Coronavirus : Comment réinventer la bulle ?
La Première ministre Sophie Wilmès (MR) aimerait changer la « bulle des cinq » qu’elle trouve trop « restrictive ». Certes, mais comment ? Un nouveau groupe d’experts du Celeval est chargé de la réinventer.
La bulle de cinq est censée rester en vigueur jusqu’à la fin du mois septembre. La bulle, ce concept introduit au sortir du confinement et visant à limiter les contacts sociaux tout en rompant dans une certaine mesure les distanciations sociales, sera passée à 2, puis 4, puis 10, puis 15, avant de revenir à 5 à la fin juillet. Une restriction introduite suite à la hausse des chiffres et face à la crainte d’une seconde vague.
Le concept de bulle fixe vise en effet surtout à réduire l’interaction avec les autres à des contacts répétés et non plus à des contacts aléatoires. Ce qui permettrait, selon les auteurs d’une étude à l’origine de ce concept de bulle, de diminuer de 30% le nombre d’individus infectés. Ce système de « bulle » ou « silo » hermétique va pourtant rapidement devenir un véritable casse-tête pour de nombreux Belges. Et c’est, depuis le début, le problème: le concept n’est pas clair. Le modèle a été pensé pour des couples avec enfants vivant sous le même toit. Ce qui ne présente que 37 % des ménages belges.
Presque inapplicable dans la vie de tous les jours et généralisée à tout le pays, la mesure ne va jamais obtenir l’adhésion de la population. L’infectiologue Yves Van Laethem, pourtant membre du Celeval, précise dans Le Soir « qu’on a tapé trop fort, trop vite ». « La question était surtout de savoir si cela devait être appliqué partout ou pas. À Anvers comme dans le Brabant wallon, où il ne se passe à peu près rien ? Dans certains endroits le port du masque ne pouvait-il pas être suffisant ? »
Et force est de constater que ce concept est à bout de souffle et que plus grand monde n’en tient compte. Cette démotivation se manifeste dans toutes les tranches d’âge de la population, mais se ressent d’autant plus chez les jeunes de 18 à 35 ans. Dans la pratique, seulement 21% de la population respecte la règle de la « bulle de 5 ». Et parmi les personnes qui la respectent, 67% trouvent cette mesure très pénible.
La pression se fait donc chaque jour plus forte pour mettre fin à ce qui est considéré par beaucoup comme une trop forte restriction sociale. Des reproches qui semblent avoir l’oreille de la Première ministre puisqu’elle a déclaré sur LN24 que la « bulle des cinq » est restrictive et qu’elle doit être réinventée ».
Une nouvelle mouture de la bulle
Ce sera à un nouvel organe de consultation scientifique du Celeval, la cellule d’évaluation du centre de crise, composée de 15 à 20 experts et fonctionnaires, qui reprendra le rôle des experts GEES, à déterminer à quoi devra ressembler cette nouvelle bulle. La décision sera officialisée ce vendredi, selon Het Laatste Nieuws. En autre nouveauté le groupe comprendra également, selon De Standaard, des psychologues, des sociologues et des économistes. Si certains anciens du GEES s’y retrouvent, un certain nombre d’experts flamands, en trop grand nombre, ne seront plus de la partie, toujours selon le quotidien.
Un casse-tête
La discussion autour de cette bulle réinventée risque d’être houleuse, car les avis sont partagés sur le sujet. Certains annoncent la fin de la bulle de cinq, alors que d’autres y voient tout de même une utilité si celle-ci est inscrite dans un contexte de résurgence de l’épidémie et avec une certaine perspective de fin. Par exemple, lorsque les chiffres baissent (soit en ce moment). Il est aussi crucial d’assurer un suivi quotidien avec des modèles et de communiquer régulièrement et honnêtement sur les chances d’une deuxième vague, selon Lieven Annemans, professeur d’économie de la santé (UGent, VUB) cité par le Standaard.
Même Steven Van Gucht, président du Celeval, a déclaré à la VRT que la bulle des cinq pourrait être élargie, même s’il précise d’emblée qu’un retour à quinze n’est pas souhaitable. Une autre piste avancée par Maarten Vansteenkiste (UGent), professeur de psychologie motivationnelle, est de faire des bulles avec une limite supérieure. Par exemple, une bulle avec une fourchette allant de 4 à 8 et en expliquant bien les conséquences sur la propagation des virus si vous en choisissez quatre ou huit. Ce qui permettrait aux gens de faire un « choix réfléchi ». Van Gucht partage ce concept d’une fourchette flexible. « En phase d’alarme 1, par exemple, vous pourriez voir 8 contacts. Si la situation s’aggrave, tout le monde sait que dans la phase 2, on passera à 4. C’est juste une idée qui doit encore être discutée, mais je pense que les gens l’accepteront mieux » dit-il encore.
Et c’est là tout l’enjeu, car les règles édictées par les autorités doivent être considérées comme sensées et logiques par les citoyens pour être suivies. Or, la « bulle de 5 » est, comme précisé plus haut, source de confusion et d’incompréhension. « La simplicité et l’uniformité sont subordonnées à l’utilité : une règle perçue comme illogique qui est simple et claire reste illogique. Plus la compréhension de la mesure est grande, plus les chances de motivation durable sont grandes », estiment des chercheurs de l’université de Gand.
Une bulle ajustée plutôt que supprimée
Plutôt que supprimer ou d’élargir de trop la bulle, une autre option pourrait donc être de l' »ajuster » au contexte. Car la plupart des experts s’accordent tout de même autour de l’importance de limiter les contacts. La question est de savoir jusqu’où exactement.
L’ajustement de la bulle est la piste de Geert Molenberghs (KU Leuven, UHasselt). Ce professeur de biostatistique y voit un moyen de réduire les contacts sociaux jusqu’à un certain point pour ne pas laisser trop le champ libre au virus tout en laissant de l’autonomie aux individus. Une piste aussi avancée par le chercheur Maarten Vansteenkiste qui propose de mettre en place un système de code couleur, comme pour les écoles, qui permettrait à la population de savoir facilement où l’on se situe dans l’épidémie à un moment donné et de montrer quels bénéfices on tire à limiter ses contacts. Ou autrement dit de donner à la population la possibilité d’éviter la valeur seuil suivante par son comportement. Une sorte d »empreinte corona personnelle’ qui permettrait aux personnes d’évaluer leur propre comportement en matière épidémique.
Dans les pays voisins, on n’a même jamais introduit la bulle fixe
Pour connaître cette limite, on peut donc s’appuyer sur des modèles mathématiques, mais aussi s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Et ailleurs, si on a limité le nombre de contacts, on n’a jamais jugé nécessaire d’introduire le concept de bulle fixe.
Ainsi en France, on ne peut pas rencontrer plus de dix personnes en public, mais sur une propriété privée, vous faites ce que vous voulez.
Aux Pays-Bas, on a plutôt choisi de miser sur la distanciation sociale. Elle est de mise partout sauf au sein du ménage. Les enfants entre eux ne doivent pas non plus se tenir à 1.5 mètre (et ce jusqu’à l’âge de 18 ans). Les grandes bacchanales à domicile ne sont pourtant pas autorisées puisqu’on ne peut recevoir un maximum de six personnes supplémentaires la maison, et celles-ci doivent toujours pouvoir garder une distance d’un mètre et demi.
En Allemagne, on recommande de limiter le nombre de contacts et de garder ses distances, mais il n’y a pas de limite au nombre de personnes de différents ménages que vous pouvez rencontrer. Néanmoins, en cas d’augmentation de l’épidémie, chaque État fédéral peut imposer de nouvelles restrictions sur le nombre de personnes autorisées à se réunir en réunion privée.
Au Royaume-Uni, là non plus pas de bulle fixe. On limite cependant le nombre de contacts et cela varie d’une région à l’autre. Par exemple, au Pays de Galles, se réunir avec un autre ménage n’est autorisé qu’en plein air. En Angleterre, deux ménages peuvent se rendre visite à la maison, ou aller ensemble dans un restaurant. En Écosse, on ne peut pas inviter plus de 8 personnes chez soi et en Irlande du Nord, un maximum de six personnes issues de deux ménages sont autorisées à se réunir à l’intérieur.
Enfin, deux autres exemples sont l’Italie, où les visites familiales n’étaient pas interdites, mais bien de se rendre à des événements publics ou encore l’Irlande, où on ne pouvait pas voir ses proches, mais bien ses voisins, histoire de circonscrire localement l’infection.
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