Comment placer durablement ? « Le plus important : choisir le bon gestionnaire de fonds »
Depuis bientôt trente ans, le Forum Ethibel s’attache à promouvoir les investissements socialement responsables, en aidant les acteurs financiers à établir des fonds de placement éthiques et durables. Pour son directeur général Kenny Frederickx, la Belgique vient de passer un cap.
Selon l’étude que vient de publier votre association, on assiste depuis deux ans à une véritable explosion des placements durables en Belgique. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?
Le Forum Ethibel mesure chaque année l’évolution des placements durables en Belgique depuis 1992. Notre dernière étude (novembre 2018) montre que, pour la première fois, le volume des placements socialement responsables a dépassé la barre des 12 % du total des placements. Deux facteurs convergents expliquent cette forte croissance. Le premier est lié aux règlementations de plus en plus nombreuses – européennes et belges – qui visent à améliorer la durabilité des produits financiers. Le cadre des objectifs de développement durable des Nations unies est également de plus en plus utilisé par le monde financier dans la conception des produits de placement. Le second est lié aux pressions de la base. D’abord, celles d’investisseurs institutionnels comme les universités et les communes, par exemple, soumis au questionnement des étudiants ou des citoyens sur leur politique d’investissements financiers. Ensuite, celles des épargnants et des investisseurs particuliers, de plus en plus sensibles aux questions environnementales, sociales et de bonne gouvernance (ESG).
Les banques se montrent donc offensives en la matière ?
Certaines banques vont même jusqu’à proposer d’abord des fonds de placement durables à leurs clients de préférence à un produit standard, une tendance qui va selon moi s’accentuer. Ce qui joue également en Belgique, c’est la volonté affichée par Febelfin, la Fédération belge des banques, d’élaborer un standard pour les fonds durables, qui devrait voir le jour cette année. Tous les produits qui répondent à une série de critères ESG recevront un label, les autres pas. C’est un incitant supplémentaire. Encore faut-il accorder tous les acteurs sur l’ambition de ce standard.
En l’absence de labels clairs et reconnus par tout le monde pour les placements durables, comment le consommateur peut-il s’y retrouver actuellement ?
Il y a des points communs à la plupart de ces produits. D’abord, les exclusions, c’est-à-dire les entreprises ou les secteurs dans lesquels les banques ne veulent plus investir, comme c’est souvent le cas avec l’armement, le tabac, les jeux de hasard, etc. Quasi tous les fonds de placement excluent certains actifs, mais ce ne sont pas forcément les mêmes d’une institution à l’autre. Il y en a qui vont plus loin en éliminant, par exemple, les producteurs de produits chimiques dangereux ou des entreprises coupables de maltraitance animale. D’autres se limitent au strict minimum. Ensuite, beaucoup utilisent l’approche dite best in class en ne sélectionnant que les meilleures entreprises dans chaque secteur quant au respect des critères ESG, mais tous ne placent pas le curseur au même niveau. D’autres, enfin, vont faire preuve d’un engagement à l’égard des entreprises où elles investissent pour les motiver, par le dialogue et leurs droits de vote aux assemblées, à changer leur mode de fonctionnement en faveur de l’environnement, du respect des droits de l’homme et des travailleurs, d’une meilleure gouvernance, etc. Bref, chaque produit se base sur une approche spécifique et il est vrai qu’il n’est pas simple pour l’investisseur de s’y retrouver.
Comment être sûr de ne pas acheter un chat dans un sac ?
Grâce aux standards qui se mettent progressivement en place. Mais même ainsi, cela reste difficile de comparer les produits car, parmi tous ceux qui ont obtenu un label, certains sont beaucoup plus durables que d’autres. Aussi rigoureux soit-il, un label reste une sorte de minimum garanti. L’autre question est de savoir si le consommateur veut seulement investir dans un produit durable ou s’il souhaite aussi que la banque ait un comportement socialement responsable dans l’ensemble de ses activités. Chez des acteurs de niche comme Triodos par exemple, la durabilité fait partie de l’ADN. C’est quelque chose qu’un label n’indique pas.
N’est-il pas plus facile d’être totalement durable pour de petites banques que pour les géants du secteur ?
Le Forum Ethibel évite de juger les banques. Nous préférons collaborer avec tous les partenaires qui veulent avancer dans le domaine de la durabilité. On a besoin de petits acteurs de niche pour stimuler le marché, mais aussi de grands joueurs car si on parvient à les pousser plus loin, l’effet peut être énorme, quant au nombre de produits et de volumes financiers.
Quels sont les critères pour obtenir le label Ethibel ?
Il faut faire une distinction entre le label et la certification Ethibel. Le label s’appuie sur un univers que nous composons nous-mêmes en regroupant plus de 300 entreprises et pays que nous jugeons durables selon nos critères d’exclusion (il y en a 11), best in class et d’investissement thématique (en faveur de certains secteurs). Les fonds composés de titres qui font partie de cet univers peuvent recevoir notre label car ils correspondent à 100 % à notre vision. La certification, c’est une autre approche qui consiste à faire un screening à la demande d’un gestionnaire de fonds ou d’une banque pour vérifier si tel produit correspond bien à ses propres critères de durabilité.
Tous ces critères de durabilité pèsent-ils sur la rentabilité des fonds ?
La plupart des études – dont une vaste étude Meta de l’université d’Oxford, basée sur 200 autres recherches – montrent qu’il n’y a aucune différence en termes de rendement entre les placements classiques et durables. Dans certains cas, les seconds affichent même de meilleures performances, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’une entreprise qui tient compte de la société dans laquelle elle évolue et des éléments ESG affiche de meilleurs résultats à long terme. En tout cas, le rendement n’est pas moindre. Il est soit équivalent, soit meilleur. Le plus important est de choisir le bon gestionnaire de fonds.
12 % de placements durables, c’est bien, mais cela ne représente qu’un dixième du marché. Peut mieux faire ?
Je ne peux qu’espérer que cela continue et que d’ici à quelques années, la majeure partie du marché soit devenue durable. Cela dit, à travers les questions qu’on nous pose, les avis qu’on reçoit des investisseurs institutionnels et les formations qu’on nous demande de donner, je sens quand même qu’on a atteint une sorte de momentum.
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