Jan Nolf
Conseil Supérieur de la Justice: pas grave, juste Pire
Composition du Conseil Supérieur de la Justice : ce n’est pas grave, c’est Pire.
La Libre Belgique du 26 septembre dernier résumait sur 2 pages le « chaos annoncé » du Conseil Supérieur de la Justice (CSJ) : « rattrapé par la politisation ».
Manuella Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats (ASM) y appelait les magistrats « à s’opposer sans peur, ni scrupule à toute tentative de maîtrise ou de reprise en main du judiciaire par la politique. Ainsi, doivent-ils revendiquer sans complexe, individuellement et collectivement, le respect de cette indépendance qui garantit au justiciable l’efficacité et l’éthique de leur mission ».
La Libre reprenait mon article assassin qui comparait le Conseil Supérieur de la Justice au Costa Concordia sombrant.
Depuis les premiers articles au sujet de l’illégalité d’au moins la composition francophone du CSJ et le diagnostic juridique du professeur Englebert dans la revue Avocats.be il n’y a pas l’ombre d’un doute que le Sénat a enfreint à la règle essentielle de l’art. 259bis-2,§2 Code Judiciaire qui prévoit que par collège linguistique, au moins 5 membres non-magistrats doivent être élus parmi les candidats présentés par les universités et le barreau. Et le document du Sénat 5/1649/1 du 19 avril 2012, comparé au résultat du vote du 28 juin 2012 (Document Sénat 5-69) prouve bien qu’il n’y en a que 3 dans le collège francophone. Il en manque donc 2. Le problème ne se réduit pas à un petit calcul : cette condition de la loi était selon les parlementaires de 1999 le ‘minimum minimorum’ pour éviter que la politique fasse un appel à des non-magistrats individuels pour représenter leur petite politique politicienne dans le fonctionnement du CSJ, surtout dans les nominations.
« On se calme… »
Dans une carte blanche publiée dans La Libre Belgique du 4 octobre, maître Didier Pire, membre du CSJ intime aux contestataires de « se calmer ».
Sous le titre hautain « Politisation du CSJ ? On se calme… » maître Pire y fait un procès d’intention inouï aux auteurs critiques. Ce défenseur de « l’incontestable légitimité constitutionnelle de l’intervention du Sénat » était en 2012 le vainqueur d’un lutte fratricide socialiste, tranchée par son président Thierry Giet (voir Le Soir du 28 juin 2012), lui-même nommé à la Cour Constitutionnelle depuis. Maitre Pire est déjà membre du CSJ depuis 2008, donc immédiatement après son passage au cabinet de la ministre de la Justice Laurette Onkelinx (PS) de 2004 à 2007. Pas un mot dans cette étrange contribution de la part de cet éminent membre de la commission de nomination et de désignation (de magistrats) du CSJ au sujet de l’inquiétante élection de la présidente du CSJ (pour 2014-15). Cette présidente, Michèle Loquifer, épouse de Philippe Busquin (ancien président du PS, ministre et commissaire européen) est maintenant suspendue du CSJ depuis son inculpation du chef de faux et usage de faux – des faits avant son élection au sein du CSJ, mais également bien connus avant cette même élection de 2012 (voir l’Opinion du #justicewatcher du 13 septembre 2012 dans LeVif/L’Express, repris dans De Juristenkrant le 26 septembre 2012).
Tout cela est grave, mais il y a pire.
Suite aux premières alertes dans L’Avenir, le Sénat écarta l’illégalité de son vote, invoquant dans un communiqué de presse début juin que la décision fut prise par les 2 tiers du Sénat, comme la loi le prévoit. Il ne manquait que ça. Des juristes – professeurs éminents de tous les partis, comme Pieters (NV-A) Torfs (CD&V), et Francis Delpérée (CDH) on voté pour – tout en oubliant cet article 259bis-2,§2 Code Judiciaire clé. Pourquoi ? Posez-leur la question. Ils ont pourtant voté le 28 juin 2012 également pour leur collègue, le professeur Van Orshoven qui vient de démissionner du CSJ (Opinion de #justitiewatcher dans Knack du 10 octobre 2013). Cet éminent juriste n’avait pas non plus, alors refusé de siéger dans un CSJ illégalement constitué. Même pas lorsque le CSJ dans son communiqué de presse du 2 juillet dernier, nia encore tout problème.
Mais maintenant, le pire, c’est que la présidente du Sénat, baronne de Béthune, élue de Courtrai, semble avoir trouvé la solution.
Saisie par un CSJ récemment très inquiet, elle proposera au Bureau du Sénat de jeudi prochain 10 octobre, de constater que la situation a été corrigée par un courrier du recteur de l’UCL du 4 juillet 2012 – ou 2013 ? Ce recteur bienveillant aurait confirmé que deux membres non présentés par les universités disposaient bien du soutien de son université. Quelle heureuse nouvelle.
Cette correction « rétroactive » des conditions légales pose de nouvelles questions. Elle ne semble pas tomber du ciel. Ce ‘fait nouveau’ ne semble nullement spontané et il faudra vérifier les délibérations hâtives de l’université en question et la demande qui en était à l’origine.
Entretemps, la bataille très défensive ne se concentre pas sur l’éthique politique, mais sur la légalité des nominations intervenues dans l’ordre judiciaire: à tel point que le CSJ qui compte dans ses rangs de fin juristes a fini par… consulter un cabinet d’avocats.
Mais ces nominations continuent même depuis que le CSJ a accepté enfin de s’interroger. C’est donc le désordre complet.
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