Comment évaluer vos députés
Peut-on estimer la qualité du travail des élus ? Comment ? Les palmarès établis par la presse sont-ils forcément réducteurs ? En pleine rentrée (houleuse) parlementaire fédérale, et alors que les assemblées communautaires et régionales se sont renouvelées elles aussi, ces questions sont cruciales.
Qu’est-ce qu’un bon parlementaire ? On se posera la question le 24 octobre 2014, lors d’une conférence-débat au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en partenariat avec l’Université libre de Bruxelles (ULB) et Le Vif/L’Express. Cette opération, première du genre, est née en juin 2013, après la publication dans Le Vif/L’Express du premier baromètre des 233 députés francophones siégeant à la Chambre, au Sénat, et dans les parlements régionaux. Celui-ci avait alors provoqué quelques remous.
La conférence, qui se tiendra dans l’hémicycle communautaire (à Bruxelles) et est ouverte au grand public (inscription : www.pfwb.be), sera animée par plusieurs acteurs et observateurs de la vie politique. Parmi eux, Julien Navarro, maître de conférence en science politique à l’université catholique de Lille, affiliée à l’Ecole européenne des sciences politiques et sociales (Espol). Ses travaux portent notamment sur l’Union européenne, les pratiques parlementaires et les élites politiques. Il est également co-auteur de Le cumul des mandats : causes et conséquences (éditions de l’Université libre de Bruxelles). Interview.
Qu’est-ce qu’un député vraiment efficace ?
Je propose une définition simple : l’efficacité d’un député est le rapport entre les efforts qu’il investit dans son travail parlementaire et leurs résultats qu’il en tire. On observe que le plus efficace des députés sera celui qui en investissant peu de temps dans l’activité parlementaire récolte le plus de résultats. En revanche, aux yeux du corps électoral, un bon député est celui qui satisfait ses attentes. Ainsi l’électeur qui vote en faveur d’un parti d’extrême droite, n’attend pas de ses mandataires qu’ils entrent dans le détail du travail législatif. Ce qu’il souhaite en votant pour ceux-là, c’est qu’ils incarnent une opposition dans l’hémicycle.
Pour mesurer la performance des députés, faut-il tenir compte du taux de présence ?
La présence physique ne fait pas tout, certes. Un député peut très bien afficher un taux de présence de 100 % et ne jamais prononcer un seul mot. Mais le taux de présence demeure l’un des facteurs dont il faut tenir compte pour juger du travail d’un député. Car le taux de présence est influencé par le cumul des mandats et les cumulards sont clairement des élus moins efficaces. C’est surtout vrai pour ceux qui cumule un mandat de député avec celui de bourgmestre.
Vos études mettent précisément en évidence l’impact du cumul des mandats dans la non-efficacité des parlementaires. Cumuler n’aurait que des effets négatifs ?
Pour commencer, on s’aperçoit que le cumul a tendance à s’auto-entretenir. Un homme politique cumulant plusieurs fonctions a plus de poids au sein de son propre parti et cultive plus de réseaux en dehors. Il a donc une facilité accrue pour lever des fonds. Mais il existe aussi un avantage dans les urnes : par rapport à ses concurrents, le cumulard a nettement plus de chances de gagner une élection, puisqu’il bénéficie d’un surcroît de notoriété. Enfin, le cumulard exerce un effet dissuasif sur le camp adverse, qui va avoir tendance à présenter un candidat moins aguerri sur un territoire réputé plus difficile à conquérir.
On observe une autre conséquence intéressante. Les députés ayant également un mandat local ont tendance à plus faire remonter des problématiques locales. Nos études le prouvent. La question est alors de savoir si l’on veut un hémicycle qui est une somme de problématiques locales ou des députés avec une vision plus globale des choses…
Que change l’interdiction de cumul sur la vie politique ?
Interdire le cumul entraîne des résultats positifs. D’abord, cela ouvre la compétition électorale et permet alors de renouveler le personnel politique. L’autre bénéfice est que supprimer le cumul déclenche une nouvelle dynamique sur le travail parlementaire. Elle rend les élus plus efficaces, leur donnant du coup un poids plus grand dans le processus de décision politique. Car tant la France que la Belgique se distinguent par un taux très élevé de cumulards mais aussi par un parlement peu influent.
Revenons à l’évaluation de la performance des députés. Quels sont les autres critères pertinents à retenir pour apprécier leur efficacité ?
Nos recherches ont porté sur le Parlement européen et sur l’Assemblée nationale française. L’activité des députés est évaluée à partir des interventions écrites et orales, les amendements qu’ils déposent et les questions qu’ils adressent au gouvernement. Puis, nous avons appliqué un modèle économétrique : pour chaque député, nous avons répondu à la question suivante : existe-t-il au moins un autre député ayant une activité supérieure ou égale, tout en étant présent autant de temps ou moins ? Si la réponse est négative, alors le député peut être considéré comme efficace. Ce modèle met en avant les députés qui, pour une assiduité donnée (NDLR : un taux de présence de 80 %, par exemple), prennent le plus part aux travaux menés au sein des commissions et au sein du parlement. En bref, nous nous sommes demandés si les députés utilisaient leurs temps de manière optimale.
Etre un parlementaire efficace est-il payant dans les urnes ?
L’élection permet aux électeurs de récompenser ou de sanctionner ceux qu’ils avaient élus. En théorie, mais, sur le terrain, ce qui se fait au parlement est l’élément qui compte le moins dans une élection. Tout simplement parce que les électeurs n’ont pas connaissance du niveau d’activité de leurs élus. Ils en sont déconnectés. Autrement dit, ce sont les partis qui placent en position éligible des députés qui ont en moyenne un bilan conséquent, et ces choix sont validés par les électeurs.
Certes, à la marge, on peut toutefois prédire l’activité parlementaire qui jouera une petite part dans les chances d’être réélu. Ainsi en France, les questions des députés comptent bien plus. De fait, elles sont la fenêtre ouverte sur les médias, puisque les caméras sont présentes lors des questions d’actualité. Mais on observe aucun effet au niveau des propositions de loi. Or c’est dans cette activité que le député peut réellement se démarquer. En revanche, en Belgique, les députés les plus actifs en terme de propositions de loi bénéficient d’une véritable prime électorale.
Pourquoi les élus se montrent-ils si susceptibles à l’idée d’être « surveillés » ?
A leurs yeux, scruter l’activité parlementaire nourrit un sentiment d’antiparlementarisme. Mais la compilation chiffrée des activités parlementaires demeure toutefois un épiphénomène. Elle est surtout le fait des journalistes et de collectifs citoyens, qui exigent légitimement plus de transparence sur les données. Et c’est sous la pression des médias et des associations que les assemblées ont rendu de plus en plus accessibles les informations qui les concernent. Le débat a toutefois eu le mérite de remettre en lumière une problématique ancienne sur le travail des parlementaires : l’électeur est-il légitime pour surveiller ses élus ? Par quels outils peut-il apprécier leur travail ?
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