Patrick Dupriez

Coronavirus: huit paris pour une communication de crise plus mobilisatrice (carte blanche)

Patrick Dupriez Président d'Etopia, Centre d’animation et de recherche en écologie politique

L’adhésion aux mesures sanitaires prises par nos gouvernements est en chute libre. A peine un tiers de la population les respecterait globalement. Cette situation est le reflet de doutes grandissants sur la réalité du risque épidémique et sur la pertinence de recommandations variables dans l’espace et dans le temps et qui suscitent de nombreuses controverses.

Mais elle traduit aussi une méfiance croissante à l’égard des autorités et donc de notre capacité collective à traverser solidairement une crise exceptionnelle. Or, la confiance de la population en ses institutions est à la fois une condition et une mesure de la réussite d’une gestion de crise.

Comment, dès lors, assurer une adhésion suffisante de la population à la stratégie de gestion de la pandémie et sa participation à un projet collectif de santé ? La manière avec laquelle les autorités communiquent, implicitement et explicitement, est essentielle. Sans me prononcer ici sur le fond des analyses et des mesures de gestion de la crise, je propose 8 paris à tenter pour réussir mieux ce défi.

1. Le pari de l’intelligence

Quels sont les gestes barrières les plus efficaces et dans quels contextes ? Qui sont les personnes à risque que nous devons prioritairement protéger ? Quelles sont les circonstances les plus propices à la contamination et les meilleures façons d’améliorer notre santé et notre résistance au virus ? L’information et la compréhension sont des outils de la résilience collective auxquels les citoyen.nes doivent avoir accès.

Certes, fakenews et délires complotistes circulent de façon inquiétante. Mais fondamentalement, les citoyen.nes qui doutent des conclusions épidémiologiques tirées de chiffres non-signifiants ou non-contextualisés, qui s’interrogent sur l’utilité de la bulle sociale qui leur est imposée au regard des foyers de contamination observés, sur la nécessité de porter un masque en tout lieu ou sur l’efficacité du système de traçage ; les artistes qui observent leurs contraintes par rapport à d’autres secteurs, les étudiant.es qui protestent de devoir passer 8 heures masqué.es à un mètre de leurs condisciples, alors que certains enseignants n’en peuvent déjà plus, alors qu’ils ou elles se retrouveront dans les bars, le visage libre, quelques minutes plus tard… toutes celles et ceux qui cherchent et comparent les politiques menées dans différents pays font preuve d’esprit critique et méritent des réponses argumentées.

La question du masque est en ce sens devenue très symbolique. Il existe un consensus scientifique large sur son utilité (bien utilisé, en plus de la distance physique et du lavage de mains) pour limiter la propagation du virus dans des espaces clos. Ce consensus est inexistant s’agissant d’un port quasi permanent dans les espaces ouverts et de l’équilibre entre bienfaits et nuisances dans ce cas. Et il n’est nul besoin de référence scientifique pour admettre que le masque n’a absolument aucune utilité lorsqu’on se retrouve seul dans un parc ou une rue déserte en soirée. Il est logique que ceux qui ne comprennent pas certaines contraintes finissent par les contester ou les ignorer.

Je suis convaincu qu’on peut investir dans l’intelligence des citoyen.nes et que multiplier les informations fiables et claires, ciblées vers différents publics, tant sur la nature et l’évolution du risque que sur l’efficacité des consignes dans différentes situations, susciterait la participation volontaire et solidaire d’une majorité de personnes capables de discernement.

2. Le pari de la congruence

Si l’obligation du port du masque sur tout le territoire d’une ville n’est pas fondée sur des observations épidémiologiques, sur quoi dès lors ? La porte parole de Sciensano, Frédérique Jacobs, nous donne la réponse dans le Vif : « il n’y a effectivement aucune raison scientifique de porter un masque lorsque l’on est seul dans la rue mais cette situation peut changer rapidement (…).. Il est donc complexe d’expliquer les endroits où le masque est indispensable ou pas. La règle plus simple, mais surtout plus compréhensible pour tous, est de rendre le masque obligatoire dès que l’on est dans l’espace public« . En clair, comme il est difficile de faire comprendre aux gens dans quels contextes le port du masque est utile, exigeons-le partout et tout le temps. Ou encore, pour éviter les espaces d’interprétation dans la sanction des infractions, adoptons une règle disproportionnée mais simple.

Le message implicite que cette stratégie envoie à la population est double :

  • vous êtes trop bêtes pour ajuster vos comportements en fonction des informations et consignes ;
  • vous n’êtes pas assez responsables pour respecter des règles proportionnées et expliquées.

En communication, l’implicite d’un message est puissant, souvent davantage que son contenu factuel. Susciter l’adhésion des citoyens en leur déniant la capacité de comprendre une information complète et nuancée est pour le moins paradoxal. Le pari de la congruence est donc celui de l’adéquation entre l’implicite et l’explicite du message. L’obligation généralisée du port du masque n’est pas fondée sur la science mais sur une vision politique. Je suis convaincu que, quel qu’il soit, le choix des autorités gagnera en efficacité en assumant explicitement sa motivation.

3. Le pari du sens

Le sens de la règle est une condition de son acceptation. Le jeune homme non-masqué seul dans un skatepark sait pertinemment bien qu’il ne met la santé de personne en danger. L’étudiante qui mange son sandwich sur un banc ou la maman qui attache son vélo avant de (re)mettre son masque, pareil. Les amendes qui leur sont infligées ne peuvent que paraître injustes parce qu’elles n’ont aucun sens du point de vue sanitaire. Elles suscitent la rébellion au détriment de l’adhésion, sur une mesure, puis, par amalgame, sur d’autres. Certes, « de wet is de wet », mais il est peu contestable que cette stratégie mise sur la peur plus que sur la responsabilité ou sur une éthique de la solidarité bien comprise.

Comme le dit si bien Cynthia Fleury : « L’éthique, c’est le non zèle par rapport à la règle; c’est la compréhension de la règle et le discernement… » Je suis convaincu que veiller en permanence au sens de la règle du point de vue collectif est une condition essentielle de son acceptation et de son respect.

4. Le pari de la cohérence (ou des neurosciences)

Choisir entre invitation à la responsabilité et menace de sanction, c’est aussi ce que ne fit jamais vraiment notre Première ministre dans sa communication. Le même discours, parfois le même paragraphe de ses interventions, alternait un appel à la participation volontaire à un effort collectif pour prendre soin des autres et de soi, et une liste d’infractions et de punitions assorties. Les spécialistes de la communication ou des formes de leadership savent pourtant combien ce mélange rend le propos peu efficace. On ne peut faire appel simultanément à deux registres psychologiques aussi différents sans risquer de perdre l’impact sur l’un comme sur l’autre et donc une bonne part d’adhésion.

Je suis convaincu que la personne responsable de la communication de crise doit faire le choix d’une forme de leadership et s’y tenir. Personnellement, j’opterais résolument et dans la durée pour mobiliser et inspirer sur base de valeurs plutôt que miser sur une peur déjà omniprésente.

5. Le pari de la confiance

Susciter l’adhésion, c’est aussi faire a priori confiance dans la volonté des gens de jouer le jeu d’un stratégie collective. Or, en Belgique, plusieurs règles ont été soumises à des réflexions techniques pour les rendre formellement obligatoires alors qu’elles sont aisément contournables et pratiquement incontrôlables. Rien ne vous empêche d’inscrire un faux numéro sur la fiche du restaurant et personne ne viendra réellement vérifier la bulle de vos contacts sociaux. Dès lors, l’efficacité des gestes barrières et méthodes de traçage tiendra-t-elle à la volonté d’y participer ou à d’hypothétiques sanctions ?

La confiance inspire le désir d’en être gratifié. Je suis convaincu qu’il serait pertinent de réserver les interdictions, obligations et sanctions aux comportements les plus significativement et assurément à risques et de renforcer et valoriser la participation volontaire de la très grande majorité des gens aux efforts collectifs.

6. Le pari de la reliance

Le SarsCoV2 se régale de la pauvreté ainsi que des personnes âgées et à la santé fragile. La maladie, les mesures de confinement et les répressions associées ont touché plus durement les personnes et quartiers défavorisés et dramatiquement les aînés. C’est une évidence qui n’a que peu été prise en compte par les autorités mais qui génère un profond sentiment d’injustice. Or, le sentiment de faire partie intégrante de la communauté, d’être considéré et respecté comme utile à celle-ci, est une condition essentielle de participation à la mobilisation collective. Il importe donc de (re)créer une conviction de destin commun et un lien fort entre l’ensemble des citoyens et entre ceux-ci et les institutions.

Je suis convaincu que des soutiens et des aménagements spécifiques pour ceux qui souffrent le plus de la crise, des communications plus ciblées, une attention bienveillante à leur vécu… généreront davantage l’adhésion de tous que des milliers de pv de police.

7. Le pari de l’expérience

Il faudra parvenir dans les mois qui viennent à comparer avec nuances les stratégies de gestion de la crise de la covid19 dans différents pays, leurs résultats, leurs conséquences globales à court et moyen terme et le niveau d’adhésion des populations concernées pour en retenir les meilleures pratiques. Mais localement, nous pouvons aussi observer chez nous, des communes qui ont performé dans le traçage, des maisons de repos qui n’ont pas compté de décès ou très peu et qui ont maintenu une qualité de vie relationnelle basée sur le respect de leur résidents, des maisons médicales qui ont innové dans le suivi préventif et curatif des patients, des écoles qui ont fait preuve d’une créativité remarquable pour assurer la continuité pédagogique durant le confinement et pour ré-accueillir les élèves dans les meilleures conditions possibles, des entreprises et commerces qui inventent des modes de fonctionnement protégeant la santé des travailleurs et des clients, des zones de police qui s’associent avec le monde associatif pour mieux communiquer, des réseaux qui s’organisent pour mettre les plus précaires à l’abri, des acteurs de la promotion de la santé qui développent les compétences des citoyen.nes dans des quartiers populaires ou la formation des professionnels du soin…

Face à la crise, confrontés à une ambiance anxiogène, nous pouvons nous figer dans la peur, de la maladie et des autres, mais aussi nous laisser inspirer par les démarches positives les plus efficaces, par des illustrations qui nous rassurent sur notre capacité à « nous en sortir », chacun.e et ensemble.

Il n’y a pas meilleure pédagogie que l’exemple. Au-delà de l’évocation des risques et des règles, je suis convaincu que la communication des autorités gagnerait à insister davantage sur l’expérience partagée, l’innovation de terrain et la valorisation des meilleures pratiques à tous niveaux et dans tous les secteurs.

8. Le pari de l’espérance (ou de l’horizon)

Définir une stratégie collective, c’est d’abord lui donner un objectif. A quelles fins faisons-nous ces efforts, considérable pour certains et quelle est la perspective de sortie de crise ? Au fil des semaines, les critiques sont apparues sur le sens des chiffres énoncés quotidiennement par Sciensano et tous, nous nous interrogeons sur l’issue de cette crise. Le but poursuivi est devenu flou et nous ignorons quels sont les indicateurs qualitatifs et quantitatifs qui justifient la mise en oeuvre ou le retrait des différentes et mouvantes mesures prises depuis mars ? Certains messages qui laissent penser qu’elles se normaliseraient durablement alimentent même une contestation profonde.

Il y a quelques semaines, la Région bruxelloise avait annoncé clairement la mise en oeuvre d’une série de mesures sanitaires dès lors que le nombre de tests Covid19 positifs dépasserait 50 par 100.000 habitants. Mais pourquoi ces mesures restent-elles d’application une fois repassé sous ce seuil ? Quels indicateurs atteindre pour passer à une autre phase de la stratégie en diminuant la pression ? Mystère !

Le simple nombre de contaminations détectées n’est clairement pas une information suffisamment pertinente pour justifier les politiques menées et leurs conséquences. Sans doute faut-il imaginer un indicateur composite, intégrant la dynamique de l’épidémie, l’évolution de la dangerosité du virus et la situation du système de soins de santé. Avec cet outil transparent et public, il sera possible de donner un cap, d’intensifier ou de relâcher l’effort, de tracer une ligne d’horizon qui maintienne la motivation.

Je suis convaincu qu’il n’y a pas de stratégie sans objectif précis, ni d’effort consenti durablement sans espoir concret.

« La connaissance est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes » raconte joliment Edgar Morin.

Nonobstant tant d’incertitudes et de débats scientifiques, politiques et citoyens pour trouver un chemin de résilience collective à une crise de plus en plus systémique – et qui risque de se reproduire – nous pourrions au moins parier sur une communication susceptible de mieux générer l’adhésion et la confiance.

La vigilance reste de mise mais notre situation sanitaire est incomparable avec celle qui nous a pris de court en mars dernier. Il serait donc temps de penser, annoncer et mettre en oeuvre une stratégie de communication fondée sur de nouvelles bases.

Patrick Dupriez

Président d’Etopia

PS: Tiens, et si le gouvernement fédéral avait accepté la proposition de créer un panel citoyen pour accompagner le déconfinement comme le suggéraient certains membres du GEES, est-ce que ces paris auraient été mieux relevés?

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