Hervé Hasquin
Congo: le potentat Léopold II, ce n’est pas la Belgique (carte blanche)
En 1865, il succède à son père. Il a trente ans et rêve de grandeur. La recherche des sources du Nil est à la mode. Les expéditions se multiplient en Afrique centrale.
Terre de missions protestantes et catholiques. Le voyage du pasteur et médecin Livingstone a suscité curiosité et passion. On perd sa trace. Le New York Herald finance sa recherche. Miracle. Le 10 novembre 1871, le journaliste Henry Morton Stanley retrouve l’explorateur écossais. Le britannique a pris le goût à l’Afrique. De voyageur, il devient progressivement conquérant. Il établit des postes à partir de 1878. Un homme le finance. Léopold II. Le souverain crée le Comité d’Etudes du Haut-Congo. Il a déjà tâté de l’entreprise coloniale. Mais cette fois, il s’y donne à fond. Les milieux économiques belges n’y croient pas. La famille nourrit les pires appréhensions : le roi ne va-t-il pas précipiter la ruine financière et politique de la famille ? Les débuts de l’aventure congolaise ne détournent pas Léopold II de ses tentations asiatiques. Une info d’importance. Le roi agit à titre personnel. Il ne veut impliquer ni la Belgique ni son gouvernement. Convaincu que le pays, en tant qu’Etat, n’est pas à même de rivaliser avec les autres puissances.
En cinq ans, l’histoire s’accélère. Aimanté par la foi coloniale, Léopold II constitue l’Association internationale du Congo fin 1882. Il la fait reconnaître comme puissance souveraine au Congrès de Berlin en 1885. Il n’a aucun partenaire. Comme l’a écrit Jean Stengers, « L’A.I.C. est un être purement fictif : ce n’est qu’un nom, derrière lequel il n’y a que le seul Léopold II ». Comment expliquer ce coup de maître, abstraction faite de toute considération morale ? Sa personnalité. Sa qualité de souverain d’un petit pays, neutre, mais à la pointe de la Révolution industrielle. Il a quelques collaborateurs remarquables. Il ne manque pas d’entregent. Il a aussi l’habileté de se présenter en héraut de la lutte contre l’esclavage, mené par les Arabes.
Bref, l’Etat Indépendant du Congo est né officiellement le 29 mai 1885. Léopold II en est le « roi-souverain ». Il en est le seul propriétaire et maître. Il n’a aucun compte à rendre à la Belgique dont il est par ailleurs « Roi » constitutionnel. Qui sont ces hommes de main ? Pour l’essentiel des mercenaires. Une sorte de « légion étrangère », avec des aventuriers, des psychopathes, de vrais criminels parfois. Il recrute aussi des officiers et sous-officiers de l’armée belge et étrangers pour encadrer une Force publique composée essentiellement d’Africains venus d’Afrique de l’Est et d’Afrique de l’Ouest. Elle mate durement les rébellions. Violences d’Etat et de soudarts se mêlent étroitement. Exactions et crimes ! Une extraordinaire contradiction entre la propagande et les réalités sur le terrain. Un excellent catalogue des horreurs dans l’ouvrage majeur de Pierre-Luc Plasman (Léopold II, potentat congolais, 2017).
Des dénonciations émanent de missions protestantes. Léopold II essaye de s’en tirer en les présentant comme servantes d’un impérialisme anglais avide de s’emparer de territoires nouveaux. Leur richesse commence à impressionner. Le caoutchouc (1896) est la mine d’or. Un dixième de la production mondiale dès 1901 ! Sans oublier le trafic de l’ivoire. Entre 1884 et 1904, l’Etat indépendant vend sur le marché anversois 454 467 défenses, soit 3 660 tonnes ! Si Léopold II a laissé libre cours à l’entreprise privée, il s’est réservé l’exploitation totale de la majeure partie du territoire. En 1891, est instauré le régime domanial. Ce système lui confère un quasi monopole commercial.
Le « roi-souverain » administre son Etat depuis son palais de Bruxelles, aidé d’un secrétaire d’Etat et de trois secrétaires généraux. Il n’ira jamais au Congo. A l’exception d’un séjour en Egypte en 1865, il ne mettra plus jamais les pieds en Afrique ! Pressions internationales et intérieures, Léopold II doit s’y résoudre. Une « Commission d’enquête » est constituée en 1904. Certes, elle souligne les extraordinaires infrastructures indispensables à l’exploitation économique du pays. Mais les accusations sont nourries. Elles ne diffèrent guère des dénonciations protestantes et anglo-saxonnes … Que d’abus inqualifiables infligés aux populations indigènes ! La Belgique a provisoirement sauvé l’honneur.
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