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Coronavirus : « Les enseignants feraient mieux de prendre exemple sur le personnel soignant »

Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Toutes les écoles de Belgique ouvriront leurs portes le 1er septembre, a décidé le CNS. « J’ai particulièrement peur de l’incertitude, des décisions ad hoc, de la communication confuse et du chaos », déclare Dirk Van Damme, spécialiste de l’éducation à l’OCDE.

Dirk Van Damme vit et travaille à Paris depuis quelque temps, mais tant que le virus circule, il ne reviendra pas en Belgique. Peut-être aussi parce qu’il est assez agacé par l’approche du covid-19 dans son pays natal. « La Belgique n’a pas bien géré cette crise. Les taux d’infection et de mortalité sont parmi les plus élevés au monde, et on s’en préoccupe trop peu. J’ai également trouvé terrible les conditions lamentables dans nos maisons de repos pendant le confinement. Avez-vous lu l’article accablant à ce sujet dans le New York Times ? Cette analyse est acerbe, mais tout à fait justifiée. »

Comment se fait-il que la Belgique s’en sort si mal ?

Dirk Van Damme: L’éparpillement des pouvoirs n’est évidemment pas propice à notre capacité de décision. C’est moins perceptible dans des circonstances normales, mais en cas de crise, les faiblesses structurelles d’un système font rapidement surface. En outre, ces dernières années, la Flandre a reculé en termes d’efficacité.

Donc, ce que nous faisons nous-mêmes, nous ne le faisons pas mieux ?

J’ai vécu les premières années de la régionalisation de l’enseignement au premier rang. Au début, la Flandre rattrapait son retard en matière de qualité de l’enseignement. Ce que nous avons fait à l’époque était certainement meilleur que pendant la période nationale précédente. Je ne dis pas que cette avance a complètement disparu, mais la capitalisation des atouts intrinsèques de la Flandre était insuffisante. L’efficacité, la qualité et l’innovation ne sont plus les valeurs les plus importantes dans l’administration publique flamande.

La Flandre s’est belgicisée ?

C’est lié à la politisation de l’administration, à la toute-puissance des partis politiques, mais certainement aussi à la baisse de qualité des fonctionnaires. La Flandre ne parvient plus à attirer et à retenir les personnes les plus fortes pour les fonctions les plus importantes de notre administration publique.

Pensez-vous que cette crise du coronavirus démontre une fois de plus l’importance d’une bonne éducation démocratique ?

Au niveau des grands principes d’enseignement, je réponds « oui » sans hésiter. Je suis en faveur d’un système d’éducation publique accessible démocratiquement et de haute qualité. Mais la question est de savoir dans quelle mesure c’est réaliste pendant et après cette crise. Le Covid-19 est en train de ronger les fondements de notre système éducatif. Par exemple, le fossé entre les étudiants forts et faibles s’est fortement creusé et la qualité moyenne de l’enseignement a chuté partout dans le monde – même si, en même temps, les experts affirment que certains étudiants et élèves ont effectivement bénéficié de cette crise. Andreas Schleicher, mon patron à l’OCDE, par exemple, a tweeté que les étudiants réalisent maintenant à quel point le système éducatif est mal organisé et qu’ils découvrent la joie de l’autoapprentissage. Vous pouvez imaginer qu’il y a eu beaucoup de réactions à ce sujet.

Qu’en pensez-vous ?

L’éducation se concentre sur la normalisation. Les élèves faibles sont entraînés par les plus forts. Cela empêche l’explosion des inégalités sociales, mais peut réduire les chances de certains élèves.

Pour les élèves les plus doués?

Oui. D’où la popularité croissante de l’enseignement à domicile. On le voyait déjà avant la crise du coronavirus, mais cette tendance n’a fait que s’accentuer ces derniers mois dans tous les pays où c’est légalement possible. Beaucoup pensent que les motifs religieux sont déterminants dans l’enseignement à domicile, mais ce n’est pas le cas. De plus en plus de familles choisissent de le faire parce que cela leur permet d’offrir une éducation adaptée aux besoins de leurs enfants. Le journal britannique The Guardian a rapporté la semaine dernière que la demande d’enseignement privé au Royaume-Uni explose.

Vous écrivez dans un document de l’OCDE que le covid-19 discrimine en fonction du niveau d’éducation.

Je l’ai fait sur la base d’une étude suédoise. Pour maîtriser le virus, il est essentiel que nous soyons capables de changer notre comportement. L’éducation est un facteur très important à cet égard. Les personnes ayant un niveau d’éducation plus élevé sont plus aptes à s’adapter aux changements de circonstances et sont donc plus résistantes aux infections. En général, les personnes très instruites sont en meilleure santé parce qu’elles ont développé des compétences et des attitudes qui guident leur comportement.

Que conseillez-vous ?

Nous savons maintenant que, dans de nombreux cas, la qualité des sujets proposés dans l’enseignement à distance était insuffisante. Je ne jette pas la pierre aux écoles ou aux enseignants – la crise est arrivée à l’improviste et les gens n’y étaient pas préparés. Mais les gens savaient depuis un certain temps que le plus gros problème de l’apprentissage en ligne n’était pas le matériel, mais le logiciel ou l’eduware. Le contenu de nombreux programmes éducatifs est souvent trop simpliste et trop linéaire, alors que la technologie permet la différenciation et l’interactivité. De nombreuses écoles et de nombreux enseignants se sont simplifiés la tâche en scannant des exercices à trou banals, qu’ils utilisaient en classe, puis en les envoyant par courrier électronique à leurs élèves. Ce n’est pas de l’enseignement numérique. En termes de qualité de l’enseignement à distance, il faut une opération de rattrapage rapide.

Recevez-vous des signaux indiquant qu’ils rattrapent leur retard ?

De grandes sociétés informatiques comme Microsoft et le britannique Pearson ont certainement commencé à travailler sur ce sujet. Je ne suis pas nécessairement contre, mais l’idée que le contenu des cours soit fourni par des sociétés commerciales qui veulent en tirer profit représente, bien sûr, un risque qu’il faut surveiller. Les gouvernements ne devraient pas seulement s’attacher à maintenir les écoles ouvertes, ils devraient également se rendre compte qu’il devient incroyablement important de bien organiser l’enseignement à distance.

Que pensez-vous de la différence d’approche entre la Flandre et la Wallonie ? Les écoles wallonnes n’ont pas enseigné de nouvelle matière pendant le confinement et ont opté pour l’approfondissement. La Flandre a opté pour ce qu’on appelle le pré-teaching.

La Flandre a au moins essayé d’aider les élèves à progresser. La Communauté française n’a pas voulu proposer de nouvelles matières par l’enseignement à distance et a une fois de plus manqué une occasion.

L’impact à long terme sur le produit intérieur brut (PIB) est également énorme. Il existe une étude française intéressante à ce sujet. En raison de la manifestation étudiante de mai 68, les écoles secondaires françaises sont restées fermées pendant quelques mois. Jusqu’à aujourd’hui, on peut en voir les conséquences sur l’évolution de la carrière et les revenus de ces groupes d’élèves. Ce n’est donc pas à prendre à la légère.

La nouvelle année scolaire va bientôt commencer. Avons-nous tiré des enseignements de la première vague ?

Le risque d’infection parmi et par les élèves est relativement faible. Nous devons prendre ce risque en fonction de l’intérêt public. J’ai surtout peur de l’incertitude, des décisions ad hoc, de la confusion de la communication et du chaos. Il doit y avoir des directives claires et même si les courbes remontent, tout doit être fait pour que les écoles restent ouvertes. En même temps, l’enseignement à distance doit également être bien organisé pour le moment où il sera nécessaire.

Dirk Van Damme
Dirk Van Damme© FRANKY VERDICKT

Sommes-nous trop attentifs aux intérêts des enseignants et pas à ceux des élèves ?

La coupole des écoliers flamande participe parfois aux décisions. Mais en effet, j’ai le sentiment qu’elle tient plutôt compte des risques d’infection des enseignants ou des problèmes d’organisation d’une école, plutôt que des besoins des élèves. Ils ont droit à une bon enseignement. Les enseignants feraient mieux de prendre exemple sur les personnes qui travaillent dans le secteur des soins.

Devrions-nous opter pour l’enseignement en classe, l’enseignement à distance ou un mélange des deux ?

L’éducation évoluera vers un apprentissage mixte ou un enseignement hybride. Donc une combinaison des deux, avec un large éventail de variantes. Cependant, nous devons veiller à ne pas évoluer trop vite vers une individualisation complète de l’éducation. Je voudrais conserver l’avantage de l’enseignement en classe, à savoir que vous aidez les élèves à progresser ensemble. Le rêve d’une éducation personnalisée, cher à de nombreux partisans de l’apprentissage en ligne, comporte un risque élevé d’accroissement des inégalités.

Cela exige-t-il un autre rôle des parents ?

Nous avons trop demandé aux parents pendant le confinement. Ils – généralement les mères – devaient gérer la majeure partie du ménage, faire leur propre travail à la maison et, en plus, être l’enseignant suppléant de leur fils ou de leur fille. C’est dingue. Personne ne peut continuer comme ça. Les parents méritent davantage de soutien et de conseils de la part de l’école de leurs enfants. À partir de septembre, nous devons éviter de les abandonner à leur sort pour la deuxième fois.

Enfin, faut-il réorganiser l’année scolaire ?

Dans certains pays asiatiques, les vacances d’été ont été raccourcies afin de rattraper le retard. Au Japon, ils enseignent à nouveau le samedi. Donc oui, l’année scolaire doit être réorganisée. Je suis depuis longtemps favorable à la réduction des vacances d’été. Deux mois d’absence de l’école, c’est beaucoup trop long, surtout pour les élèves vulnérables. La réorganisation de l’année scolaire n’est pas la tâche la plus urgente, mais nous devons nous en occuper un jour.

En bref, les défis et les menaces qui pèsent sur notre éducation sont particulièrement importants.

Si nous le faisons mal, cela peut conduire à une crise systémique de l’éducation. Je pense qu’il y a trop peu de sensibilisation à ce sujet – et pas seulement en Flandre.

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