist, son patron, persiste et signe : il signifie au gouvernement son refus de rouvrir la piste 25 gauche.
Conséquence de la concentration du trafic aérien sur la piste 25 droite : pendant plusieurs semaines, le Noordrand (les communes flamandes situées au nord de la capitale, en particulier Grimbergen, Wemmel et Meise) supporte chaque nuit 87% des nuisances sonores. Zuhal Demir (N-VA), la ministre flamande de l’Environnement, exige que l’aéroport ouvre d’autres pistes afin que le bruit soit réparti de manière plus équitable. Le 26 mai, après concertation avec le gouvernement flamand, le chef de cabinet du ministre Bellot offre des compensations au Noordrand via une instruction non officielle envoyée par e-mail. Ce collaborateur ne dispose pourtant pas des prérogatives en la matière, explique un rapport du service de médiation publié ce mois-ci. Le côté secret de cette instruction « accentue la suspicion du caractère illégal de la mesure », ajoute le rapport. Résultat : en juin, tout le trafic bascule pendant plusieurs nuits sur l’Oostrand (est de la capitale), des communes flamandes à forte population francophone.
De lourdes conséquences
Souci : octroyer ainsi des « compensations » introduit un principe inédit, qui ne repose sur aucune base légale, et ouvre la boîte de Pandore communautaire. Cela se vérifie quand commencent les travaux de réfection de la piste 25 droite. Sa fermeture, du 13 juillet au 23 août, entraîne une réorganisation complète des vols : la transversale 19 devient la piste préférentielle. Presque tous les atterrissages et décollages sont concentrés sur cette piste, pourtant la plus courte et la moins bien équipée. « Cette décision de recourir à la piste 19 a été prise dès septembre 2019 par le directeur de Brussels Airport, alors qu’elle est du ressort exclusif du gouvernement fédéral », relève le médiateur, qui déplore cet autre « abandon de pouvoir de l’Etat ».
Pendant sept semaines, les communes de l’Oostrand, en particulier Sterrebeek, Wezembeek-Oppem et Tervuren, vivent un cauchemar, de nuit comme de jour. Les comités de riverains de la zone réclament alors, eux aussi, des compensations, au nom de la réciprocité. Peine perdue, le cabinet Bellot, qui avait cédé fin mai aux pressions du Noordrand soutenu par la N-VA, reste sourd aux demandes des habitants et des élus de l’Oostrand.
Le ministre de la Mobilité a, certes, demandé à la DGTA, l’administration fédérale du transport aérien, de procéder à une évaluation hebdomadaire de la manière dont les pistes sont utilisées pendant les travaux. Mais rien n’a été fait. Faute de temps ? Ou de personnel pendant les congés d’été ? Les avis divergent. « Nul ne s’est préoccupé des nuisances sonores qui pesaient nuit et jour sur une seule zone et personne n’a été créatif pour apporter des améliorations ponctuelles au schéma adopté, déplore le service de médiation. Quand l’orientation du vent ne permettait pas d’utiliser la piste 19, des avions ont pu partir de la piste 25 gauche. On s’est alors aperçu que des moyens porteurs pouvaient sans difficulté emprunter cette piste, contrairement à ce qui a été affirmé. »
Manque de transparence et de compréhension
Le service de médiation regrette que l’aéroport, le cabinet Bellot et l’administration du transport aérien aient manqué de « transparence » et de « compréhension de la détresse des personnes survolées ». « Certains acteurs ont refusé toute collaboration, n’ont pas transmis les bonnes infos, ont pratiqué la langue de bois », accuse le médiateur Philippe Touwaide. Son service aurait même subi des « pressions, des intimidations et des menaces » pour empêcher la publication de son rapport relatif à l’impact de la fermeture des pistes 25 gauche et 25 droite.
La fin des travaux de rénovation de la piste principale 25 droite, fin août, n’a pas réglé les questions de fond dans le dossier explosif des nuisances de l’aéroport national. Le ministre François Bellot assure qu’il est important de « renouveler la flotte, en remplaçant les vieux avions poubelles très consommateurs de kérosène par d’autres moins gourmands ». Il serait temps : les normes de bruit qui permettraient d’éliminer ces appareils n’ont plus été modifiées depuis dix ans. De nombreux avions bruyants et technologiquement dépassés desservent encore Bruxelles-National. Ils peuvent même décoller dès 6 heures du matin et réveillent des dizaines de milliers de riverains, Brussels Airport refusant d’adopter la « nuit européenne », qui interdit le décollage d’avions bruyants avant 7 heures du matin. Par ailleurs, la clarification des normes de vent promise par les ministres fédéraux de la Mobilité successifs est prête depuis 2016, mais elle est bloquée par la N-VA.
Bras de fer communautaire autour de la « vliegwet »
Faute d’accord entre partis flamands et francophones, le ministre fédéral de la Mobilité n’a pu résoudre le casse-tête du survol de la capitale et de sa périphérie. « Aujourd’hui, la Flandre prétend que Bruxelles n’est survolée que par 30% du trafic aérien généré par l’aéroport national, alors que les comptages officiels indiquent 48% », signale un expert. La loi qui prévoit l’instauration d’une autorité indépendante de contrôle des normes de bruit est ficelée depuis 2014, mais les partis flamands refusent toujours son adoption. Une réglementation européenne impose pourtant à tous les Etats membres de l’Union de disposer d’une telle autorité.
Le CD&V, qui participe aux négociations pour la formation d’un gouvernement, fait plutôt pression pour que ses partenaires de coalition valident la « vliegwet », loi qui bétonnerait la « dispersion » des nuisances sonores. » Les partis francophones font de la résistance, nous glisse une source proche des négociateurs, pas de vliegwet sans autorité de contrôle. « La dispersion, conçue en 2004 par Jan Cornillie, l’influent chef de cabinet du ministre Bert Anciaux (SP.A, ex-Spirit), est très inéquitable pour Bruxelles et a été interdite par jugements. La vliegwet vise à assurer le développement de l’activité aéroportuaire, et cela sans contrepartie environnementale. Elle empêcherait toute forme de recours en cas de contestation. Que la future coalition tranche ou pas dans ce dossier, les riverains de l’aéroport national risquent d’attendre longtemps encore une approche équilibrée qui garantisse le droit à un environnement sain, et permette de diminuer le bruit des avions dans toutes les zones, surtout la nuit, au petit matin et en fin de soirée.
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