Joseph Junker
Clash de Mons et nominations politiques: toutes les larmes ne se valent pas
L’incident a fait grand bruit et n’a pu vous échapper. Au cours d’une séance du conseil communal de Mons aussi turbulente que controversée, un huis-clos non accordé et des hurlements à foison, le bourgmestre de Mons Elio di Rupo et le très remonté chef de l’opposition MR Georges-Louis Bouchez en sont venus aux invectives.
Sujet de la controverse ? La nomination d’une proche du bourgmestre PS à un poste important de l’administration montoise, nomination entachée selon l’opposition d’une irrégularité apparente. Irrégularité pour laquelle elle réclamait une explication qu’elle n’a pas reçue séance tenante.
Mettons de côté la question de savoir si cette nomination était bien légale, ainsi que l’aspect très média-génique d’un « clash » (programmé ?) entre deux personnalités qui ni l’une ni l’autre ne peuvent compter sur ma sympathie. Ce qui m’étonne particulièrement dans cette affaire, c’est de voir d’une part le monde politique se ranger comme un(e) seul(e) homme/femme derrière l’infortunée en larmes (jusqu’au MR lui-même) et l’injuste humiliation infligée à leur camarade par Bouchez ; et d’autre part, le décalage abyssal avec les réactions des citoyens, qui pour beaucoup ont l’impression sincère qu’on les prend pour des imbéciles au sujet d’une nomination principalement politique.
Les mirobolantes statistiques du parti socialiste
Il n’est bien entendu pas question de remettre en question la compétence de cette honorable dame. Après tout, elle n’avait guère comme membre PS moyen que vingt-six fois plus de chances en moyenne de finir haut-dirigeant dans l’administration wallonne que le citoyen wallon moyen*. Et comme ex-cabinettarde approximativement dix à cent fois plus de chances qu’un simple membre. Certes, si l’affiliation politique était un sexe, la parité avec les non-socialistes ne serait que péniblement respectée, mais tout cela n’est bien entendu qu’un pur hasard. Les gens ont bien le droit d’avoir leurs convictions personnelles n’est-ce pas ? Pas de quoi en faire un plat.
C’est d’ailleurs d’autant plus notable que, plus que pour d’autres fonctions, les haut-fonctionnaires sont tenus à une obligation d’impartialité et d’indépendance. N’est-il pas remarquable que tant de fonctionnaires politisés remportent brillamment les épreuves de sélection malgré ce fait objectif les désavantageant par rapport à d’autres candidats sans affiliation politique ? Un signe supplémentaire de leur compétence extraordinaire !
C’est vrai, la population labourée par d’ignobles populistes n’en finit pas de mettre en doute l’intégrité des procédures et des personnes qui produisent de tels résultats. Politisation ! crient ces poujadistes. Etat-PS ! Répondent en écho les suppôts de la droite décomplexée. Heureusement, il se trouve des hommes d’état, des vrais, des hommes comme Elio di Rupo pour s’ériger en rempart de ces insinuations crapuleuses et sans fondements, et remettre la population montoise et wallonne sur le droit chemin de la confiance en ses élites.
Quoi ?!? Vous trouvez que j’ironise ? Moi ?!? Pas la moins du monde !
Rien que du légal !
Permettez-moi d’ailleurs de revenir sur un exemple tout à fait illustratif de l’indépendance des ex-cabinettards, qui été donné dans la foulée de l’incident de séance par une référence en la matière : rien moins que la télévision régionale « Télé MB ». Dans un sujet de 4 minutes, principalement à charge de l’élu MR (qu’on interviewe néanmoins pour la forme) le média local se fend d’une analyse de son rédacteur en chef himself. Conclusion lapidaire et au-dessus de tout soupçon : Les accusations de Georges-Louis Bouchez ne reposent sur rien, la commune est dans on droit, il est allé trop loin et s’est tiré une balle dans le pied.
Le rédacteur en question, il faut dire, sait de quoi il parle. Il n’est en effet redevenu rédacteur en chef qu’après un détour remarqué par le cabinet de (entre autres)… Didier Donfut.
Nul doute qu’une une telle référence a dû l’handicaper lourdement dans l’exercice de sa fonction en raison du doute qu’elle aurait pu jeter sur son indépendance journalistique. Les gens et les « populistes » sont si méchants ! On peut donc présumer sans crainte que sa nomination a été soumise à une procédure draconienne qui disperse le moindre doute. Une procédure qu’il a dû remporter haut la main contre d’autres candidats n’ayant pas le même « handicap ». Peut-être même cette procédure a-t’elle été supervisée par le bureau de gestion de Télé MB. Bureau de gestion au-dessus de tout soupçon puisqu’il est actuellement présidée par rien moins que… Anne-Sophie Charle, la nouvelle directrice adjointe de l’administration montoise ! Personnalité on l’a vu dont l’indépendance ne souffre d’aucune discussion. Exemple qui illustre donc si besoin en était à quel point une administration politisée peut exercer sa fonction sans l’ombre d’un soupçon ni même d’une apparence de dépendance partisane.
Je persifle encore ? Pardonnez-moi, cela m’a échappé. Après tout, tout cela est légal bien-sûr.
L’exaspération des wallons
Trêve d’ironie.
Il se peut bien entendu que la razzia politique des postes de l’administration dont cette nomination n’est que le dernier avatar soit légale, je n’en sais rien. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle est indécente. Au delà des méthodes rugueuses de « GLB » et des manières d’ « EDR », qu’on aime ou déteste à tort ou à raison, il semble que l’infortunée Mme Charle – qui n’a jusqu’à nouvel ordre rien à se reprocher et à qui l’on souhaite bonne chance par ailleurs – fasse les frais de l’exaspération des Wallons en la matière.
Il se trouve en effet certainement beaucoup d’hommes et de femmes en Wallonie qui ont pleuré devant leurs enfants de voir le poste qui aurait dû leur revenir être attribué à des cabinettards recasés. Il y a encore plus d’hommes et de femmes en Wallonie qui pleurent chaque jour de voir le naufrage de leur administration, pour laquelle ils sont saignés aux quatre veines.
Je ne suis certes pas homme à me réjouir des larmes d’une femme qui n’a jusqu’à nouvel ordre rien à se reprocher, fût-elle politisée. Peut-être serait-il cependant temps que nos élites s’indignent avec autant de force des larmes de ceux qui ne sont pas des leurs.
Joseph Junker
*à raison de 37 postes sur 61 pour des apparentés PS (chiffres GERFA 2017), et 78.000 membres PS sur à peu près 4.000.000 de francophones.
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