Cinquantenaire 2030 : 10 questions pour tout comprendre
Les bonnes fées fédérales, régionales, communales et européennes œuvrent ensemble pour faire du Cinquantenaire un «nouveau phare socioculturel de la Belgique» d’ici à 2030. A un an des législatives, le discours officiel ambitieux masque un masterplan plutôt nébuleux. Enquête.
Que sera devenu le plateau du Cinquantenaire en 2030 ? A un an des élections législatives, dont les partis nationalistes flamands pourraient sortir grands vainqueurs, les promoteurs du projet très «unitariste» de réhabilitation du site pour le bicentenaire de la Belgique « vendent » leur plan d’action à grands coups de com. Penchées sur le berceau, les bonnes fées fédérales, régionales, communales et européennes se disent prêtes à œuvrer ensemble pour faire du Cinquantenaire un «nouveau phare socioculturel de la Belgique» d’ici à 2030.
Les objectifs affichés sont à la fois ambitieux et nébuleux. Il est question de transformer le site muséal bruxellois en «lieu de rencontre, de participation, de dialogue à plusieurs voix… avec une forte orientation européenne». L’idée d’un parc scientifique a germé, puis celle d’un espace socioculturel. Le secrétaire d’Etat chargé de la Politique scientifique, Thomas Dermine (PS), qui porte le dossier, rêve d’un équivalent européen au très touristique National Mall de Washington, esplanade bordée de musées et monuments. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) imagine un Central Park à la bruxelloise, où se mélangeraient diversité et culture. Paul Dujardin (ex-directeur général de Bozar), chargé de piloter la métamorphose du Cinquantenaire, prend comme exemple à suivre le Victoria and Albert Museum de Londres.
Il est peu probable que le fédéral trouve les moyens de financer un dépôt d’œuvres ouvert au public.
Emphatique et non dénué d’arrière-pensées électoralistes, le discours officiel masque les contours flous du projet qui entend redonner au Cinquantenaire tout son prestige. Le personnel des établissements scientifiques du site s’interroge sur le sort réservé à ces entités fédérales, sur fond de rumeurs de déménagement et de restructurations. Quand et comment se fera le «réaménagement à grande échelle» du plateau ? Pour y voir clair, nous avons rencontré Paul Dujardin, gestionnaire de l’ASBL Horizon 50-200, les directeurs généraux des musées de l’esplanade, mais aussi des chefs de département des institutions concernées.
1. Cinquantenaire 2030, un timing trop serré ?
Il reste sept ans à peine pour faire du Cinquantenaire un «phare socio- culturel et scientifique attractif» en 2030. Les porteurs du projet avouent déjà, à demi-mot, que seuls certains des travaux envisagés seront achevés pour le bicentenaire de la Belgique. «Les autorités naviguent à vue, juge un conservateur de musée. Elles font passer une ébauche de projet pour un plan bien ficelé. La rénovation de l’AfricaMuseum, à Tervuren, beaucoup plus petit que le complexe du Cinquantenaire, a duré sept ans, dont cinq de chantier.»
2. Un budget insuffisant ?
Alimentée par le fonds Beliris et la Régie des bâtiments, l’enveloppe fédérale prévue pour relever le défi de la réhabilitation du Cinquantenaire sera vite épuisée, vu l’ampleur de la tâche. Sur les 156 millions d’euros débloqués, 48,7 millions ont été investis dans la rénovation des bâtiments (façades, châssis, toitures), 18,6 millions dans le rééquipement du parc (éclairages…) et 11,6 millions dans les coûteuses études préliminaires au masterplan. Restent 77 millions d’euros pour le plan lui-même. Ce budget-là est affecté à la restauration intérieure et au réaménagement du Musée Art & Histoire (septante millions d’euros) et de l’Institut royal du patrimoine artistique (sept millions), l’établissement en charge de l’étude et de la conservation des œuvres d’art.
3. Le Musée de l’armée oublié ?
Paul Dujardin le confirme: aucun budget n’est prévu à ce jour pour le Musée royal de l’armée (MRA). «A la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), de s’engager dans le projet», souffle-t-il. Et de rappeler que, d’ici à 2030, le refinancement de l’armée se traduira par quelque quatorze milliards d’euros de ressources supplémentaires. Mais rien n’indique une volonté du département de consacrer une partie de ces nouveaux moyens à la préservation du patrimoine militaire exposé au Cinquantenaire. Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, les priorités affichées par la Défense sont ailleurs. Pour rendre les collections du MRA plus attractives, la piste d’un partenariat avec le privé a un temps été envisagée, puis abandonnée.
4. Un «hub innovation» ?
A mots couverts, Thomas Dermine reconnaît qu’un musée de la guerre n’est pas sa tasse de thé. L’image du MRA, largement associée aux deux conflits mondiaux du XXe siècle, ne colle pas avec sa vision du projet Cinquantenaire 2030. Paul Dujardin est sur la même longueur d’onde: son plan directeur intègre le Musée de l’armée au sein d’un «hub innovation» dédié à la technologie, la mémoire, la promotion de la démocratie et des droits de l’homme.
5. Un début de démantèlement ?
A ce changement d’orientation s’ajoute une première décision qui s’apparente, selon certains responsables du MRA, à un début de démantèlement du musée: le rez-de-chaussée de l’imposante Halle Bordiau deviendra, dès la fin 2023, un espace de rencontres et d’expositions temporaires. De décembre prochain à juillet 2024, il accueillera une expo consacrée à l’exploration belge, à l’occasion des 125 ans de l’hivernage du navire Belgica dans les glaces antarctiques et de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne (janvier à juin 2024). Suivra, en 2024-2025, un autre événement, «questionnant le rôle d’un musée au XXIe siècle».
6. L’Irpa déplacé ?
Bâtiment moderniste achevé en 1962 et classé en 2007, l’immeuble de l’Institut royal du patrimoine artistique (Irpa) doit être rénové. Le personnel réintégrera-t-il les ateliers de restauration, laboratoires et bureaux dès le chantier achevé? «Pas moins de cinq scénarios ont circulé», glisse un cadre de l’Irpa. La construction d’ateliers et de labos sur le parking de l’institut a été envisagée. Puis l’érection d’un «cube» dans la cour de l’atelier de moulage du Musée Art & Histoire. Dernière idée en date: installer l’Irpa dans la halle sud-est du Cinquantenaire, à la place du musée Autoworld. «Ces deux derniers scénarios correspondent au vœu de Paul Dujardin et son équipe d’implanter l’institut au sein du futur ‘‘hub patrimoine’’, dont la pièce maîtresse sera le Musée Art & Histoire, indique notre source. Dujardin vient d’avertir le personnel qu’une décision doit être prise dans les mois à venir, car en 2024, année électorale, ce ne sera plus possible.»
7. Autoworld chassé ?
Il nous revient que l’ex-Premier ministre Guy Verhofstadt (Open VLD), président du CA d’Autoworld, défend bec et ongles le maintien du musée privé de l’automobile dans la halle sud-est du Cinquantenaire (16 000 mètres carrés), où il s’est installé en 1986. Le musée aux trois cents modèles anciens compte s’offrir un lifting pour son 40e anniversaire, en 2026. «Le business plan de la nouvelle muséographie est prêt, assure l’administrateur délégué, Philippe Simonart.
Elément phare de la future présentation, installé au centre de la halle : une imposante spirale sur laquelle seront posées une quarantaine de voitures emblématiques, pour former une sorte de galerie de l’évolution. « L’idée est d’inclure dans le parcours une vision de l’avenir de l’automobile, explique Philippe Simonart. Pour attirer les nouvelles générations, peu intéressées par les véhicules d’avant-guerre, nous devrons aussi exposer plus de young timers, de jeunes ancêtres. » Du hall d’accueil, les visiteurs ne pourront plus voir le contenu du musée. Ils se retrouveront dans un sas, d’où un couloir les conduira vers les collections, une fois leur billet d’entrée payé. « Actuellement, trop de curieux stationnent dans l’entrée, regardent de loin les voitures, puis s’en vont », déplore l’administrateur délégué.
Il poursuit : « Mais avant de faire tous ces investissements, nous devons avoir la certitude de pouvoir rester sur place au moins jusqu’en 2040. Nous attendons la signature de renouvellement du bail. C’est un dossier très politique. Nous avons l’appui de la Régie des bâtiments et du secrétaire d’Etat MR Mathieu Michel, qui en a la tutelle.»
Principal atout d’Autoworld: il accueille chaque année 200 000 visiteurs (250 000 en incluant les soirées de gala et autres événements privés et professionnels organisés sous ses arcades), soit nettement plus que ses voisins le Musée de l’armée et le Musée Art & Histoire, le plus grand musée du pays (22 000 mètres carrés d’espaces d’exposition). L’éjecter du plateau du Cinquantenaire serait donc paradoxal, le plan de revalorisation du site visant à le rendre plus attractif. En revanche, un musée dédié à la voiture semble peu correspondre au projet Cinquantenaire 2030 de faire du site un lieu résilient et respectueux de l’environnement.
Paul Dujardin «Le recouvrement de la trémie du tunnel routier qui coupe le Cinquantenaire en deux n’est pas à l’étude.
8. Un grand dépôt d’œuvres visitables ?
Guidés par le directeur général ad interim du Musée Art & Histoire, Bruno Verbergt, nous avons visité les réserves du plus grand musée de Belgique, couloirs vétustes et poussiéreux où s’entasse un bric-à-brac de meubles et d’œuvres. L’un des rares projets concrets du masterplan est la création d’un grand dépôt de collections. Mais sa localisation (en sous-sol ?) est encore débattue. Il est prévu une réserve accessible au public, sur le modèle du somptueux dépôt du musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, ouvert en novembre 2021. «Il est peu probable que l’Etat fédéral trouve les moyens de financer un projet aussi onéreux, qui implique de grosses dépenses de personnel et de sécurité», prévient un directeur de département du Musée A&H.
9. Un parc trop fréquenté ?
La réhabilitation en cours du Cinquantenaire a pour objectif d’en faire un pôle culturel et événementiel beaucoup plus attractif. « J’ai bon espoir que ce lieu, qui accueille environ 350 000 personnes par an, soit fréquenté demain par un million de visiteurs en plus », confie Paul Dujardin, patron de l’ASBL Horizon 50-200 chargée de piloter la revalorisation des lieux. Or, le parc souffre déjà d’une fréquentation excessive, relève Bruxelles Environnement. Le passage de foules lors de manifestations et d’événements comme les 20 kilomètres de Bruxelles ou les festivités du 21-juillet dégrade les sols et la végétation, fragilisée également par le changement climatique. Comment concilier redynamisation de l’offre muséale et préservation de la nature ? « Nous sommes face à des objectifs contradictoires, reconnaît Dujardin. Pour éviter d’accentuer la pression sur le parc, nous envisageons de créer en son milieu un couloir pour les visiteurs, qui relierait le rond-point Schuman et le complexe muséal. »
10. La trémie du tunnel routier recouverte ?
L’idée de couvrir la trémie du tunnel routier qui coupe en deux le parc du Cinquantenaire refait surface. Pour Thomas Dermine, cette autoroute urbaine est une «balafre». L’Europe financera-t-elle ce coûteux projet, comme certains l’affirment? Bémol de Paul Dujardin: «Rien n’est signé. Ce recouvrement n’est pas à l’étude et il n’y a pas de ligne budgétaire pour ce chantier.» Seule certitude à ce stade : la Commission européenne vient de lancer un concours destiné aux jeunes architectes «afin qu’ils conçoivent des solutions innovantes pour couvrir le tunnel», indique le commissaire européen au Budget Johannes Hahn, Viennois d’origine devenu Bruxellois d’adoption.
« Le basculement vers la mobilité électrique au cours de la prochaine décennie va largement régler la question de l’évacuation des gaz d’échappement du trafic par la trémie entre les tunnels Loi et Cinquantenaire, remarque Paul Dujardin. Il faut donc complètement repenser la circulation dans le quartier. » A proximité de la trémie, «un projet artistique temporaire est envisagé, pour renforcer le lien entre le plateau du Cinquantenaire et le quartier européen», ajoute Dujardin, sans plus de précisions. Bien malin qui peut prédire à quoi ressemblera le plateau du Cinquantenaire en 2030…
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