© CHARLES MONNIER

Comment les nouvelles technologies trouvent leur place à l’école

Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Même si le matériel et la formation font toujours défaut, les nouvelles technologies se font enfin une (petite) place dans le quotidien des enseignants et des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles. Même le smartphone revient en odeur de sainteté, avec des applis aussi utiles aux profs qu’aux élèves.

 » Impossible de revenir en arrière « , lance Catherine Vieuxtemps, professeure d’histoire à l’institut Sainte-Marie de Châtelet. Elle a terminé en juin dernier un projet de tutoriels avec ses rhétoriciens et ne se voit pas reprendre son cours de façon classique à la rentrée. Intitulé  » Methodo, le bon plan 2.0 « , il est axé sur la réalisation de capsules autour du fédéralisme belge par des élèves pour d’autres élèves, en mêlant l’usage des tablettes et du matériel vidéo. Pour l’enseignante, la fabrication de ces tutos a favorisé une nouvelle dynamique d’apprentissage.  » On peut utiliser les appareils portables pour accéder aux ressources éducatives, se connecter avec les autres et créer du contenu, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle de classe. Dans les résultats, il y a une réelle amélioration…  » Le projet est l’un des 800 lauréats de l’initiative Ecole numérique, lancée en 2011 en Wallonie, qui développe les usages des nouvelles technologies du maternel au supérieur, et qui a surtout favorisé l’implémentation du numérique au sein de l’établissement de Catherine Vieuxtemps.  » Il y a un effet tache d’huile, tant au niveau de l’école, de plus en plus équipée et connectée, que des profs qui dynamisent leur cours en utilisant ces outils numériques.  »

Rien de tout cela ne sera possible sans revoir la formation des enseignants en matière de numérique

Pour Brigitte Denis, directrice du Centre de recherche sur l’instrumentation, la formation et l’apprentissage (Crifa) de l’ULiège, Ecole numérique a facilité les usages pédagogiques de ces nouvelles technologies, en intégrant dans toutes les disciplines des outils divers comme les tablettes, les ordinateurs portables ou les tableaux blancs interactifs.  » Elles pénètrent de plus en plus dans les écoles, tandis que le matériel est beaucoup plus utilisé qu’auparavant. Les élèves deviennent davantage producteurs de savoirs que consommateurs. Car plus que le support, c’est l’usage éducatif de ces technologies par les enseignants qui prime, les élèves ayant désormais la possibilité de s’exercer à leur rythme et d’obtenir des feedbacks personnalisés, d’expérimenter dans des environnements virtuels, de partager en ligne des contenus qu’ils mettent au point, d’éditer à plusieurs mains un texte en même temps. Ou encore de communiquer à distance avec d’autres classes ou leur enseignant…  »

De la recherche en ligne au codage informatique

Fanny Meunier, formatrice des enseignants en langues modernes à l'UCL.
Fanny Meunier, formatrice des enseignants en langues modernes à l’UCL.© RALITZA SOULTANOVA

Selon le rapport 2018 de Digital Wallonia, 35 % à 40 % des enseignants revendiquent des usages numériques en classe au profit des apprentissages des élèves. Ces usages concernent principalement l’exploitation de ressources en ligne, issues par exemple de YouTube ou Wikipédia, et de logiciels de présentation et de traitement de textes. Mais ils restent encore trop occasionnels. En effet, si quatre enseignants sur cinq utilisent chaque semaine Internet pour la préparation des leçons, les usages en classe, en revanche, montrent peu d’évolutions significatives, hormis l’exploitation des ressources en ligne qui passe de 13 % à 18 % entre 2013 et 2018.

Le Pacte pour un enseignement d’excellence devrait accélérer l’usage pédagogique des nouvelles technologies avec la définition de compétences numériques pour chaque discipline allant de la recherche d’information pertinente sur le Web au pur codage.  » Tant que ce n’est pas écrit, cela restera quelque chose de très externe, par rapport à quoi on ne se positionne pas « , commente Bruno De Lièvre, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Mons et président du groupe de travail Réussir la transition numérique du Pacte.

Certains référentiels sont actuellement en réécriture pour intégrer ces compétences.  » Une fameuse avancée « , se réjouit-il. A l’avenir, des réseaux d’enseignants seront créés pour partager les ressources numériques et les usages faits en classe.  » Les enseignants font ce qu’ils peuvent et chacun fonctionne dans son coin « , relève Bruno De Lièvre.  » Un des atouts du numérique est de permettre qu’une bonne idée puisse être utilisée par d’autres plutôt que de rester dans un contexte fermé. De manière à donner envie, surtout à ceux qui sont moins intéressés.  »

Jeu de piste sur tablette

Bruno De Lièvre, professeur de sciences de l'éducation à l'UMons.
Bruno De Lièvre, professeur de sciences de l’éducation à l’UMons.© DR

En attendant, sur le terrain, divers consortiums mettent en lien écoles et pédagogues pour soutenir ces tâches nouvelles. Fanny Meunier s’occupe de la formation des enseignants en langues modernes à l’UCL, et depuis deux ans, participe à l’un de ces consortiums. Avec son équipe, un outil numérique a été testé auprès d’élèves de 5e primaire dans le cadre du cours de néerlandais. Il s’agit d’Actionbound, une application qui permet de faire des jeux de piste sur tablette et qui pourrait être facilement exploitée lors de voyages scolaires, par exemple.  » Elle rend l’apprentissage mobile non seulement sur l’appareil connecté, mais aussi en l’utilisant en dehors de la classe. Dans le cadre de notre recherche, les élèves se déplaçaient dans le musée Hergé pour retrouver des informations en néerlandais et résoudre différentes missions à travers le jeu. Outre la réponse aux questions, cette application leur permet d’enregistrer leur voix ou de filmer un autre élève parlant en néerlandais « , explique Fanny Meunier.

Mais rien de tout cela ne sera possible sans revoir la formation des enseignants en matière de numérique. De nombreuses recherches ont montré que celle-ci était essentielle pour l’intégration des technologies à l’école. Dans le rapport Digital Wallonia, très loin devant les autres difficultés, le manque de formation est fortement souligné par plus de quatre écoles sur cinq. Globalement, 23 % des professeurs déclarent n’avoir jamais suivi aucune formation au numérique.  » L’action la plus pertinente serait d’accompagner les enseignants dans leur classe. Un enseignant voudrait apprendre à utiliser un tableau blanc interactif ? Permettons-lui de le faire avec un contenu qui est le sien dans un contexte qui est le sien, pour qu’il puisse directement rendre praticable ce qu’il a appris « , renchérit Bruno De Lièvre.

De l’avis de tous, si les nouvelles technologies doivent s’intégrer à l’enseignement, il ne faut pas considérer le numérique comme la solution à tous les problèmes de l’école.  » Ce qui compte, c’est de choisir le bon outil pour l’objectif visé « , affirme Fanny Meunier.  » Je prends souvent l’exemple de la vis et du marteau. Si votre but est de fixer une vis dans un mur, un marteau – aussi professionnel soit-il – vous sera de peu d’utilité et le résultat risque fort de ne pas être à la hauteur de vos attentes… Il en est de même avec le numérique en classe.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire