Comment faciliter la transmission d’une entreprise ?
Différentes techniques permettent au propriétaire d’une entreprise d’envisager sereinement sa succession… à condition de s’y prendre à temps. Encore doit-il savoir jusqu’où il est prêt à renoncer aux revenus qu’elle lui procure et à son pouvoir de dirigeant. Pas toujours simple.
» La transmission d’une entreprise familiale ne s’improvise pas. C’est un processus de longue haleine qui doit être entamé le plus tôt possible pour maximiser ses chances de succès « , prévient Pierre-Alexis Léonard, associé chez Deminor, spécialiste de la défense des (petits) actionnaires. Quand ? Idéalement, » dès que les enfants du principal actionnaire sont en âge de s’y intéresser « .
1. L’affectio societatis
» Pour faciliter la succession, il faut parvenir à créer une forme d’ affectio societatis, un sentiment d’appartenance dans le chef des enfants, il faut les impliquer directement ou indirectement dans la vie de la société « , enchaîne notre interlocuteur. Comment ? » En désignant par exemple les représentants de la génération suivante au conseil d’administration, voire en instituant avec eux un « CA fantôme », sans pouvoir de décision, pour qu’ils restent informés des évolutions stratégiques de l’entreprise familiale. »
Mais les successeurs potentiels peuvent être nombreux, surtout si plusieurs générations sont concernées, et tous n’ont pas forcément le même intérêt pour l’entreprise familiale. Certains y travaillent peut-être déjà ou envisagent de le faire un jour, d’autres n’en ont pas l’intention, les derniers sont à mille lieues de s’y intéresser… mais ne cracheraient pas sur d’éventuels dividendes. Comme le relève l’Union des classes moyennes (UCM), » il est primordial de connaître, au départ, les souhaits de chaque enfant. La transmission d’une entreprise familiale s’inscrit dans une réflexion de planification successorale, qui vise à respecter les droits des différents enfants. Il y a plusieurs formules, mais l’accompagnement par des professionnels (notaires, fiscalistes, conseillers patrimoniaux…) est vivement recommandé afin de cerner avec précision les incidences et impacts de chaque formule « . Sans oublier les aspects relationnels et émotionnels qui existent entre les différents membres de la famille.
2. La charte familiale et le pacte d’actionnaires
D’où l’intérêt pour les actionnaires familiaux de s’accorder bien avant que les problèmes ne se posent sur une série de questions liées aux valeurs de l’entreprise, au rôle des membres de la famille dans la société et à leur éventuel recrutement futur, au mode et à la fréquence des communications entre eux, aux procédures à suivre en cas de conflit, etc. » Tout cela peut être réglé dans une charte familiale « , précise Pierre-Alexis Léonard. Un document informel, mais qui engage les signataires pendant une période déterminée.
Bien souvent, les enfants n’ont pas les moyens nécessaires au rachat de l’entreprise familiale.
Cette charte complète idéalement la plus formelle mais indispensable convention d’actionnaires qui régit notamment le mode de composition du conseil d’administration – comment et par qui les différentes branches familiales actionnaires sont représentées au CA… -, les politiques de dividendes, de recrutement et de rémunération, les droits et engagements des actionnaires, l’âge de départ des dirigeants, etc. Mais aussi les procédures à suivre si un membre de la famille veut vendre ses actions. » Ensemble, ces deux documents peuvent aussi avoir vocation à maintenir le caractère familial de l’entreprise « , poursuit le spécialiste.
3. Vente ou donation ?
Ça, c’est quand les actionnaires familiaux sont plusieurs. Si le propriétaire de l’entreprise est seul actionnaire ou largement majoritaire et s’il souhaite en assurer la pérennité, se posera tôt ou tard la question de savoir comment céder ses parts. Il peut bien entendu les vendre à qui il le souhaite et au prix pour lequel il trouvera acquéreur. Là où cela se corse, c’est s’il souhaite céder l’oeuvre de sa vie à ses enfants.
Première possibilité : la vente pure et simple de ses titres à ses futurs héritiers. Cela permet de mettre tout le monde d’accord à un prix négocié (différentes méthodes d’estimation de la valeur de l’entreprise sont à disposition) et au patriarche de retirer les fruits d’une vie de labeur. Le hic, c’est que bien souvent, les enfants n’ont pas les moyens nécessaires au rachat de l’entreprise familiale. La vente peut alors être échelonnée dans le temps, mais une solution plus simple passe par la création d’une holding privée dont les enfants acquièrent les actions et à laquelle le propriétaire cède (tout ou partie de) ses parts de l’entreprise familiale, moyennant paiement éventuel après remontée des dividendes. C’est un outil classique de planification successorale qui permet à la fois de mettre tous les héritiers sur le même pied, tout en évitant l’émiettement du capital.
L’alternative, c’est évidemment la donation pure et simple de tout ou partie des actions de l’entreprise familiale aux enfants, afin d’éviter les futurs droits de succession – fussent-ils réduits entre héritiers directs. Moyennant certaines conditions (lire l’encadré page 44), celle-ci est exonérée de droits de donation. Revers de la médaille : le donateur ne reçoit rien en contrepartie et se prive donc à la fois du patrimoine que constitue son entreprise et du produit de ses actions, c’est-à-dire des dividendes.
» Il existe cependant plusieurs moyens de lui assurer un revenu « , tempère Pierre-Alexis Léonard. » Le cédant peut, par exemple, conserver une fonction rémunérée dans la société ou se voir attribuer une rente, il peut conserver un nombre réduit d’actions qui auront été préalablement dotées d’un dividende préférentiel dans la convention d’actionnaires ou il peut encore ne céder que la nue-propriété des actions à ses enfants et en conserver l’usufruit. » Bien entendu, il peut aussi combiner les deux méthodes : vente d’une partie de ses titres et donation de l’autre.
4. Le pacte successoral
Bien souvent, le patrimoine du propriétaire d’une entreprise ne se limite pas à sa société. S’il veut planifier sa succession, l’ensemble de ses biens – matériels, immobiliers, etc. – doivent être pris en considération dans un souci d’équilibre entre ses héritiers. La récente réforme du droit des successions, entrée en vigueur le 1er septembre dernier, autorise désormais la signature d’un pacte successoral global entre le parent et ses ayants droit. De quoi permettre de répartir son patrimoine entre eux en tenant compte de l’intérêt éventuel d’un enfant pour l’entreprise familiale : si ce dernier se voit léguer tout ou partie des parts de la société, les autres peuvent, par exemple, recevoir de l’argent ou des immeubles en compensation.
Peu importe si la valeur respective des différents biens évolue entre la signature du pacte et le moment du décès, le document engage tous les signataires – pour autant qu’il ait été signé librement et devant notaire. » La nouvelle loi autorise même le pacte à aller plus loin que la part réservataire dévolue aux enfants, pour autant que tout le monde soit d’accord « , souligne Pierre-Alexis Léonard. Si le patriarche ne dispose pas d’autres biens que son entreprise mais que celle-ci détient des immeubles, il peut aussi procéder à une scission partielle de la société pour loger l’immobilier dans une autre structure et respecter ainsi l’équilibre entre ses enfants intéressés par la poursuite de l’activité familiale et ceux qui ne le sont pas.
5. Garder le contrôle ?
» Céder mon entreprise à mes enfants, oui, mais en perdre le contrôle, certainement pas ! » C’est l’une des épineuses questions soulevées par la transmission d’une entreprise familiale. Nombreux sont les patrons qui espèrent voir leurs enfants assurer la continuité mais plus rares sont ceux qui sont prêts à lâcher la barre. La donation avec réserve d’usufruit permet de conserver le droit de vote attaché aux actions. Une autre solution populaire consiste à passer par la création d’une fondation de droit néerlandais qui permet de dissocier la propriété juridique de l’entreprise (cédée aux enfants) de sa propriété économique (maintenue dans le chef du parent).
Si elle aboutit comme prévu avant la fin de l’année, la réforme en cours du droit des sociétés, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er janvier prochain, offrira une alternative… déjà fort décriée : elle mettra fin au sacro-saint principe 1 action = 1 voix qui prévaut toujours dans les assemblées générales. » Il sera possible à l’avenir de créer des actions à droit de vote multiple « , confirme Pierre-Alexis Léonard.
» Le propriétaire pourra alors céder 90 % de ses titres et n’en conserver que 10 % tout en gardant la majorité des droits de vote. » Chez Deminor, on est cependant défavorable à cette disposition. » Cela revient à dissocier le pouvoir de vote du risque entrepreneurial. Vouloir à tout prix garder le contrôle de son entreprise n’est pas forcément optimal. Mieux vaut opter pour une bonne structure de gouvernance. »
Pour encourager la transmission d’une entreprise familiale à la génération suivante, les Régions se montrent fiscalement peu gourmandes. La succession d’une entreprise familiale est frappée d’un taux de 0 % en Région wallonne, de 3 % à Bruxelles et en Flandre en ligne directe ou entre partenaires et de 7 % dans les autres cas. Mais si vous optez pour la donation (par acte notarié) à vos héritiers directs, vous n’aurez aucun droit à payer où que se situe votre entreprise. Même avec réserve d’usufruit.
Pour obtenir cette exonération, il faut répondre à une série de conditions précises liées au caractère réellement familial de l’entreprise (pas plus de trois familles actionnaires), à la poursuite de son activité pendant un certain temps après la donation, à la proportion d’actions détenues par le cédant, à l’interdiction de prélever les avoirs investis dans l’entreprise, etc. Les sociétés qui ne répondent pas à ces conditions peuvent être transmises moyennant le paiement de droits de donation (3,3 à 7 % en Wallonie, 3 à 7 % à Bruxelles ou en Flandre selon le degré de parenté). On peut les éviter en passant l’acte devant un notaire néerlandais, mais si le cédant décède dans les trois ans, les bénéficiaires devront payer des droits de succession.
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