Comment la Flandre se prépare à la prochaine réforme de l’Etat
Le parlement flamand entame une nouvelle autopsie de l’Etat belge. Sans grand espoir de renouveler le retentissant dépeçage qu’il avait revendiqué en 1999.
Faussement assoupi, le lion garde un oeil sur sa proie. Attend son heure, 2024 et la perspective d’un nouveau dépeçage à coups de réforme de l’Etat qui ne serait jamais que la septième du genre. D’ici là, impossible pour le grand fauve de ne pas marquer son territoire. Il faut bien exaucer le souhait glissé dans l’accord de gouvernement qui a forgé la coalition N-VA – CD&V – Open VLD en 2019: que le parlement flamand engage « une réflexion approfondie sur un modèle étatique souhaité ». L’ouvrage institutionnel sera donc remis sur le métier en Flandre. La parole à un groupe de travail parlementaire qui se donne un an pour passer au crible tout ce qui (dys)fonctionne dans cet Etat encore nommé Belgique. Avec l’intention d’en dégager un cahier de doléances porté par le spectre politique le plus large possible.
Un groupe de travail où le bloc nationaliste N-VA – Vlaams Belang n’est pas majoritaire.
L’ entrée en matière s’est faite en toute discrétion. Sans effets de manche ni roulement de mécaniques, sans vouloir donner l’impression de repartir sur le sentier de la guerre communautaire. L’ambiance de travail s’annonce avant tout studieuse, au fil d’auditions de nombreux experts et de la récolte d’expériences du terrain. Honneur aux acteurs de la santé, les premiers à passer au scanner des parlementaires depuis le 22 février dernier. Rien de tel pour « paraître dans le coup » que de prendre d’emblée à bras-le-corps la gestion de la crise sanitaire et le regard critique jeté sur la complexité institutionnelle qu’elle révèle. « La Flandre n’est pas compétente pour commander des vaccins mais bien pour les injecter, c’est très bizarre », commentait en préambule Liesbeth Homans (N-VA), la présidente du parlement affectée au pilotage des travaux. Voilà le décor planté: tout faire pour sortir d’un statu quo qui, assure-t-elle sans craindre de se tromper, ne satisfait plus personne. Compétences homogènes, autonomie financière et fiscale, nouveau modèle étatique: les chantiers sont avancés.
Haut les coeurs! Liesbeth Homans s’emploie à raviver la flamme. Qu’on se le dise, le parlement flamand a de la suite dans les idées, le nouveau groupe de travail ne part pas d’une feuille blanche mais entend poursuivre l’oeuvre grandiose couronnée, le 3 mars de l’an de grâce 1999, par l’adoption, par ce même parlement, à une quasi-unanimité, de cinq fameuses résolutions. Une référence qui fait date à jamais et fait encore palpiter le coeur de tout Flamand assoiffé d’autonomie. Car ce jour-là, la Flandre se dotait d’un programme institutionnel décoiffant pour l’époque, qui appelait à faire advenir une Belgique confédérale. Le pas alors franchi connaît « un retentissement considérable en Flandre », en revanche, « il n’est pas certain que les francophones en aient perçu la portée réelle » (1). Ils n’ont pas pris la peine d’apprécier à sa juste valeur la force du volcan qui s’est mis à gronder au nord du pays. Grossière erreur d’appréciation car la Flandre tient désormais sa feuille de route, elle ne cessera plus de s’y accrocher dans sa longue marche vers davantage d’autonomie.
Quasi un quart de siècle plus tard, une mise à jour s’impose. « Ces résolutions ont fourni une importante contribution aux réformes communautaires ultérieures. Une partie d’entre elles sont réalisées, d’autres dépassées », confesse Liesbeth Homans. La bible institutionnelle a vieilli, vingt-trois ans après l’ancien testament, il serait temps d’en rédiger un nouveau.
En route pour un big bang bis? Problème: les astres ne semblent plus alignés. « La Flandre a perdu l’élan communautaire des années 1990 qui avait su donner à ces résolutions une force de conviction », observe Hendrik Vuye, professeur de droit public (UNamur) et ex-député N-VA. Le parlement flamand de 2021 n’aurait donc plus vraiment les moyens de récidiver et de se glisser dans les pas de son glorieux prédécesseur. « Le consensus en faveur d’une plus grande autonomie flamande n’existe plus », abonde le politologue flamingant Bart Maddens (KULeuven), la cause commune est déforcée par « une polarisation entre partis plus grande qu’en 1999. Je vois mal le CD&V donner du gaz sur le plan communautaire au parlement flamand » tandis que l’Open VLD a viré sa cuti flamingante. Entre partis enclins à une refédéralisation de compétences et formations nettement plus radicales sur le plan communautaire (N-VA et Vlaams Belang), le terrain d’entente risque d’être fort difficile à trouver.
Vlaams Belang neutralisé
Mieux vaut dans ces circonstances limiter la prise de risque d’un naufrage. « Le gouvernement flamand s’est borné à renvoyer la balle au parlement, il s’est ainsi mis hors-jeu et n’est plus la force porteuse du processus », prolonge Bart Maddens. La parade sur le plan parlementaire était toute trouvée: éviter d’avoir à refléter le poids réel des forces politiques représentées dans l’assemblée. Donc, pas de commission parlementaire classique où le bloc nationaliste N-VA – Vlaams Belang aurait été majoritaire (8 députés sur 15) mais plutôt un groupe de travail plus inoffensif de sept élus où chaque parti dépêche un représentant (1 CD&V, 1 Open VLD, 1 Vlaams Belang, 1 SP.A, 1 Groen mais pas de PVDA), la N-VA exceptée (2 sièges) parce qu’elle décroche en prime la présidence.
Ainsi neutralisée, l’extrême droite indépendantiste se console facilement en ciblant sa meilleure ennemie: « Soit la N-VA devait mettre en oeuvre avec nous son programme flamingant et embarrasser ses partenaires de coalition, soit elle devait les suivre et plonger dans l’embarras son propre programme et ses ambitions verbales proflamandes. » Le dilemme a été tranché, va pour une pâle resucée du coup d’éclat provoqué vingt-deux ans plus tôt. Bart Maddens n’en attend guère plus qu’ « un rapport technique dépourvu de la charge politique que contenaient les cinq résolutions adoptées en 1999 ». D’ici là, le groupe de travail cherchera aussi à exister à côté de la consultation citoyenne médiatisée sur le futur institutionnel du pays que se prépare à orchestrer le niveau fédéral où gouvernent, côté flamand, l’Open VLD, le CD&V, le SP.A et Groen. Face à la caméra de la chaîne télé du parlement flamand, Liesbeth Homans a fait la moue: « Une plateforme de dialogue, c’est chouette mais personnellement je n’y crois pas. » Rien ne vaudrait l’efficacité d’un travail parlementaire de fond.
A ce stade, les francophones peuvent respirer, le lion sort gentiment les griffes. Attention tout de même à ne pas effaroucher la bête par quelque bravade. Le fauve peut avoir de ces réactions imprévisibles.
(1) Les Résolutions du parlement flamand pour une réforme de l’Etat, par Giuseppe Pagano, CH du Crisp 1670-1671, 2000.
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