Cinq pistes pour briser les inégalités scolaires
Le Groupe du Vendredi publie un rapport dans lequel il propose plusieurs pistes pour réduire les inégalités scolaires.
Le Groupe du Vendredi, un think tank composé de jeunes âgés de 25 à 35 ans, pluralistes politiquement, publie, à l’occasion de la rentrée, «Champions de l’égalité scolaire dans les dix ans. Neuf propositions pour une école plus égalitaire». En une quarantaine de pages, le groupe de réflexion suggère comment faire grimper la Belgique, en une décennie, de la dernière à la première place du classement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d’inégalité scolaire. «Par égalité, nous entendons l’égalité des chances», lit-on dans le document. En clair, il s’agit de «minimiser l’impact du milieu socio-économique sur les performances scolaires».
« L’école d’été peut entraîner une différence d’une demi-année scolaire dans le développement cognitif de l’élève. »
Parmi les interventions proposées – qui ne visent ni l’organisation du système lui-même ni une hausse des moyens, mais les pratiques au sein des classes –, certaines figurent déjà dans les réformes actuelles ou futures. D’autres sont audacieuses. En voici cinq.
1. Une école ouverte six jours par semaine
Le dispositif s’inspire d’un modèle américain, appelé KIPP (Knowledge Is Power Program, «la connaissance, c’est le pouvoir»). Dans celui-ci, la semaine scolaire compte six jours et les élèves alternent les apprentissages et les activités de loisirs, avec l’appui éventuel d’associations locales. Elle se situe dans les quartiers où le risque de pauvreté infantile est le plus élevé. L’ expérience montre que ce type d’établissement attire les enseignants les plus ambitieux. Les résultats des élèves, eux, sont clairement meilleurs que dans des écoles traditionnelles au profil identique – soit ayant un indice socio-économique faible. Cependant, une crainte demeure, celle de faire de ces écoles des ghettos de pauvres. En réponse, le rapport note une évidente réalité. Primo: malgré les initiatives visant à promouvoir plus d’égalité, «il existe encore un grand nombre d’écoles avec un public socio-économiquement défavorisé dans les villes centrales belges où les performances sont plus faibles que dans d’autres écoles». Deuzio: les moyens supplémentaires alloués aux établissements comptant un nombre plus élevé d’élèves défavorisés «n’ont pas eu l’effet escompté». En cause: le manque de personnel scolaire pour utiliser ces ressources supplémentaires. Pire, selon la dernière évaluation, menée en 2021 par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), les taux de redoublement et de retard scolaire se sont dégradés dans les écoles à encadrement différencié.
2. Les meilleurs profs dans les écoles les plus difficiles
Comme en Corée du Sud, l’un des systèmes éducatifs les plus performants. L’idée part d’un constat de terrain: les écoles défavorisées accueillent majoritairement des enseignants inexpérimentés. Le turn-over y est aussi très marqué. Par le jeu des nominations, ce sont en effet les profs débutants qui enseignent dans les zones les plus difficiles. Le Groupe du Vendredi pose trois mesures. D’abord, «rendre obligatoire pour les nouvelles équipes de direction un cours intensif sur la gestion des établissements». Résultat: ces équipes ont accès à une expertise solide et nouent un réseau de pairs. Ensuite, «introduire des stages d’observation pour les enseignants et les directions dans des écoles au profil socio-économique similaire». Enfin, «créer un statut d’enseignant- expert», c’est-à-dire un professeur qui s’est perfectionné et qui possède «un savoir-faire pédagogique auprès de populations scolaires diverses». Ce dernier enseignerait aux futurs profs. Evidemment, il est illusoire de penser que les enseignants les plus chevronnés seront volontaires pour donner cours dans ces structures. Or, si le politique, à travers le Pacte pour un enseignement d’excellence, veut une «proportion plus importante d’enseignants expérimentés et une plus grande stabilité des équipes pédagogiques», rien n’est encore précisé sur la mise en œuvre. Quant à l’enseignant-expert, la fonction est décrite dans le Pacte, mais aucune prime ni incitation ne lui est réservée.
3. La création d’écoles d’été
Les auteurs du rapport livrent d’emblée ce chiffre: ces écoles peuvent entraîner une «différence d’une demi-année scolaire dans le développement cognitif de chaque enfant». Ni colonie de vacances ni centre de loisirs, l’école d’été se veut une école dont l’objectif est «la prévention ou la remédiation des retards d’apprentissage et la prévention de la perte estivale», c’est-à-dire la perte des acquis pendant les vacances. Une méta-analyse montre que la baisse est plus marquée en mathématiques que dans les matières liées à la lecture et aux langues. Cet effet semble durable et puissant sur toute la scolarité.
Ce dispositif fait l’objet d’un avant-projet de décret en Flandre, visant à ancrer structurellement les écoles d’été. Du côté francophone, durant les étés 2021 et 2022, des initiatives pour pallier les difficultés scolaires liées à la crise sanitaire ont émergé. Pas davantage.
4. L’école obligatoire dès 3 ans
Une mesure qu’on présente souvent comme symbolique: 97% des moins de 5 ans sont inscrits dans un établissement. Mais derrière ces chiffres, se cachent des disparités. Ainsi, seuls 88% y vont régulièrement avec, dans certains quartiers, des taux de fréquentation autour de 50%. Or, on sait que les inégalités de destin se creusent bien avant l’entrée à l’école élémentaire. De même, par exemple, fréquenter au moins deux années une structure d’accueil collective engendre des résultats nettement plus élevés aux enquêtes Pisa, menées par l’OCDE. L’effet est incontestablement plus important pour les enfants défavorisés. La mesure est inscrite dans le Pacte. Aucun accord n’a été trouvé sur cet âge à l’échelon fédéral – la fréquentation scolaire demeure une compétence fédérale.
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5. Diversifier le recrutement des enseignants
«Le corps enseignant est beaucoup plus homogène que la population d’élèves qui est toujours plus diversifiée. Les profs sont essentiellement des femmes, issues de la classe moyenne et ayant généralement des racines autochtones», lit-on dans le document. Or, un rapport de l’OCDE montre que «les élèves qui présentent des similitudes démographiques avec leurs enseignants, par exemple en matière de sexe et/ou d’origine ethnique, se sentent plus concernés, sont plus motivés et ont des aspirations d’apprentissage plus élevées». Pour y répondre, le forum propose de diversifier davantage les flux d’entrée dans les établissements pédagogiques, en recrutant de manière ciblée les candidats dans les quartiers défavorisés et à forte diversité. Il s’agit aussi de faciliter la mobilité entre l’enseignement et le secteur privé, en prenant en compte une plus grande ancienneté.
Au-delà de ces propositions, les auteurs souhaitent questionner l’ensemble du système éducatif, avec, pour chacune de leurs pistes, cette interrogation: pourquoi ces interventions prouvées empiriquement n’arrivent-elles pas à se frayer un chemin jusqu’aux salles de classe?
Pas sur les bancs d’école
Sur les 365 jours que compte une année, seuls 180 sont des jours d’école. Cela ne représente que 49,3% de l’année complète. Sur une journée, le temps d’apprentissage n’est, en moyenne, que de 5 heures et 20 minutes. Les élèves passent donc une grande partie de leur temps à grandir et à se former hors de l’école.
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