Zakia Khattabi et Patrick Dupriez
Contre le terrorisme, viser l’efficacité
Le 22 mars 2016, la Belgique était touchée par la violence et la terreur. Un an plus tard, de nombreuses questions restent sans réponse. Elles interrogent notre démocratie et doivent nous permettre de donner un sens à ce qui nous arrive, à la souffrance des victimes et aux défis que nous avons à relever après le traumatisme collectif.
Au delà des terribles drames humains, le « succès » du terrorisme dépend fortement, aux yeux de ses auteurs, des réactions qu’il suscite dans la société et chez les responsables politiques.
Que voulaient les terroristes qui nous ont attaqués le 22 mars 2016 ? Tuer, blesser, terroriser, mais surtout déstabiliser l’État, affaiblir notre démocratie, installer peur et méfiance, haine et rejet au coeur de la société, monter les citoyens les uns contre les autres, de part et d’autre de remparts identitaires et confessionnels.
Ils ont fait le pari que leurs attentats provoqueraient un durcissement des discours politiques, une fuite en avant sécuritaire, l’abaissement de notre régime de libertés et d’État de droit, une multiplication des mesures d’exception, une libération de la parole raciste, des actes de représailles contre les musulmans, un engrenage de violence communautaire qui ramèneraient à eux sympathisants et recrues… Ces indicateurs-là nous renseignent sur la réussite d’une attaque terroriste autant que les immenses dégâts humains causés par l’assaut lui-même.
Une politique de lutte contre le terrorisme doit intégrer les objectifs de celui-ci pour les contrecarrer. Nous devons choisir l’opposé du chemin qu’ils nous proposent : oeuvrer à une société ouverte, juste, libre et démocratique où les citoyens, pluriels dans leurs convictions, se rejoignent dans des valeurs communes et le désir de construire un avenir ensemble.
Il s’agit de créer du « Nous » là où certains, plus encore depuis le 22 mars 2016, nourrissent les peurs et les haines, opposent les uns aux autres, utilisent les fractures sociales ou identitaires au service de leurs ambitions.
Un an nous sépare des attentats de Bruxelles. La manière dont nos gouvernements ont répondu à ces événements terribles nous a-t-elle rapprochés ou éloignés du projet que les terroristes avaient en nous attaquant ? La réponse est, à nos yeux, plutôt désespérante, tant par les politiques poursuivies que les postures adoptées.
Le registre exclusivement sécuritaire condamne à l’échec parce qu’il oublie deux fondamentaux : les politiques de prévention et de cohésion sociale et une vision de long terme en matière de lutte contre le radicalisme violent. Or, ces dimensions indispensables ont été niées par le gouvernement fédéral et sous-investies par les exécutifs régionaux et communautaires.
Il y avait, il y a une alternative possible.
Elle est sécuritaire à travers une politique centrée sur l’efficacité et le renforcement de l’État de droit : la fin des coupes budgétaires imposées à la justice ; le remplissage du cadre policier et l’engagement d’agents de proximité ; le renforcement des services de renseignements débarrassés des velléités de surveillance de masse qui fait de chacun un suspect.
Mais une politique efficace de lutte contre le radicalisme violent doit se fonder sur le prévention : pour chaque euro investi dans la mobilisation de moyens sécuritaires (200 millions d’euros en 2015, 400 millions d’euros en 2016), un euro doit être investi dans des dispositifs de prévention et de cohésion sociale.
Il s’agit de miser sur l’éducation, dès le plus jeune âge, de renforcer les capacités d’action des acteurs de première ligne (éducateurs, assistants sociaux, enseignants) ;de lutter contre les discriminations et les appels à la haine ; de permettre à chaque jeune d’avoir accès à un emploi ou une formation professionnelle ; de construire des alliances locales rassemblant pouvoirs publics, associations et structures communautaires musulmanes et de favoriser l’émergence d’un islam connecté aux réalités culturelles de notre pays.
Malheureusement, cet investissement dans la prévention et la cohésion sociale ne vient pas. Le foisonnement d’initiatives et la créativité des citoyens et associations sont remarquables, mais le soutien politique dérisoire.
Un an après le 22 mars 2016, notre pays a besoin d’unité et de rassemblement
Trop souvent, par l’entremise de l’un ou l’autre Ministre, le gouvernement fédéral a cédé à une rhétorique de division alors que son rôle était de rassembler les citoyens, quelle que soit leur confession, dans ces moments difficiles. Il a contribué à la division en choisissant la communication politique au détriment de l’action efficace et en cédant aux postures martiales et stigmatisantes. Ce qui semble avoir compté pour lui ce n’est pas tant l’efficacité des 12 mesures de janvier 2015 ou des 18 du mois de novembre, mais l’effet d’annonce de ces mesures sur l’opinion publique. L’essentiel n’était pas d’agir efficacement, mais de donner une impression d’action (la présence des militaires dans la rue en est l’exemple le plus emblématique).
Cette stratégie n’est pas sans conséquences. Elle fait courir le risque qu’en voulant à tout prix donner l’impression de faire on finisse en réalité par défaire, qu’à vouloir donner l’impression de ramener de l’ordre, on crée en réalité les conditions d’un désordre futur parce qu’on aurait alimenté, par des politiques exclusivement sécuritaires et des discours de division, le marécage dans lequel se forment les trajectoires de radicalisation.
La démocratie doit avoir cette vertu fondamentale : nous faire participer tous à un projet commun. Un projet d’espoir pour chacune et chacun, qui fait confiance et qui rend confiance dans le fait que demain peut être meilleure qu’aujourd’hui, pour tous.
Et là, politiquement, tout reste à faire…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici