César Botero González
Conseils aux politiques en campagne
Et voilà mesdames et messieurs les politiques. La langue est donc la meilleure et la pire des choses, en particulier lorsque l’on fait de la politique. Comment vous en servez-vous?
Pour ceux qui l’ont oublié ou qui ne le savent pas – on ne peut pas tout savoir – voici l’histoire d’un personnage de la Grèce antique, précurseur de La Fontaine et de Perrault, dont on dit qu’il a inventé la fable.
Esope, esclave de Xanthos, reçoit de celui-ci l’ordre de se rendre au marché et de lui acheter ce qu’il trouverait de mieux. Esope lui ramène des langues sous prétexte qu’il n’y a rien de mieux. Par la langue nous disons la vérité, faisons l’éloge de la beauté, chantons les bontés de l’amour, prononçons les mots qui apaisent et consolent, défendons nos droits et ceux des autres…
Plus tard, Xanthos lui demande de lui acheter cette fois ce qu’il trouverait de pire. Esope lui apporte encore des langues. Par la langue nous répandons le mensonge, incitons à la haine et à la violence, pratiquons la démagogie et la diffamation, trompons avec des sophismes, semons la discorde…
Et voilà mesdames et messieurs les politiques. La langue est donc la meilleure et la pire des choses, en particulier lorsque l’on fait de la politique. Comment vous en servez-vous ? Pratiquez-vous la langue de bois ou de la transparence, de la vérité ou du mensonge, de l’ambiguïté ou de la précision, de la démagogie ou de l’engagement, de l’opportunisme ou de la bonne gouvernance, bref, la langue des vertus ou la langue des turpitudes ?
Si vous avez des difficultés à répondre à ces questions, c’est un signe révélateur et préoccupant, mais ne vous tracassez pas. Il n’est jamais trop tard pour s’amender. Plusieurs années d’observation de la classe politique, les campagnes électorales, le suivi de vos déclarations et l’écoute des électeurs m’ont permis de réunir quelques conseils à votre intention, quel que soit votre parti.
- Une campagne électorale sans promesses est comme un bal sans musique. Vous n’avez pas le choix. Vous devez faire des promesses : création d’emplois, justice sociale, justice fiscale, un enseignement de qualité, protection de l’environnement, plus de sécurité sociale, moins d’impôts, un petit coin de paradis… Le problème est que les citoyens, à tort ou à raison, ne vous croient plus. Débrouillez-vous donc pour être crédible. Évitez les phrases passe-partout.
- Ne dites pas : sans nous ce sera pire. Vous susciteriez la réplique : mais avec vous ce n’est pas mieux. C’est ce qu’on appelle, se faire smasher dans la langue du tennis. Ne dites pas non plus : un gouvernement avec nous et un gouvernement sans nous c’est comme le jour et la nuit. Ce serait plutôt entre chien et loup.
- Cessez de refiler la patate chaude à l’Union européenne sur des sujets embarrassants. Si on vous interroge sur la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, ne répondez pas : nous sommes pour un embargo sur les armes s’il est décidé par tous les pays de l’Union européenne. Autrement ce sont les autres qui en profiteront. Réponse hypocrite. Vous savez que l’Europe ne prendra pas cette décision et même si elle la prenait, des pays autres que ceux de l’UE continueraient leur commerce et vous invoquerez de nouveau le même argument. Par la même occasion, vous adhérez à un principe éthique bizarre selon lequel les fautes des uns justifient les fautes des autres. En outre, vous oubliez qu’en voulant profiter comme les autres, ce profit se fait au prix de nombreuses victimes innocentes. Vous adoptez le même raisonnement sur l’immigration, que vous dites vouloir humaine et ferme, croyant contenter tout le monde. C’est pareil pour la réforme et le contrôle fiscal, l’impôt sur la fortune, la taxation des multinationales. Bref, vous posez comme condition pour prendre des décisions que l’Union européenne approuve un plan global sachant qu’elle ne le fera pas. Qu’y a-t-il derrière cette stratégie ? Calcul électoral ce dont les citoyens s’en aperçoivent sans difficulté.
- Sachez que personne ne vous croit lorsque vous prétendez que tous les partis sont responsables des problèmes de la Wallonie-Bruxelles sauf le vôtre, comme s’il n’avait jamais gouverné. Ne faites pas de l’obstacle à vaincre la justification de votre incapacité à le surmonter, puisque vous êtes élus pour cela. Si votre parti n’a pas gouverné, soyez modeste, il n’y a pas de quoi se vanter. Gouverner est difficile.
- Ne faites pas les vierges effarouchées en vous accusant de trahison entre partis. La fidélité est une des vertus les moins pratiquées en politique. Tous, à l’exception de ceux qui n’ont pas encore gouverné, se jurent fidélité et se trahissent au rythme des alliances et des mésalliances. La politique est faite de croque-en jambes. Même les Ecolos, persuadés d’être parés de toutes les vertus, se laissent aller aux infidélités sans rougir et sans repentance. Vous pourriez répondre comme John Kennedy. Une journaliste lui demande : êtes-vous un homme fidèle en amour ? très souvent, répond-il, à l’aise. C’est pareil en politique.
- Quand vous trahissez, ne dites pas que c’est une décision courageuse pour la bonne cause, la bonne gouvernance et dans l’intérêt général. Personne ne vous croira. Pour les trahisons, je n’ai pas d’autres conseils.
- Quand vous êtes trahi, n’oubliez pas que les traîtres d’aujourd’hui sont les probables partenaires des majorités de demain. Ne les accablez pas trop.
- Ne dites jamais, jamais avec la N-VA parce qu’on ne sait jamais, sauf si vous êtes sûr de ne changer jamais d’avis. Dites plutôt : attendons les résultats. Jamais et son antonyme toujours, sont des mots dont il ne faut jamais abuser en politique. C’est toujours risqué.
- Cessez de répéter comme une incantation magique « ce sont les électeurs qui décident » à chaque fois que l’on vous interroge sur vos futures alliances et que la réponse vous embarrasse. Foutaises ! Les électeurs ne décident rien du tout, ils ne font que vous élire après que vous ayez promis de faire ou de ne pas faire ceci ou cela. Un exemple parmi d’autres : le « jamais avec la N-VA » de celui que vous savez avant les élections et le « avec toi quand même » après ces mêmes élections avant de se faire rouler dans la farine. Mais il n’y a pas que lui à se dédire.
- Si l’on vous demande pourquoi voulez-vous vous faire élire ou réélire pour la énième fois, ne dites pas que votre mission est de mettre votre expérience au service de l’intérêt général ou comme disait l’autre : « Je fais de la politique pour servir pas pour m’en servir ». Personne ne vous croira même si vous êtes sincère. C’est un poncif. Dites tout simplement : j’aime la politique et faire passer mes idées. Les électeurs seront agréablement surpris de cette réponse inhabituelle et inattendue.
- Parlez le moins possible de la N-VA. Vous êtes leurs idiots utiles quand vous réagissez à chacune de leurs déclarations. Elle vous marque le rythme et, ce faisant, devient le pivot de la politique wallonne. Parlez de votre programme au lieu de diffuser le sien.
- Abandonnez les lieux communs tels que : nous vivons un moment crucial, nous traversons la plus grande crise de notre histoire, les pires moments sont devant nous… L’histoire de l’humanité est une succession de moments cruciaux, de crises plus grandes les unes que les autres et des pires moments qui n’en finissent pas. Calmez-vous donc !
- Si le 26 mai, votre parti perd des voix par rapport aux élections précédentes, ne dites pas qu’il a gagné parce qu’il a perdu moins que prévu ou moins que d’autres partis. Les gens connaissent la chanson et se marrent quand vous la chantonnez. Dites plutôt : oui, nous avons perdu et nous ne sommes pas contents du tout. Nous allons faire quelques réunions d’autocritique.
- Cacher votre ignorance est plus facile que de montrer votre savoir, mais n’exagérez pas, surtout lorsque vous répondez aux journalistes. Vous avez l’habitude de répondre à toutes les questions que l’on vous pose quitte à patauger, pendant des secondes et même des minutes interminables, sur un sujet que vous ne maitrisez pas au lieu de répondre : « je n’ai pas de réponse à cette question ». Une réponse honnête vaut plus que l’ignorance que vous essayez d’occulter en vain. Les citoyens ne sont pas dupes.
- Un dernier conseil très difficile à suivre : quand vous vous trompez, admettez-le. Cela désarçonne vos détracteurs, conforte vos partisans et surprend les observateurs. Les citoyens apprécient la sagesse et le courage de vous exposer
- Ne répondez pas aux questions à une seule réponse crédible. Ce sont des questions auxquelles vous êtes souvent confrontés. Qu’est-ce que c’est ce genre de questions ? Un journaliste, un brin pervers, vous demande ce que vous pensez de la dernière déclaration, fort controversée, de votre président de parti. Si vous êtes contre, les gens vous croient parce que vous osez le dire. Si vous êtes pour, les gens ne vous croient pas parce que vous n’osez pas dire le contraire. Dans ce cas, la réponse ne vaut rien et la question encore moins. Limitez-vous à expliquer ce que c’est une question à une seule réponse crédible si vous voulez éviter la langue de bois.
Je ne vous dis pas satisfait ou remboursé. Mes conseils sont gratuits et il ne suffit pas de les suivre pour vous faire élire ou réélire. S’ils s’avèrent utiles, vous n’êtes pas obligés de me remercier. En revanche, si vous voulez encore des conseils, n’hésitez pas à me les demander.
À partir du 26 mai prochain, je me ferai un plaisir d’évaluer votre campagne. Ce sera ma modeste collaboration pour que vous commenciez à préparer déjà la suivante. Si vous pensez que les citoyens auraient encore besoin de vous naturellement.
Je vous souhaite une campagne à la hauteur de vos ambitions.
César Botero González
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