Congo: les impressions racistes du socialiste Emile Vandervelde
Emile Vandervelde, en contradiction avec son très anticolonialiste parti, était favorable à la reprise du Congo de Léopold II par la Belgique, pour y mettre en oeuvre une » politique indigène socialiste « . Ses récits de voyage sont empreints de paternalisme. Déboulonnage en vue ?
Il n’était pas encore tout à fait » le Patron « , à l’été 1908, alors que la Belgique allait recevoir de Léopold II le Congo en legs, imposé par une communauté internationale révoltée par l’exploitation mise en oeuvre dans l’Etat indépendant du Congo. Mais Emile Vandervelde était déjà la principale personnalité du jeune Parti ouvrier belge, même si avec les Edouard Anseele, les Jules Destrée, les Louis de Brouckère, rédacteur en chef du Peuple, il n’en était pas encore le chef incontesté. Comme eux, comme son parti, il était opposé à l’entreprise coloniale personnelle du roi Léopold II, discrètement d’abord, car » nous nous intéressions beaucoup plus, à dire le vrai, aux esclaves blancs dont parlait Le Catéchisme du peuple qu’aux esclaves noirs que, du reste, l’Etat indépendant prétendait défendre contre les traitants arabes « , écrira-t-il dans ses mémoires, passionnément ensuite, lorsque ses interventions à la Chambre dévoilèrent l’inhumanité d’un régime d’exploitation fondé sur les concessions à de grandes compagnies et sur le travail forcé.
Pour le bien de ses habitants
Mais contre eux, contre son parti, anticolonialistes par principe, il prônait la reprise par la Belgique du Congo belge, dont on allait parler durant toute la fin du règne de Léopold II. Pas pour la postérité de l’oeuvre royale, non, ni pour la gloire de la Belgique, et pas pour servir les intérêts des quelques sociétés à capitaux belges qui prospéraient du commerce du caoutchouc ou de l’ivoire et, déjà, lorgnaient les minerais du Katanga, non plus. Vandervelde ne voulut pas faire du Congo une colonie belge pour le prestige de sa métropole, mais pour ce qu’il estimait être le bien de ses habitants. » Pénétré, au contraire, de ce sentiment qu’il ne fallait pas attendre, au Congo, des réformes sérieuses aussi longtemps que durerait l’absolutisme de Léopold II, je me déclarai nettement pour la reprise ; non point parce que j’admettais le principe de la colonisation capitaliste, mais parce que, dans l’intérêt des indigènes, j’estimais que la seule issue, pour mettre radicalement fin à un système d’oppression indéfendable, c’était de « parlementariser » le Congo, de soumettre le gouvernement de la colonie au contrôle parlementaire « , dit-il dans ses Souvenirs d’un militant, parus début 1939, quelques jours à peine après sa mort.
L’échappatoire au vote
A cette époque, celle du vote plural, le Parti catholique disposait d’une confortable majorité absolue, et l’issue des débats parlementaires ne faisait aucun doute : la reprise serait votée en août 1908. Mais les socialistes étaient divisés sur le sujet, entre presque tous et Vandervelde, et ce dernier ne voulait ni rompre la discipline du parti, ni voter contre ses convictions. Au printemps 1908, il proposa même à l’instance suprême de sa formation, le Congrès, de démissionner de la Chambre des représentants. Le Congrès du parti refusa sa démission. Son futur » Patron » était coincé. Il trouva une échappatoire : alors que les discussions parlementaires touchaient à leur fin, il embarqua le 23 juillet à Anvers, en direction d’un pays en voie de disparition : l’Etat indépendant du Congo. Son voyage dura trois mois. Il lui évita de devoir voter contre son parti ou contre sa conscience, et lui donna du matériau pour deux ouvrages, l’un de doctrine, La Belgique et le Congo, édité en 1911, et l’un de reportage, paru dès 1909 et intitulé Les Derniers jours de l’Etat du Congo, mais qui avait d’abord été publié, presque en temps réel, par Le Peuple de Louis de Brouckère, adversaire de la reprise. On n’était pas sectaire, à l’époque, dans la presse socialiste.
Le lézard au soleil
La description de son voyage, qu’il fit dans les égards bourgeois auxquels lui donnait droit son statut de parlementaire, lui valut quelques ricanements de camarades, qui trouvèrent ses aventures peu aventureuses. Tout en dénonçant impitoyablement un système où travail forcé et impôts en nature sévissaient encore, Emile Vandervelde y décrit avec bienveillance le travail et les états d’âme du personnel colonial, et son regard sur les autochtones, dénué de mépris et de haine mais gonflé de paternalisme, montre à quel point même les démocrates les plus avancés n’étaient à l’époque pas immunisés contre les préjugés racistes.
Il visite la capitale d’alors, Boma, puis Léopoldville, prend le chemin de fer des Cataractes, remonte le fleuve jusqu’à Nouvelle-Anvers, et, en exploration dans l’intérieur des terres, accompagné tout de même d’une centaine de porteurs, il se réjouit de croiser d’autres damnés de la terre à la peau sombre. Mais c’est davantage une réjouissance d’esthète qu’un bonheur d’égal. » Après avoir vu les misérables du fleuve, abrutis et farouches, c’est une joie pour les yeux de regarder ces magnifiques sauvages, bien faits, élancés, solidement musclés, et dont les traits, encadrés souvent d’une barbe noire, n’ont rien du prognathisme bestial de la plupart des nègres « , raconte-t-il.
Ces considérations ne l’empêchent pas de souhaiter la mise en oeuvre d’une » politique indigène socialiste » qui » travaille à faire de l’indigène un homme libre. Elle fait, suivant la formule du congrès socialiste de Stuttgart, son « éducation pour l’indépendance ». Elle tend à substituer aux rapports de subordination entre colonisateurs et colonisés, de simples rapports d’échange entre peuples égaux en droit. Pareille oeuvre, nous l’avons montré, ne sera pas l’oeuvre d’un jour. Avant que les indigènes de l’Afrique centrale puissent être délivrés de la domination européenne, sans que cette délivrance soit un simple retour à l’état sauvage, il faudra de longs, de persévérants efforts. Mais, si l’idéal est lointain, chaque pas en avant nous en rapproche ; chaque progrès réalisé en appelle d’autres, et, malgré toutes les hontes, les misères, les crimes de la colonisation actuelle, nous avons l’indéfectible espoir qu’en Afrique, comme ailleurs, le dernier mot restera à l’humanité « , conclut-il dans La Belgique et le Congo.
L’actuel patron socialiste, Paul Magnette, est aussi bourgmestre de Charleroi, où il vient d’inaugurer une rue Lumumba, et où l’on remplace les trop nombreuses rue Vandervelde par souci d’éviter les doublons issus de la fusion des communes.
Les impressions racistes de son prédécesseur ne le feront pas débaptiser l’Institut Emile Vandervelde, le centre d’études de son parti. Si peu qu’au PS, on préfère répondre à côté de la question : » Emile Vandervelde a été un des chefs de file du mouvement antiléopoldiste et s’est toujours opposé à la colonisation. De nombreux écrits le prouvent et montrent que Vandervelde est un anticolonialiste convaincu qui a dénoncé les horreurs commises au Congo et combattait le capitalisme colonial « , se borne-t-on à nous répéter, boulevard de l’Empereur. Comme si c’était ça le problème.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici