Comment le décès de Paul Furlan rebat les cartes socialistes dans le Hainaut et isole Paul Magnette
Le décès, à 60 ans, de Paul Furlan, rebat les cartes socialistes dans la région de Charleroi. Où, à l’ombre de Paul Magnette, peu de jeunes pousses émergent vraiment.
L’écosocialisme n’est pas toujours une agriculture raisonnée. Parfois, il assèche les sols par la terre brûlée, et sa science du rendement peut même n’autoriser que la monoculture.
Depuis qu’en juin 2007 Elio Di Rupo a planté la graine de Paul Magnette, l’arbre carolo a beaucoup crû, mais il s’est peu multiplié.
Le décès de Paul Furlan marque la disparition du dernier des premiers soutiens de Paul Magnette: il ne reste plus aucun des mandataires d’envergure, à Charleroi et dans sa périphérie, qui accompagnèrent ses années de jeune pousse.
Paul Magnette est presque un empereur sans vice-roi. Paul Ficheroulle (en 2012) et Anthony Dufrane (en 2018) ont pris leur retraite politique, et Eric Massin s’est mis en retrait, à la Province de Hainaut.
Il y avait encore Paul Furlan, député wallon, ancien ministre wallon, entre 2009 et 2017, bourgmestre de Thuin pendant vingt ans, et président de la conférence des bourgmestres de Charleroi Métropole. Une tumeur l’a emporté à 60 ans. Emu aux larmes, le 17 avril, dans la salle de la Carrosserie de l’Abbaye d’Aulne, le président du Parti socialiste a rappelé, dans un bel éloge funèbre, combien ils avaient été proches.
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«Les deux Paul y sont»
«A te regarder vivre, on avait envie d’être ton ami», a dit Paul Magnette, rendant hommage au «socialisme charnel» (et à la beauté «d’athlète antique») du Thudinien. Ils furent proches au point d’organiser dans les cafés de la région, un vendredi par mois et durant quelques années, des «Paul de décompression», «on n’a jamais compris ce que ça voulait dire mais il tenait tellement à ce nom. Et puis, il voulait qu’on dise que les deux Paul y sont...» Paul Furlan fut en réalité si proche de Paul Magnette qu’il fut presque Paul Magnette à la place de Paul Magnette. A l’époque des «affaires» en effet, alors que s’éteignait la génération socialiste des Jean-Claude Van Cauwenberghe et Jacques Van Gompel, et qu’Elio Di Rupo n’avait pas encore recruté le politologue de l’ULB, quelques esprits forts avaient suggéré à Paul Furlan de quitter Thuin pour Charleroi.
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Mais le Thudinien n’avait pas déménagé à Charleroi, et un Carolorégien avait donc débarqué en politique. En amont sur la Sambre, Thuin irrigue Charleroi comme Charleroi trempe souvent ses pieds à Thuin. La proximité entre les deux Paul qui y étaient en témoigne, les confluences sont multiples entre les deux chefs-lieux d’arrondissement, distants de quelques kilomètres et situés, depuis 2019, dans la même circonscription pour le scrutin wallon. Denis Ducarme, thudinien désormais carolo, en est un autre illustre exemple. Tout comme l’actuelle bourgmestre de Thuin, Marie-Eve Van Laethem, qui a succédé à Paul Furlan en décembre 2020 après avoir été durant vingt ans son échevine, et qui exerce au civil l’auguste fonction d’inspectrice générale à la commune de Charleroi.
Le départ de Paul Furlan crée donc un vide dans un paysage socialiste régional en recomposition, ou plutôt dans une forêt qui se dépeuple de ses autres arbres, tandis qu’un seul grandit, protégeant à peine quelques arbustes de ses frondaisons en expansion.
Et laissant les autres se faire frapper par la foudre.
Le départ de Paul Furlan crée un vide dans un paysage socialiste régional en recomposition.
A Charleroi Métropole, une institution qui rassemble trente communes de la région de Charleroi, Paul Furlan était le vice-roi idéal. Il mettait en œuvre une supracommunalité pour laquelle il avait beaucoup travaillé comme ministre wallon des Pouvoirs locaux.
Voulue par Paul Magnette pour associer les communes des environs à des initiatives carolorégiennes d’ampleur régionale sur la mobilité, l’alimentation ou le tourisme, Charleroi Métropole est appelée à évoluer.
Elle devrait être encore davantage intégrée au Comité de développement stratégique, qui regroupe les «forces vives» de la zone, et dont la direction alterne semestriellement.
Elle prendra en 2024 un nouveau nom et, idéalement, devrait se voir dirigée par un bourgmestre de poids. Mais idéalement pas par le bourgmestre de Charleroi, qui, ce faisant, attiserait la méfiance de ses voisines plus petites. Paul Magnette voudra se trouver un vice-roi dans la périphérie, où le député-bourgmestre socialiste de Farciennes, Hugues Bayet, est le seul à disposer, actuellement, du capital (et de la carte de parti) politique pour pouvoir aspirer à cette position. Aucun autre socialiste de la périphérie ne peut prétendre à son statut, bien assis sur sa commune et parlementaire depuis bientôt quinze ans. Mais sa relation avec Paul Magnette est proverbialement ambiguë. C’est, notamment, au mépris de statuts fédéraux modifiés brutalement par Paul Magnette en 2017 qu’Hugues Bayet, qu’aucun conseiller communal socialiste farciennois n’a voulu remplacer à l’Hôtel de Ville, continue de cumuler la députation fédérale et son maïorat.
Equilibres sous-sous-régionaux
A la région, Paul Furlan avait tiré la liste PS régionale carolo-thudinienne en mai 2019 en vice-roi, Paul Magnette ayant, lui, mené la liste européenne. C’est Thomas Dermine, 37 ans, secrétaire d’Etat depuis octobre 2020 et président de la fédération socialiste de l’arrondissement depuis l’an dernier, qui devrait succéder à cette place à Paul Furlan. Le jeune Carolorégien est, avec l’échevine Julie Patte, une des rares figures à avoir pu s’épanouir dans l’ombre de Paul Magnette depuis son arrivée en politique. Julie Patte (47 ans) pourra, espère le jardinier de l’écosocialisme, faire une bourgmestre consensuelle si, d’aventure, Paul Magnette devait céder son écharpe de bourgmestre.
Et Thomas Dermine, lui, est donc appelé à embrasser un destin régional, s’il réussit, bien sûr, le premier test électoral de sa fraîche carrière de socialiste.
Il avait tiré la liste PS régionale carolo-thudinienne en mai 2019 en vice-roi, Paul Magnette ayant, lui, mené la liste européenne.
Ces deux exceptions ont pu émerger d’une règle impitoyable qui, depuis 2007, a vu aller et venir de nombreux jeunes socialistes carolorégiens dans l’entourage de Paul Magnette.
Aller et venir, et même monter et déchoir, entre le parlement de Wallonie, où certains ont pu siéger grâce à une cinquième suppléance, et le collège communal, où l’on offrit des postes d’échevin selon des critères dont la seule constance fut de n’en avoir aucune. Peu, depuis cette quinzaine d’années de va-et-vient, ont pu se constituer un patrimoine politique suffisant, si bien que la distance entre leur président-bourgmestre-tête de liste battant tous les records en voix de préférence et les autres candidats va toujours croissant: en 2018, aux communales, à part Paul Magnette, aucun candidat socialiste carolorégien ne rassemblait plus de 3 800 voix de préférence, tandis qu’il y en avait trois à plus de 5 000 en 2006, élection de crise historique.
Pour les autres scrutins, la forte rotation des candidats élus puis déchus, ou simplement présents en soutien sur la liste, leur a tous empêché de cultiver leur popularité.
La très prochaine suppléance de Paul Furlan, doublée d’un nouveau probable remaniement du collège communal carolorégien, pose à cet égard plusieurs questions.
Le PS avait, dans la circonscription de Charleroi-Thuin, envoyé quatre députés au parlement de Wallonie en mai 2019.
Parmi ceux-ci, deux, Philippe Blanchart et Paul Furlan, étaient thudiniens, Mourad Sahli, de Chapelle-lez-Herlaimont, représentait la périphérie de l’arrondissement carolorégien, et Latifa Gahouchi, la commune de Charleroi. Philippe Blanchart est décédé fin 2019, et a été remplacé par le conseiller communal carolorégien Maxime Hardy, premier suppléant. Mais Maxime Hardy pourrait déjà quitter le parlement de Wallonie dès lors qu’une place se libère au collège communal carolorégien, et qu’il est un des deux ou trois conseillers socialistes susceptibles de l’occuper.
L’échevin Thomas Parmentier, pas spécialement le favori de Paul Magnette, et à ce titre sans trop de belles perspectives pour l’après 2024, souhaite devenir secrétaire de la fédération de Charleroi du PS – une fonction discrète, mais importante, et sous CDI.
Sophie Mengoni, échevine à Fontaine-l’Evêque, deuxième suppléante à la Région, alors, se verrait proposer de siéger deux fois: en remplacement de Paul Furlan, ça, c’est sûr, et, éventuellement, de Maxime Hardy. Elle a choisi de quitter son mayorat pour s’installer au Parlement wallon.
Mais, entre les nouveaux venus comme Thomas Dermine, les sortants (et la présidente de la fédération de Thuin, Virginie Gonzalez, qui sera deuxième), et les équilibres sous-sous-régionaux (Fontaine-l’Evêque étant dans le même canton que Chapelle-lez-Herlaimont), il lui reste peu de chances d’occuper une place régionale éligible au printemps 2024. Derrière elle, Alpaslan Beklevic, premier échevin à Châtelet, aspirerait, dit-on, à devenir bourgmestre en octobre 2024. Mais il y a des concurrents. Et Châtelet, deuxième plus grosse commune de l’arrondissement, étant dépourvue de parlementaire depuis des années, et sise dans un canton dépourvu de député wallon, une potentielle carrière parlementaire s’ouvrira donc à lui si Maxime Hardy est choisi pour succéder à Thomas Parmentier, et si Thomas Parmentier est choisi pour devenir secrétaire fédéral.
Les uns et les autres n’auront, quoi qu’il en soit, comme tant de socialistes de la région depuis quinze ans, que peu l’occasion de prendre racine dans le grand champ écosocialiste où règne un grand arbre un peu seul.
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