Commission d’enquête sur les abus dans l’Eglise: véritable indignation ou récupération politique ?
Suite à la diffusion de Godvergeten, l’émission de la VRT qui donne la parole aux victimes d’abus sexuels au sein de l’Eglise, dix partis politiques s’expriment en faveur de l’ouverture d’une commission d’enquête. Tentative de récupération politique ou indignation réelle face à la souffrance des victimes?
L’émission Godvergeten suit une vingtaine de victimes d’abus sexuels dans leur quête de reconnaissance. Vooruit, Groen, l’Open VLD, le CD&V, la N-VA, le Vlaams Belang, le PS, Ecolo, les Engagés et DéFI, soit la quasi-totalité des partis belges, soutiennent l’initiative d’une commission. Le MR, lui, préconise de bien évaluer la meilleure manière de procéder. « Nous sommes pour la plus grande clarté dans ce dossier et la mise sur pied d’un instrument parlementaire pour aider les victimes. Nous verrons en commission quelle sera la meilleure manière d’y parvenir », a commenté le groupe libéral.
Caroline Sägesser, chercheuse au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), et spécialisée dans la question des cultes, n’est pas certaine qu’aujourd’hui une commission d’enquête soit la meilleure réponse à la souffrance des victimes de l’Eglise. « Nous assistons davantage à une prise de conscience du public qu’à la révélation de faits nouveaux, puisque la plupart d’entre eux sont déjà connus depuis 2010-2011 », souligne-t-elle.
Très peu de temps pour la commission d’enquête
En outre, la commission aurait très peu de temps pour faire toute la lumière dans ce dossier. En fin de législature, les commissions d’enquête sont dissoutes, rappelle la chercheuse. « Ce serait frustrant pour les victimes que cette commission n‘ait pas le temps d’aller au fond du problème. Aussi, il faudrait examiner ce qui n’a pas fonctionné lors de la commission spéciale mise sur pied en 2011 ». En revanche, il serait possible de voter une résolution appelant à la constitution de cette commission dès le lendemain des élections.
Groen et Ecolo souhaitent que la commission se focalise sur les victimes, mais aussi qu’elle revienne sur l’opération Calice et la manière dont la Justice s’est emparée de l’affaire. « Il ne serait pas très judicieux de refaire tout le travail que nous avons effectué en 2010-2011. Mais nous n’avons peut-être pas suffisamment placé les victimes au centre et nous ne les avons pas suffisamment écoutées« , admet Stefaan Van Hecke, député fédéral Groen et membre de la commission d’enquête de l’époque.
Une commission spéciale « relative au traitement d’abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Eglise » avait en effet vu le jour à la Chambre à l’époque. Elle avait procédé à de nombreuses auditions et approuvé une série de recommandations touchant des domaines divers comme l’allongement des délais de prescription, l’interdiction de résidence d’une personne condamnée dans une zone définie par un juge ou encore l’extension des possibilités de lever le secret professionnel. Un centre temporaire d’arbitrage en matière d’abus sexuels avait par ailleurs été créé à la suite d’un accord passé entre la commission parlementaire et l’Eglise. Il était chargé d’indemniser les victimes dont le dossier était prescrit.
En 2011, l’enquête judiciaire connue sous le nom d’Opération Calice avait été marquée par un revers retentissant lorsque la chambre des mises en accusation de Bruxelles avaient déclaré nulles les spectaculaires perquisitions menées en 2010 par le juge Wim De Troy au siège de l’archevêché de Malines, à la cathédrale Saint-Rombaut, au domicile privé du cardinal Danneels, aux Archives du Royaume et auprès de la commission Adriaenssens.
« L’opinion politique ignore pourquoi l’enquête s’est arrêtée, et pourquoi cette perquisition a été annulée. A l’époque, la longue audition du cardinal Danneels n’avait débouché sur rien ». Aussi Caroline Sägesser souligne-t-elle l’importance d’examiner pourquoi l’instruction de l’opération Calice n’a pas abouti. Pour ce motif-là, pour investiguer les errements de la Justice de l’époque, il serait intéressant que cette commission se tienne au fédéral, estime-t-elle. Il n’est pas encore clair si la commission agira au niveau du au niveau du Parlement flamand ou de la Chambre des représentants au niveau fédéral.
Stefaan Van Hecke estime quant à lui qu’il ne faut pas attendre élections du 9 juin 2024 pour faire la lumière sur ce dossier. Il propose de laisser la question du financement des cultes en dehors de la commission d’enquête. « Il y a moyen d’aborder cette question par d’autres moyens ». Pour plus d’efficacité, Groen plaide en faveur d’une commission composée de 13 membres, et non 17, ce qui permettra selon les écologistes, un travail plus efficace et plus rapide.
« Les règles en vigueur scrupuleusement respectées »
Dans un communiqué, le parquet regrette que la motivation donnée à certains évènements procéduraux ne corresponde pas à celle explicitée dans les différentes décisions judiciaires qui ont émaillé le dossier. « Ces décisions ont été confirmées par plusieurs instances, jusqu’aux plus hautes« , déclare-t-il.
« Plusieurs pièces initialement saisies en 2010 ont effectivement dû être rendues sur la base de procédures intentées par les différentes parties, qui ont, pour ce faire, scrupuleusement respecté les règles en vigueur », admet-il. Il s’agit par exemple de pièces couvertes par l’immunité diplomatique ou par le secret médical dont la saisie a été déclarée illégale.
Un financement des cultes qui remonte à Napoléon
Pour les socialistes flamands, la commission d’enquête devrait également se pencher sur les subsides que reçoit aujourd’hui l’Église. « Pourquoi des Belges devraient encore payer le salaire de clercs qui ont toléré des comportements criminels dans leur organisation et même couvert », s’interroge le président de Vooruit Conner Rousseau.
« A l’époque, le système avait été remis en cause de manière très timide. Il y a eu une commission fédérale de travail qui s’est réunie en 2009 et qui avait fait des propositions pour réformer le système – et notamment celui des paiements directs des ministres des cultes, comme s’ils étaient des fonctionnaires – car c’est un vestige de l’époque de Napoléon », explique Caroline Sägesser.
En avril dernier, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, rappelle la chercheuse du CRISP. La Cour a en effet jugé que notre système des cultes était discriminatoire.
Pour modifier le financement des cultes, il faudra ouvrir l’article 181 à la révision. Celui-ci stipule que les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l’État. Dans la perspective d’une septième réforme de l’état, la chercheuse n’exclut pas un transfert de ces responsabilités aux régions, sachant que dans d’autres états fédéraux come l’Allemagne ou la Suisse, ce sont effectivement les entités fédérées qui décident, précise-t-elle.
Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) se dit ouvert à une discussion sur le financement des cultes, un avis partagé par le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD): « Si vous êtes indemnisés, vous devez avoir un comportement impeccable. Les coupables doivent être rayés de la liste des salaires », déclare-t-il.
Une présence catholique beaucoup plus forte en Flandre
Même si quatre partis francophones soutiennent l’initiative, les abus commis dans l’Eglise touchent très majoritairement la Flandre: près de neuf plaintes sur dix viennent du nord du pays. « Pendant très longtemps et en tout cas pendant les périodes concernées, il y a une présence de l’Eglise catholique beaucoup plus forte en Flandre. Il y a avait beaucoup plus d’écoles et de couvents catholiques et donc l’Eglise était un acteur sociétal beaucoup plus important dans la société flamande », explique Caroline Sägesser.
Elle rappelle que la Flandre s’est sécularisée plus tard que la Wallonie. « Dans les années 1960, 1970, et 1980, il y a avait des zones largement sécularisées autour des villes industrielles de Liège, de Charleroi où les gens n’allaient plus à l’église, et aujourd’hui ces populations sont probablement moins choquées par ces révélations. Il n’en reste pas moins qu’il y a un mystère dans une disproportion aussi importante. Il serait intéressant de voir si une diffusion de l’émission Godvergeten sur la RTBF génèrerait des plaintes. Il y aurait encore des victimes qui pourraient se manifester ».
Une tentative de récupération politique ?
A moins d’un an du scrutin, comment distinguer ce qui est réponse légitime à une demande de l’opinion publique, et récupération à des fins électorales ? Pour la chercheuse du CRISP, l’un n’exclut pas l’autre: « On peut très bien être sincèrement choqué par les révélations et les témoignages et se dire que c’est peut-être l’occasion de rediscuter de ce système de financement des cultes, et c’est effectivement répondre à cette émotion en posant un acte fort ».
Comme la plupart des crimes évoqués dans l’émissions sont prescrits, et que beaucoup de suspects sont décédés, l’intérêt ce n’est d’engager des poursuites devant les responsables, mais de faire toute la lumière sur le déroulé des choses, et en particulier sur ce qui s’est passé il y a plus de 10 ans au moment de l’opération Calice, conclut Caroline Sägesser.
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