Comment Abdessalem Lassoued a pu se procurer un fusil d’assaut: « Cela reste relativement facile en Belgique »
Le recours par Abdessalem Lassasoued à un fusil AR-15 de type militaire pose, une nouvelle fois, la question du trafic d’armes en Belgique. Des armes de combat particulièrement recherchées par les terroristes djihadistes.
Le fusil AR-15, tel qu’utilisé par Abdesalem Lassoued pour abattre deux supporters de foot suédois, n’est pas une arme anodine. Il s’agit d’un fusil semi-automatique ou automatique, selon les versions, très populaire aux Etats-Unis. Controversé aussi, car il a été utilisé dans des tueries de masse particulièrement meurtrières. Ce fusil d’assaut américain est, tout comme son pendant d’origine russe la kalachnikov, fiable et simple à manipuler. Il ne faut pas des heures de formation pour pouvoir s’en servir. De très jeunes américains apprennent à s’en servir dans les stands de tir.
Le fusil d’assaut est aussi très disponible sur le marché noir. Toutes ces raisons expliquent pourquoi c’est l’arme de prédilection des terroristes islamistes. Cela s’est vérifié lors de la tuerie du Musée juif de Bruxelles en 2014, de l’assaut d’une cellule djihadiste à Verviers en janvier 2015, des attentats à Paris quelques mois plus tard, de la tuerie de l’Hyper Casher et de l’attaque du Thalys la même année. Ici, à chaque fois, une kalachnikov faisait partie de l’arsenal des tueurs.
Comment un Tunisien en séjour illégal en Belgique et radicalisé, connu des services de police et de la Sûreté de l’Etat, résidant toujours à Schaerbeek bien que radié du registre national et faisant l’objet d’un ordre de quitter le territoire, a-t-il pu se procurer une telle arme de type militaire ? « Cela reste relativement facile en Belgique, malgré l’attention renforcée des autorités sur le trafic d’armes illicite, répond Yannick Quéau, directeur du Grip (Groupe de recherche et d’intervention sur la paix et la sécurité). La Belgique reste une plaque tournante importante, mais ce n’est pas le seul mouton noir en Europe. Tous les pays qui ont des activités portuaires, comme les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark, la Suède ou même la Pologne, sont concernés. »
La lutte contre le trafic d’armes à feu est pourtant devenue une priorité des autorités belges depuis une bonne décennie, surtout après la tuerie du marché de Noël de la place Saint-Lambert à Liège, qui avait fait cinq morts en 2011, et avait révélé les faiblesses de la Belgique en la matière. En effet, quatre ans avant cette tragédie, l’auteur, Nordine Amrani, avait fait l’objet d’une perquisition dans le cadre d’une opération antidrogue. Les policiers avaient trouvé chez lui des plantations de cannabis, mais aussi un fusil d’assaut AK-47, un pistolet mitrailleur MP40, un fusil d’assaut FAL de la FN, un lance-roquette, plusieurs armes de poing, une grande quantité de munitions et neuf mille pièces d’armes à feu. Alors que le trafic semblait évident, Nordine Amrani n’avait été inculpé que pour détention illégale d’armes à feu.
Après les attentats de Paris et Bruxelles en 2015 et 2016, la répression de la contrebande d’armes illégales a connu un nouvel élan dans notre pays, devenant une priorité du Plan national de sécurité. Un comité interfédéral a été créé. Il faut dire que des armes de la filière belge avaient été retrouvées dans l’arsenal d’Amedy Coulibali, auteur de la prise d’otage de l’Hyper Casher qui s’était soldée par quatre morts. Idem pour le Marocain qui était monté dans le Thalys à la gare du Midi avec un fusil AKM démilitarisé puis réactivé, acheté en Belgique, qui s’est heureusement enrayé. Enfin, l’origine des armes utilisées au Bataclan et sur les terrasses parisiennes, en 2015, reste un mystère mais une des pistes crédibles, qui n’a pas été suffisamment creusée, menait à Laeken.
Gare aux armes d’Ukraine
Malgré tous ces antécédents, la Belgique est toujours un « pays d’origine, de transit et de destination du trafic d’armes à feu », comme le note le Flemish Peace Institute dans un rapport publié il y a un an. Combien d’armes détenues illégalement circulent-elles à l’intérieur de nos frontières ? Les estimations varient entre cent mille et plus d’un million. Il s’agit davantage de violations administratives que de contexte criminel, selon la police. Il n’empêche, le marché des armes à feu interdites reste florissant. Ce sont encore et toujours des armes héritées des conflits des Balkans, qui ont inondé l’Europe. Ce qui fait d’ailleurs craindre un scénario similaire avec la guerre en Ukraine.
« Il faudra être vigilant pendant la période post-conflit quand les armes ne seront plus nécessaires sur place, avance Yannick Quéau. Dans la précipitation, une quantité astronomique d’armes a été livrée aux Ukrainiens. Celles-ci arrivent dans les mains de militaires mais aussi de civils, donc sans doute de groupes ayant des activités criminelles. Après la guerre, les acheteurs seront là… » Le Parlement ukrainien a mis en place un comité spécial chargé de superviser la réception et l’utilisation des armes fournies. Mais des doutes planent sur son efficacité. Dans un pays corrompu, le risque de détournement est réel.
Evidemment, il n’est pas donné à tout le monde d’acquérir une « kalach » sur le marché noir. Mais des connexions avec le crime organisé permettent d’en trouver, ce qui est le cas pour la plupart des terroristes djihadistes connus. Le trafic d’armes est d’ailleurs souvent lié à celui de la drogue qui s’accompagne d’envois variés de pistolets ou de fusils d’assaut. On appelle cela le « commerce des fourmis ». Leur circulation à l’intérieur de l’Union européenne est relativement aisée. « D’où l’importance de la coordination policière et judiciaire entre pays européens, pointe le directeur du Grip. Or, c’est là que le bât blesse le plus. Il est urgent que des pays comme le Danemark ou la Suède fassent davantage une priorité de la lutte contre ce trafic. »
La réactivation d’armes à feu neutralisées est également un phénomène bien connu en Belgique. Les marchands d’armes tchèques et slovaques se s’en sont fait une spécialité. Dans son rapport, le Flemish Peace Institute rappelle qu’« en 2017, onze personnes originaires de Liège et de Verviers ont été reconnues coupables dans une affaire de réactivation et d’assemblage illicite d’armes à feu. Certains d’entre elles étaient d’anciens employés de la FN Herstal. » Cela dit, ces armes sont moins fiables, comme l’a montré l’affaire du Thalys, mais restent recherchées quand des armes plus récentes font défaut. Enfin, l’impression d’armes en 3D constitue une autre menace émergente. Cette technologie n’est pas encore accessible au premier venu, mais Europol avertit que cela devrait se développer de manière exponentielle. Pour l’instant, la disponibilité d’armes à feu réelles et bon marché en Belgique n’a pas rendu la « filière 3D » indispensable.
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