Combien gagnent vraiment les Belges?
La rémunération des travailleurs belges reste un sujet tabou. On n’aime pas trop en parler ouvertement. Mais beaucoup pensent qu’ils pourraient gagner plus, qu’ils sont mal payés. Beaucoup, aussi, ont du mal à joindre les deux bouts, comme le clament les gilets jaunes. Les chiffres montrent pourtant que la situation s’améliore. Même si on est loin du paradis… salarial. Radiographie.
Combien? 3.489 euros par mois. Voilà le revenu mensuel brut moyen perçu par un salarié belge employé à temps plein en 2016, selon les chiffres publiés par Statbel, l’office belge de statistique, en octobre dernier. Ce sont les données officielles les plus récentes, collectées auprès de 90.000 personnes. Elles montrent une augmentation de 1% par rapport à 2015 alors que, rappelez-vous, le gouvernement Michel avait bloqué les salaires cette année-là et, en 2016, imposé, en prime, un saut d’index. Depuis, la progression a repris de plus belle. Une enquête réalisée en ligne auprès de 20.000 travailleurs par Jobat et l’institut d’études Ipsos voici quelques semaines montrait une hausse des salaires de 4% en 2018 par rapport à 2017, avec une moyenne à 3.329 euros (la différence avec Statbel s’explique notamment par la marge d’erreur inhérente à tout sondage).
Cela dit, il ne s’agit que de moyennes « tirées par le haut par les salaires les plus élevés », soulignent les auteurs de l’étude. Et on verra qu’en Belgique, le spectre est plutôt large entre les rémunérations selon le job que vous occupez, votre fonction, votre statut, votre secteur, votre ancienneté et même l’endroit où vous l’exercez. Sans oublier votre sexe: les différences salariales entre les femmes et les hommes ont la peau dure en Belgique, même si elles ont tendance à se résorber. L’écart tournerait encore autour des 5% contre 12% il y a dix ans, selon le SPF Economie.
En réalité, les deux tiers des salariés gagnent moins que le salaire moyen. Pour savoir où vous vous situez, les chiffres médians sont plus éloquents. Ils tournent autour des 3.000 euros brut (lire l’encadré sur le calcul du net, ci-dessous). La moitié des travailleurs belges gagne plus, l’autre est en-deçà. Et près de la moitié se situe entre 2.250 et 3.250 par mois. En 2016, les 10% de salariés les mieux payés gagnaient mensuellement plus de 5.381 euros et les 10% les plus mal rémunérés moins de 2.233. Toujours pour un temps-plein. En Belgique, le salaire minimum (fixé par convention collective, pas par la loi) atteignait 1.563 euros brut en 2017.
Qui gagne plus, qui gagne moins
Dans le haut du panier, on trouve sans surprise les patrons et les cadres suivis, plus étonnant, par les scientifiques, puis les ingénieurs et les juristes. Au bas de l’échelle se concentrent les serveurs et les barmen, les coiffeurs, aides-ménagers, caissiers et vendeurs. Contrairement à l’idée reçue, les éboueurs ne sont pas les plus mal lotis. On ne parle cependant ici que des travailleurs salariés qui bossent à plein temps. Pas des temps partiels, des allocataires sociaux ni des indépendants. Chez ces derniers, les écarts sont nettement plus impressionnants, comme on le lira par ailleurs. Quant aux fonctionnaires, on verra qu’ils sont soumis à des grilles barémiques très précises liées à leur grade et à leur ancienneté plutôt qu’à leur métier.
Le salaire brut est le salaire de départ offert par l’employeur. C’est lui qui détermine les délais de préavis ou l’indemnité de rupture de contrat, le salaire garanti, les allocations de chômage, les indemnités pour accident du travail et maladies professionnelles, la partie du salaire qui est saisissable, la pension, etc. En plus du salaire brut, l’employeur paie aussi des cotisations sociales patronales pour la sécurité sociale.
Pour calculer le salaire net qui sera effectivement versé sur votre compte en banque, il faut en déduire les impôts (précompte professionnel) et les cotisations à l’ONSS. Ces retenues dépendent de différents facteurs: votre taux d’imposition, votre situation familiale (statut, enfants à charge, etc.) et votre domicile (impôts communaux, bonus flamand à l’emploi…). Deux travailleurs qui perçoivent le même salaire brut peuvent donc toucher un net différent. Pour calculer le vôtre, utilisez les logiciels mis à disposition par les syndicats en ligne: https://bit.ly/2PlGUlL ou https://bit.ly/2EaS231.
Exemple. Un salarié isolé à temps plein sans enfant à charge qui gagne 3.000 euros brut touchera 1.945 euros net (calcul FGTB). Avec le même brut, une employée avec deux enfants à charge dont le mari ne travaille pas gagnera 2.298 euros par mois. Soit une différence en net de plus de 350 euros pour le même salaire brut. Sans tenir compte du domicile.
Certains secteurs paient aussi mieux que d’autres, comme l’industrie pétrochimique, les banques, la pharmacie ou la chimie, le transport aérien… Les salaires les plus faibles se retrouvent dans l’Horeca, l’hôtellerie, le commerce de détail, la construction. Deux autres facteurs jouent encore un rôle non négligeable. Le niveau d’études: statistiquement, un master peut vous offrir jusqu’à 50% de plus que la moyenne nationale tandis qu’un travailleur qui n’a pas terminé l’école plafonnera, en moyenne, 23% en dessous.
Et puis la géographie: présence internationale et sièges de grandes entreprises obligent, si vous travaillez à Bruxelles (4.092 euros), à Anvers (3.629) ou dans le Brabant flamand (3.700), vous serez mieux payé qu’à Dinant (2.650), Marche (2.743) ou Bastogne (2.750). Sauf si vous décrochez un contrat au Luxembourg…
Le grand écart des indépendants
Tous les Belges ne sont pas salariés, loin s’en faut. Plus de 800.000 sont fonctionnaires et leur traitement est lié à différents facteurs comme la fonction, le grade et l’ancienneté. Cette dernière constitue le principal critère d’augmentation, avec l’indexation automatique. Deux millions sont retraités, 500.000 au chômage et 1,1 million sont des indépendants. Comprenez qu’ils déclarent une activité d’indépendant à l’Inasti. Qu’ils l’exercent à temps plein, à titre complémentaire, en tant que pensionné actif, starter ou même étudiant-entrepreneur, un nouveau statut créé l’an dernier.
C’est dire si les chiffres publiés par leur organisme d’assurance sociale (au 31 décembre 2017) résument des réalités très différentes. En matière de revenus, les moyennes que nous publions ici (voir nos tableaux) apparaissent très faibles pour de nombreuses activités. Elles sont tirées à la baisse par le nombre important d’indépendants complémentaires ou qui, s’ils exercent à titre principal, n’en tirent qu’un revenu d’appoint dans un ménage où le conjoint gagne mieux sa vie. Certains indépendants sont par ailleurs établis en société dont les revenus n’apparaissent pas dans les données de la sécurité sociale.
Au sommet de l’échelle, on trouve les professions libérales avec les notaires (revenu annuel brut: 133.645 euros) et les huissiers de justice (93.919 euros) très loin devant tous les autres métiers. Viennent ensuite les médecins (70.977), les avocats (55.130), les dentistes (53.395) et les pharmaciens (50.610). A l’autre bout du spectre, on trouve les agriculteurs (14.787 euros tous métiers confondus), les services manuels (14.091, du coiffeur au garagiste), les artistes (13.594) et les gens de lettres (12.744)…
Comment se porte leur pouvoir d’achat? Tous les indépendants, on le voit, ne sont clairement pas logés à la même enseigne. L’Union des classes moyennes (UCM) a tout de même relevé quelques tendances encourageantes, si l’on ose écrire. « Le nombre d’indépendants disposant d’un revenu annuel brut supérieur à 12.500 euros (!) est passé de 424.288 en 2013 à 483.437 en 2017, a calculé Renaud Francart, conseiller au service d’études. Et on passe de 235.814 à 290.917 indépendants qui déclarent un revenu supérieur à 25.000 euros. »
Un autre indicateur, basé sur les ajustements à la hausse des cotisations sociales provisoires arrêtées au 30 juin 2018, montre également que 36.000 indépendants s’attendent à des revenus supérieurs à ceux de l’année 2015. Mais pour Renaud Francart, « ces apparentes évolutions positives ne permettent pas de conclure à une réelle augmentation du pouvoir d’achat des indépendants ».
Des avantages taxés également
La rémunération, ce n’est pas seulement l’argent qui tombe sur le compte à la fin du mois. Elle est aussi constituée d’avantages extralégaux proposés par les entreprises à leurs salariés. Ceux-ci prennent aujourd’hui l’allure de plans cafétéria composés d’une multitude d’options parmi lesquelles, pour un montant donné, chaque collaborateur vient puiser pour former son propre package personnalisé. Voiture de société, gsm, ordinateur portable, vélo (y compris électrique), abonnement de train, rachat de jours de congé, cadeau de naissance ou de mariage, assurance hospitalisation… Le secrétariat social SD Worx en a compté jusqu’à 80 différents proposés par les employeurs belges. Tous ces avantages remplacent une partie du salaire brut avec des traitements plus intéressants en termes fiscaux et de cotisations sociales. Certains sont cependant considérés comme des avantages en nature pouvant être aussi utilisés à des fins privées. Ils font donc l’objet d’une taxation spécifique et doivent être déclarés. C’est le cas du gsm, de l’ordinateur portable, de la connexion Internet et, bien sûr, de la voiture de société. Mais pas du vélo « de société », qui bénéficie ainsi d’un coup de pouce fiscal.
Le tax-shift instauré par le gouvernement Michel a un effet réel, à la hausse, sur les salaires. Un effet d’accélérateur: le pouvoir d’achat des salariés n’a cessé d’augmenter depuis vingt ans. Mais le coût de la vie pèse lourd sur les petits revenus.
Le chiffre a eu l’effet d’une bombe qui fait pschitt entre les manifs de gilets jaunes et la crise gouvernementale sur le pacte migratoire de l’ONU. Il apporte pourtant un torrent au moulin de l’équipe Michel, qui ne jure que par l’amélioration constante du pouvoir d’achat des Belges depuis qu’elle est aux manettes. A en croire le cabinet d’audit international Deloitte, qui publiait, le 1er décembre, son étude annuelle sur les salaires européens, les plus bas revenus ont augmenté en Belgique de 20% entre 2015 et 2018, grâce au tax-shift. Introduit en 2016, ce « glissement fiscal » progressif vise à réduire l’impôt et les cotisations sociales pour augmenter le revenu net des salariés tout en améliorant la compétitivité des entreprises.
Entre 1998 et 2018, le revenu disponible moyen a augmenté sensiblement plus que l’inflation. » (IDD)
Selon Deloitte, un travailleur avec deux enfants, un conjoint qui travaille et un salaire brut annuel de 25.000 euros, a vu son net augmenter de 3 293 euros (+ 20,07%) par rapport à 2015. Pour un isolé sans enfant, la hausse est de 1 142,27 euros (+6,4%). En revanche, plus le revenu augmente, moins l’avantage est élevé. « La Belgique reste l’un des pays où les coûts salariaux sont les plus élevés », martèle le cabinet d’audit.
L’impact du tax-shift se mesure directement sur la fiche de paie. Le ministère des Finances l’a calculé de façon précise, comme le montre notre graphique (ci-dessus). Le 1er janvier prochain, un employé qui gagne 1.500 euros par mois verra son net atteindre une hausse cumulée de 146 euros (depuis 2015). Elle sera de 74 euros pour celui qui gagne 5.500 euros par mois. Ce n’est pas rien. Mais il faut relativiser.
D’abord, les chiffres. L’économiste Philippe Defeyt a, lui aussi, sorti sa calculette et trouve les conclusions de Deloitte farfelues. « Dans le meilleur des cas, celui d’un salaire minimum à temps plein, le gain réel de pouvoir d’achat n’est que de 6,1% pour un isolé et 5,5% pour un parent seul avec deux enfants » (hors hausses de 2019 et 2020). Pire: si ce parent isolé travaille à temps partiel (60%), il aura même vu son net baisser légèrement ces trois dernières années… « Or, il y a plus de temps partiels dans les secteurs qui rémunèrent le moins. »
Inégaux devant l’inflation
Ensuite, précise Philippe Defeyt, « si l’on parle de pouvoir d’achat, il ne faut pas seulement regarder l’évolution des salaires – d’autant que de nombreuses catégories de personnes sont exclues du tax-shift, comme les indépendants, les allocataires sociaux, les fonctionnaires ou les pensionnés. Il faut la comparer à celle du coût de la vie. Et là, les chiffres sont plutôt positifs. » Le directeur de l’Institut pour un développement durable montre qu’entre 1998 et 2018, le revenu disponible moyen a augmenté sensiblement plus que l’inflation (+ 71,4% contre + 43,9%), ce qui correspond bien à une hausse du pouvoir d’achat. C’est vrai aussi pour le revenu d’intégration (+ 73,3%).
Mais l’inflation est un indice basé sur l’augmentation du prix de centaines de produits qui n’évoluent pas de la même façon. En vingt ans, les loyers ont augmenté en moyenne de 60%. Les produits pétroliers de 232% (×3). L’eau de 120% (×2). L’électricité de 97% (×2). Le tabac de 148%. Les services médicaux de 71%. Autant de produits et services dont la hausse impacte plus les revenus les plus faibles, puisqu’ils sont incontournables. A l’inverse, les prix des vêtements (+ 13%), des meubles (+ 31%), de la culture et des loisirs (+ 25%), de l’électroménager (+ 1%) ont augmenté moins vite que l’inflation. Ceux du matériel photo, audiovisuel et informatique ont, eux, carrément chuté de 60%.
« Si l’on considère les besoins avérés, les besoins minimaux pour faire corps avec la société, deux catégories de ménages sont vraiment en détresse, souligne Philippe Defeyt: les personnes seules à petits revenus et locataires, et les parents à faibles revenus, locataires ou avec une charge d’emprunt hypothécaire. Les frais qui tombent en début du mois ne leur laissent pas assez pour mener une vie conforme à la dignité humaine. »
Terminons sur une note positive. Une étude du secrétariat social Partena Professional auprès de 62.000 employés montre que 2018 a été une année un peu plus faste pour les salariés belges. Sur les douze derniers mois, ils ont bénéficié d’une augmentation médiane de 2,94%, soit 105 euros brut par mois, avec une inflation qui n’a pas dépassé 2,1%. Encore un petit coup de pouce à leur pouvoir d’achat. Offert par leur employeur, cette fois.
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