Pascal Delwit
« Comme Alice au pays des merveilles, l’histoire du gouvernement des ‘bonnes volontés’, c’est un conte »
Plus de sept mois après la mise en affaires courantes du gouvernement fédéral et plus de deux mois après la tenue des élections législatives, la situation politique est toujours passablement compliquée.
Dans ce contexte, la séquence contemporaine de la vie politique et d’une partie du commentaire qui l’entoure ne lasse pas d’étonner. Plusieurs semaines après avoir été désignés, les informateurs royaux auraient réussi « l’exploit » d’asseoir à la même table des mandataires du PS et de la N-VA. Mais quel exploit y-a-t-il donc à ce que des partis répondent à une invitation ? La conclusion tirée par plusieurs observateurs est que, malgré les difficultés, le « fossé » séparant la N-VA et le PS pourrait et devrait petit à petit être comblé. Il s’agirait d’ailleurs du « schéma prioritaire » des informateurs. Pour autant, ceux-ci se gardent bien de nous expliquer pourquoi.
Ce récit, soigneusement écrit dans certains cénacles, est peu sinon pas interrogé. C’est pourtant peu de dire qu’il y a de quoi. Pourquoi donc cette construction d’une majorité qui associerait le PS et la N-VA devrait-elle être prioritaire ? Et pour quoi faire ? Car bâtir une majorité, c’est d’abord nouer un accord de gouvernement.
A vrai dire, quand on essaie de répondre à ces questions, on cherche vainement une réponse tant soit peu convaincante. Voire une réponse. De 2007, moment où Bart De Wever se plaisait à chasser les papillons rouges et à singer d’hypothétiques transferts financiers nord-sud, à nos jours, la polarisation entre la N-VA et le PS n’a cessé d’enfler. Et, en 2014, la N-VA a fait une campagne radicalement anti-socialiste. Et puis, il y a eu l’après-scrutin. N’en déplaise aux fournisseurs de croyances ou d’impressions sans fondement, l’édification du gouvernement fédéral à ce moment et les politiques publiques qu’il a mises en oeuvre ont produit de puissants effets ; en particulier à Bruxelles et en Wallonie. Qu’il nous soit permis d’en énumérer quatre.
1. Pour nombre de francophones – et pas uniquement de gauche -, l’exécutif fédéral n’a jamais été le « leur ». Pas nécessairement dans une perspective de proximité politique, mais parce que – de fait – non seulement il ne s’adressait pas à eux mais matériellement et symboliquement, beaucoup de Wallons et de Bruxellois estimaient qu’ils ne comptaient tout simplement pas. Et ce ne sont pas les humiliations répétées à l’endroit du Premier ministre par Theo Francken, qui ont modifié cette représentation.
2. L’option de prendre au pied de la lettre le prescrit constitutionnel et répétée à l’envi à l’époque – « Il faut 76 sièges pour une majorité. Point » – indépendamment de la situation dans les rôles linguistiques a créé à la fois un électrochoc et un précédent.
3. Ce gouvernement, et c’était son droit, a gouverné contre les codes d’un terme à la mode, la « discussion ». Les interlocuteurs sociaux ont été ignorés, méprisés mêmes, le plus souvent sous l’impulsion de la N-VA. Le gouvernement des droites a gouverné à droite, sans concertation sociale.
4. La N-VA a non seulement entretenu une exacerbation sociale tout au long de la législature, promu les choix les plus anti-sociaux – le saut d’index, l’allongement de l’âge légal de la pension, des économies dans la sécurité sociale -, mais elle a aussi imprimé une stratégie systématique de polarisation ethnocentrique, apanage de la droite radicale. Ce faisant, elle a d’ailleurs créé un puissant effet de levier pour un retour spectaculaire à l’avant-plan du Vlaams Belang. Et in fine, elle a fait chuter le gouvernement quand il lui a plu.
Pourquoi donc dans ces conditions imagine-t-on que le PS devrait gouverner avec la N-VA ? En logique formelle et substantielle, cela n’a aucun sens. Et c’est assez logiquement qu’Elio Di Rupo annonça en avril de cette année : « Ce sera avec la N-VA sans le PS, ou avec le PS sans la N-VA ». Comme Alice au pays des merveilles, l’histoire du gouvernement des bonnes volontés, c’est un conte.
Les programmes et la manière de faire de la politique de ces deux partis sont aux antipodes. Qui plus est, ces formations – comme tous les acteurs politiques et sociaux – sont soumis à leurs propres contraintes. Ne pas les saisir, c’est ne pas comprendre les limites du possible. Le 26 mai, le PS a atteint un score-plancher (26,1% en Wallonie). Il s’agit là du plus mauvais résultat de son histoire depuis l’instauration du suffrage universel en 1919. Confronté à la désertion de pans de classes moyennes salariées au profit d’Ecolo et de pans des classes populaires au profit du PTB, le parti socialiste « joue », dans les années qui viennent, son destin et son statut dans le système politique belge et les sous-systèmes politiques régionaux et communautaires.
Sous l’angle de la N-VA, le même type de raisonnement peut aussi être mené. Et ce n’est pas sans raison non plus que Bart De Wever a d’emblée indiqué que « si c’était avec les socialistes, c’était pour discuter le ‘confédéralisme' ». Mais quel intérêt le PS aurait-il à discuter du ‘confédéralisme’ – l’indépendance de la Flandre sans les coûts de l’indépendance ?
Bref, à l’aune de ces éléments, on saisit mal – à ce stade – le sens d’une présence concomitante du PS et de la N-VA dans un exécutif fédéral et la promotion de cette alliance. On conçoit d’ailleurs tout aussi difficilement pourquoi d’autres formules sont moins « prioritaires » pour les informateurs. Après tout, aucune formation n’est indispensable pour la mise en place d’une majorité. Comme cela a été rabâché en 2014, 76 sièges sur 150 suffisent. La N-VA l’a d’ailleurs bien compris. Soucieux de ne pas en être et pressés par le patronat flamand inquiet de l’horizon d’un Brexit dur, les nationalistes flamands se sont un temps battus la coulpe pour faire offre de service. « Ce qu’on a fait ces cinq dernières années avec un gouvernement soutenu par à peine 20 % des Wallons n’était pas sérieux, au niveau démocratique » a pu affirmer sans rire Sander Loones pour initier la discussion sur le confédéralisme avec le PS. Oui mais voilà, Alice au pays des merveilles, c’est décidément un conte.
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