Pour Carl Devos, politicologue flamand très écouté au nord du pays, le revirement à gauche de Charles Michel qui a tenté une sorte de gouvernement de bonne volonté de centre gauche, c’est du jamais-vu. » C’est un aveu d’échec collectif du gouvernement à l’opposition. C’est comme s’il avait dit à l’opposition : ‘Vous avez raison, nous avons échoué’. » Le professeur gantois en est resté bouche bée. Nous aussi.
Charles Michel ne pouvait pas négocier plus mal sa sortie. Pendant des années sans doute, les étudiants en sciences politiques plancheront sur ce cas d’école : comment se tirer une balle dans le pied en 10 leçons. Suicide politique pour les Nuls.
Que n’a-t-il démissionné voici dix jours, s’épargnant cette humiliation ? Que ne s’est-il abstenu de signer le Pacte migratoire à Marrakech en expliquant à ses alliés européens, Macron, Juncker et Merkel, que les conditions politiques l’en empêchaient au risque que le pire n’arrive ?
En déviant si fort et si rapidement de sa ligne de centre-droit, patiemment construite en plus de quatre ans de Suédoise, le Premier ministre sortant a fait un cadeau en or à la N-VA. Le parti nationaliste pourra s’en servir en vue des élections fédérales, que celles-ci aient lieu dans 40 jours ou en mai. Car non seulement la Wallonie est rouge, rose et verte, pourra dire Theo Francken aux nombreux Flamands qui veulent virer la Belgique, mais l’unique alternative (le MR) est maintenant copie-conforme de tous les autres. « Vous voyez bien que nos deux démocraties sont désormais inconciliables. Il est temps de se séparer. »
Comment un tel reniement est-il possible ? Qui conseille le Premier ministre ? Pendant quatre ans, le MR nous a dit à quel point c’était pratique, combien il était confortable, de gouverner sans le PS. Sans ces concessions permanentes à la gauche, comme du temps des deux gouvernements Verhofstadt, qui pratiquaient avant l’heure le « en même temps » macronien…
Le MR nous disait : Voyez comme on peut réformer sans les « rouges » : les soins de santé, les pensions, la fiscalité… Voyez comme Theo Francken fait du bon travail à l’Asile et l’Immigration. Arrêtez donc de tirer sur Saint Theo qui nous protège d’une immigration incontrôlée et chaotique. La Belgique n’a jamais été aussi prospère et sûre. Jobs, jobs, jobs : 30.000, 40.000 ? N’en jetez plus tellement le chômage baisse…
C’est bien simple, on s’entend si bien entre Open-VLD, CD&V, MR et N-VA, qu’on en remettrait bien pour cinq ans de Michel II et de Suédoise bis. Qui disait que notre alliance était kamikaze ? Ces journalistes disent vraiment n’importe quoi…
Tous ces beaux discours rassurants pour ce réveil brutal ? On en perd son latin.
Le b.a.-ba en politique, lorsque la fin de la législature approche, est de défendre son bilan. Tous les leaders le savent. Cela vaut pour l’Open-VLD et le CD&V. Et non d’avouer son échec à des adversaires qui n’attendent que ça pour brandir le « on vous l’avait bien dit ».
Quelle crédibilité aura le MR en mai pour proposer de rempiler avec les mêmes ?
Certes, la situation du MR en Wallonie-Bruxelles, avec une sociologie (syndicats, mutuelles, asbl, ONG, universités, tribunaux) systématiquement hostile à la droite politique n’est pas simple. L’ostracisme anti-NVA rend complexe la défense d’une alliance qui sera toujours décrite comme contre-nature.
Ce qui n’est pas faux puisque la force de la N-VA est son emprise sur le réel doublée d’une cohérence idéologique en béton sorte de « contre-hégémonie » gramscienne de reconquête d’influence. En face, le MR apparaît comme une galaxie de penseurs épris d’utopie et de Lumière qui, en bons libéraux orthodoxes pétris de naïveté et de bon sentiment, ne demandent qu’à être convaincus par les arguments de leurs adversaires.
Mais baisser ainsi son pantalon jusqu’aux chevilles en rase campagne sous les tirs nourris de snipers assoiffés de sang libéral, faire de soi une telle cible et y prendre, apparemment, du plaisir, c’est en effet, comme le dit Carl Devos, du jamais-vu.
Bertrand Henne (La Première) soulignait à juste titre récemment que le MR devait choisir entre Bart De Wever et Justin Trudeau.
Là, les Bleus ont carrément opté pour l’enfant naturel d’Olivier Deleuze et de Joëlle Milquet.
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