Cinecheck, le guide éclairé du cinéma
La nouvelle classification des films est entrée en vigueur le 8 janvier, substituant au principe d’interdiction celui de la recommandation, des pictogrammes clairs à l’appui.
L’air de rien, c’est une petite révolution qui vient de s’opérer sur les écrans belges : depuis ce 8 janvier, en effet, le système ancestral de répartition des films suivant le sacro-saint critère enfants admis (EA)/enfants non admis (ENA, interdit aux moins de 16 ans), a été rempla- cé par un nouveau mode de classification, Cinecheck, importé des Pays-Bas, où il fonctionne depuis 2001 sous le nom de Kijkwijzer, et reposant sur une large batterie de pictogrammes. Le changement (objet, au niveau politique, d’un accord entre les trois Communautés ainsi que la Commission communautaire commune) va toutefois au-delà de la simple signalétique, et a été dicté par diverses raisons. La première étant que, de l’avis général, l’ancienne réglementation était devenue obsolète – la loi l’établissant remontait à… 1920 -, mais aussi virtuellement inapplicable, dès lors que l’achat de billets se fait désormais régulièrement sur Internet ou à l’aide de bornes automatiques. Une autre motivation tient d’ailleurs à l’évolution de la société et au mode de consommation des médias, la nouvelle classification substituant à l’interdiction simple un système de recommandation ayant pour objectif de guider parents, accompagnateurs et enfants dans le choix d’un film approprié à l’âge et la sensibilité de chacun.
Une manière aussi d’encourager l’échange autour d’une sortie cinéma avec, pourquoi pas, une volonté éducative en filigrane : » Les films nous ouvrent au monde mais peuvent aussi éveiller des questionnements dont il est important de parler, relève Bénédicte Linard, ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’éducation aux médias est essentielle. Elle doit accompagner les enfants et les jeunes tout au long de leur parcours et les armer pour mieux décoder les films et le monde qui les entoure. Cette classification en fait partie. »
Des informations de contenu
» Cinecheck vous dit tout de vos films à partir du 8 janvier 2020 grâce à des pictogrammes clairs « , peut-on lire sur la page d’accueil du site (1) dévolu au nouveau système. Ils sont au nombre de treize, sept pour les catégories d’âge (tout public, 6, 9, 12, 14, 16 et 18 ans, cette dernière constituant une nouveauté visant plus particulièrement les films extrêmement violents, effrayants ou sexuellement explicites, Irréversible de Gaspar Noé par exemple), et six pour le contenu (violence, angoisse, sexe, discrimination, abus de drogues/alcool, langage grossier). Un dispositif ne devant rien au hasard, et permettant de rompre avec le flou qui prévalait le plus souvent jusqu’ici, chaque film sortant en salles (la classification n’est pas rétroactive) se voit désormais attribuer une catégorie d’âge, assortie, le cas échéant, de l’indication de contenus potentiellement préjudiciables, avec un maximum de quatre pictogrammes par titre, par souci de lisibilité. A titre d’exemple, La Reine des neiges 2 a reçu, aux Pays-Bas, le label 6 ans (et non tout public), motivé par les pictogrammes renseignant une violence (relative) et un contenu potentiellement angoissant pour les plus jeunes. Soit la même catégorie d’âge que Little Joe, de Jessica Hausner, classification découlant de la présence à l’écran de violence et de langage grossier, sans égard pour le sujet d’un film d’anticipation parlant de manipulations génétiques et de la poursuite du bonheur à n’importe quel prix.
L’adéquation et la qualité ne sont pas du ressort de Cinecheck en effet, l’idée étant moins d’indiquer ce qu’un spectateur d’un âge donné pourrait voir, que de renseigner ce qui lui serait potentiellement nuisible. Une répartition effectuée à la lumière de critères objectifs, inscrits dans un questionnaire en ligne développé par une équipe de scientifiques reconnus dans le domaine des enfants et des médias, les réponses introduites en fonction du contenu d’un film engendrant automatiquement sa classification.
Profession : codeur
Changement significatif : la responsabilité en incombe désormais au distributeur, et non plus à la Commission de contrôle, des » codeurs » ayant été formés à cet effet. Julie Vanderkelen, de Cinéart, est l’un d’eux : » C’est une charge supplémentaire, mais c’est aussi logique, nous sommes au tout début de la carrière d’un film en salles, et représentons le premier élément de la chaîne. L’adoption de ce système a fait l’objet d’une longue préparation. Nous y étions favorables, c’est une bonne évolution à nos yeux, notamment parce qu’il ne s’agit plus juste d’une interdiction, mais d’une information de contenu, préoccupation qui correspond aux questions qu’on nous pose le plus souvent. » » On est passé d’une optique d’interdiction à une optique de conseil, avec le contenu en plus, renchérit son collègue Arnaud de Haan. On donne désormais le pourquoi, alors qu’avant, c’était enfants admis, ou non admis, point. Donc interdiction, plus ou moins suivie. »
Si le travail de décryptage d’un film peut se révéler fastidieux, il est plus encore intéressant. » Nous sommes des petits soldats devant répondre très méthodiquement à des questions ultraprécises étudiées scientifiquement. Mais cela nous apprend aussi à voir les films différemment et à affûter notre regard. Après avoir suivi la formation, nous sommes mieux au fait des images pouvant être nuisibles à un jeune public. » Le questionnaire prévoit, du reste, une gamme de possibles. Dans l’option la plus simple, une réponse positive à la première question – » ce film est-il dénué d’éléments nocifs ? » – engendre automatiquement un classement tous publics ; une catégorie recouvrant aussi bien Winnie l’Ourson que Pride & Prejudice, de Joe Wright. Mais s’agissant de la violence, par exemple, le constat va au-delà de sa simple occurrence, pour le relever de subtilités comme le recours aux ralentis ou à un accompagnement sonore particulier pour la souligner, ou le fait qu’elle provoque des blessures superficielles ou profondes, etc.
Une grille de lecture qui a largement fait ses preuves aux Pays-Bas, où le système fonctionne depuis une vingtaine d’années. » Le degré de satisfaction est énorme, souligne Julie Vanderkelen.
Kijkwijzer est ancré dans la culture, tout le monde le connaît, l’emploie et le trouve utile. » Un mécanisme de recours est par ailleurs prévu, les parents mécontents du label apposé à un film pouvant introduire une plainte motivée via le site. Si la voie de la médiation est ensuite privilégiée, une commission des plaintes, composée d’experts en protection de la jeunesse, peut éventuellement être amenée à statuer, voire sanctionner. Un dernier cas exceptionnel, si l’on en croit l’exemple néerlandais, le compromis l’emportant le plus souvent. Ainsi, par exemple, quand, à la suite d’une plainte, l’âge conseillé pour Capharnaüm, de Nadine Labaki, a été porté de 9 à 12 ans par son distributeur, en raison du potentiel angoissant du film. Quand on parlait de cinéma responsable…
(1) www.cinecheck.be
Systèmes divers pour sensibilités multiples
Avant d’être adopté par la Belgique, le Kijkwijzer néerlandais avait essaimé aux quatre coins de l’Europe, de l’Islande à la Turquie, en passant par la Slovénie. Un système de classification commun n’étant nullement synonyme d’uniformisation cependant, un film comme Call Me By Your Name, de Luca Guadagnino, pouvant par exemple fort bien être considéré comme accessible dès 12 ans aux Pays-Bas et à partir de 18 sur les rives du Bosphore, en un reflet limpide de différences culturelles.
En la matière, une grande diversité subsiste en effet, la plupart des pays s’appuyant d’ailleurs sur leur modèle de classification propre. Celui en vigueur aux Etats-Unis est connu des spectateurs belges, les bandes annonces de films américains étant généralement assorties de leur évaluation par la MPAA (Motion Picture Association of America, émanation, à l’origine, des principaux studios hollywoodiens). Cinq catégories cohabitent : G (tous publics), PG (accord parental souhaitable), PG-13 (accord parental recommandé, film déconseillé aux moins de 13 ans), R (les moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte) et NC-17 (interdit aux moins de 18 ans). Plus restrictif dans l’esprit, le système traduit aussi des différences de sensibilité : Joker, de Todd Phillips, a ainsi été classé R aux Etats-Unis, la Belgique, où le Cinecheck n’était pas encore d’application, optant pour ENA, tandis que la France en autorisait l’accès à partir de 12 ans, avec avertissement.
A la différence du système prévalant désormais dans nos cinémas, celui appliqué outre-Quiévrain laisse une grande part à la subjectivité. Délivré par le ministère de la Culture, le visa d’exploitation d’un film y est soumis à l’avis d’un comité de classification, sans critères précis d’appréciation, cinq mesures, assorties pour certaines d’interdiction, pouvant en découler. Des outils voisins, pour des interprétations diverses : le film La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, est sorti en France frappé d’une interdiction aux moins de 12 ans, tandis que le Kijkwijzer l’estimait potentiellement préjudiciable pour les moins de 16 ans, en raison de la présence de scènes de sexe ayant fait couler beaucoup d’encre à l’époque…
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