Comment les Lutgen sont devenus frères ennemis
Très populaire en Région wallonne, la famille Lutgen y occupe le devant de la scène politique et économique depuis près de quarante ans. Mais entre les deux frères, Jean-Pierre et Benoît, les fêlures ont grandi. Jusqu’à prendre des allures de guerre.
Depuis quarante ans, le clan Lutgen occupe l’espace public wallon, hormis Françoise, la soeur aînée, active dans le secteur du tourisme luxembourgeois. Après Guy, le patriarche, ancien ministre wallon, ses fils Jean-Pierre et Benoît sont entrés dans la lumière, le premier à la tête de l’entreprise de montres Ice-Watch, le second, comme président du CDH. Mais les deux frères sont en guerre.
A un jet de pierre de Bastogne, à Noville, huit hommes ont été fusillés par les Allemands le 21 décembre 1944. Parmi eux, Auguste Lutgen, le père de Guy, 8 ans alors, et François et Félix Deprez, le père et l’oncle de Gérard Deprez, ancien président du PSC. Auguste laisse une veuve et cinq enfants. Au sortir de la guerre, Guy vit dans des « tunnels », des logements en tôle ondulée. De rudes conditions de vie qui expliquent en partie la fibre sociale très forte qu’il affichera plus tard. Mais aussi sa détermination. La même que celle dont font preuve Jean-Pierre et Benoît dans leurs parcours respectifs. Jean-Pierre passe pour plus radical et plus arrogant, dans sa jeunesse en tout cas ; son cadet est perçu comme plus sociable, plus rond. Mais tous deux sont des meneurs, des guerriers sûrement, des coqs sans doute. On ne naît pas pour rien fils de celui que l’on appelait le Kennedy bastognard.
En 1976, Guy remporte le maïorat de Bastogne. Tandis que son ascension politique se confirme, la maison se peuple. Après Françoise et Jean-Pierre viennent Christine et Benoît. Derrière la porte, la politique est de toutes les discussions. Mais le ministre wallon de l’Agriculture et de l’Environnement, nommé dès 1988, est peu présent pour voir grandir ses enfants. Les deux premiers passent pour sages. Jean-Pierre, très proche de sa maman, est bon élève, plutôt taiseux. La concurrence avec Benoît le pousse, toujours, à faire plus et mieux. Les deux plus jeunes sont plus turbulents. « Ils ont fait les 400 coups, raconte un ami de l’époque. Leur mère le vivait beaucoup plus difficilement que leur père. »
A partir de 7 ou 8 ans, Benoît vit d’ailleurs une grande partie du temps, à sa demande, chez ses grands-parents maternels, qui habitent à deux pas. Son grand-père, drôle, amateur de livres et d’un caractère bien trempé, est pour lui une référence. Son décès marque une fracture dans la vie de Benoît, 14 ans à l’époque : lui qui avait toujours été brillant à l’école, part en vrille : il visite l’un après l’autre les établissements de la région sans guère y trouver de motif d’y réussir. Il s’investit avec plus de succès dans les mouvements de jeunesse et les projets culturels. Ce n’est guère du goût de ses parents.
Pendant ce temps, Jean-Pierre décroche son diplôme de sciences politiques. « Guy Lutgen n’a jamais évoqué de filiation politique pour l’un de ses enfants, assure un proche de la famille. Il n’y avait ni préférence, ni stratégie, de ce point de vue. Mais vu le parcours du cadet, la façon dont il était considéré par les siens et les études de Jean-Pierre, beaucoup estimaient évident que ce soit l’aîné qui suive la trace de son père. » La réussite politique de Benoît, totalement inattendue dans le cercle familial, voire même non désirée, explique-t-elle la fracture qui s’y est produite plus tard ? A Bastogne, beaucoup le pensent.
Le récit intégral dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec : – la fin douloureuse du parcours politique de Guy – l’éclosion politique de Benoît – le sentiment de rejet nourri par Jean-Pierre – l’intensification de la rivalité entre les deux frères – l’impossible réconciliation
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